Rosette Peschaud

Rosette Peschaud

Le « parcours d’une Rochambelle » dans la 2 ème D.B.

Vidéo

Durée : 14:16

L’engagement

J’habite le Maroc, je suis fille de colons et le 18 juin 40, je n’entends rien de spécial. Nous allions à Rabat assez souvent où nous rencontrons un ami de mes parents qui dit « il y a un Général qui parle à Londres », je pense que c’est très vite, tout de suite après peut-être le 22, entre le 18 et le 22 et tous les jours, tous les soirs, sans exception, nous avons écouté Radio-Londres. Évidemment quand il y a eu l’histoire de Mers-el-Kébir, je sais que mes parents se sont posés des questions. Moi je ne m’en posais aucune. Mais bien entendu pour une jeune fille de 18 ans que j’étais, y’avait aucune possibilité d’aucune sorte de pouvoir s’engager dans quoi que ce soit, hein, c’était le Maroc.

Mon père lui, s’est tout de suite engagé dans un réseau de résistance qui s’appelait France Amérique qui était dirigé par monsieur Valabregue. Monsieur Valabregue, était le président de la société de pétrole marocaine et je sais que mon père à aider à l’évasion de jeunes gens ou d’Anglais ou d’étrangers.

Je n’étais pas au courant du détail des opérations, qu’on exfiltrait par Tanger, et il avait été chargé pour le Débarquement des Américains, d’infiltrer la poste, et bien il n’a pas été prévenu, le 8 novembre au matin, quand nous nous sommes réveillés, ça tiraillait vers Médhia, Médhia est le bord de mer de Kénitra et nous étions à une trentaine de kilomètres, mon père était extrêmement contrit, furieux et j’ai appris bien après la raison du fait que ces réseaux n’aient pas été renseignés, c’est que les Américains n’ont renseigné que le réseau de Giraud et mon père était dans un réseau de de Gaulle.

Je me suis engagée par le plus grand des hasards. Madame Conrad est une Américaine francophile, elle est désespérée quand il arrive le désastre de 40, et elle est tellement violemment anti-allemande que son Ambassadeur lui demande de rejoindre l’Amérique, où elle n’a qu’une idée, c’est participer à la reconquête de la France avec les troupes françaises.

Alors elle commence une campagne où elle réussit à récupérer suffisamment d’argent pour acheter 19 ambulances Dodge toutes neuves. Elle réussit grâce à ses relations à embarquer ces ambulances sur le Pasteur, elle a réuni une quinzaine de jeunes femmes françaises, parce que les Américains refusent que des femmes américaines puissent servir dans l’armée française. Il faut être français.

Et elle débarque à Casablanca avec ses 19 ambulances, ses 15 femmes et elle sait pas du tout où elle va aller. Et ce qu’elle voit, qui lui paraît le plus attractif, c’est Leclerc, qui arrive du Tchad après la victoire de Koufra, qui a fait cette remontée glorieuse, qui a participé à la libération de Tunis et qui vient de créer une division blindée équipée à l’américaine à Rabat. Et Leclerc lui répond « je veux bien des ambulances, je ne veux pas de femmes ». Et elle dit « vous n’aurez ni l’un ni l’autre ». Et à ce moment-là, Leclerc se repent et il dit « je vous accepte mais je ne prends les femmes que jusqu’à Paris ».

Bon voilà donc les ambulancières installées à Rabat sur une péniche sur le Bouregreg et à Rabat, il a donc fallu que Suzanne Thorez (NDLR adjointe de Mme Conrad) cherche des jeunes femmes aptes à s’engager. Mais comme c’était « du bouche à oreille », personne n’était au courant. Et moi, c’est le plus grand des hasards, puisque j’étais fille de colons et que Mme Conrad allait mettre des permissionnaires et des convalescents chez les colons où elle les imposait avec une superbe fabuleuse.

Donc voilà comment elle est allée chez mes parents et que j’ai appris qu’il y avait des femmes et qu’on cherchait à en engager. J’avais 20 ans et pour moi m’engager dans les combats de la Libération, ça paraissait totalement… mais non, improbable ! C’était incroyable, je savais bien qu’il y avait des femmes dans l’armée mais je n’imaginais même pas qu’elles puissent rentrer dans une division aussi glorieuse que le 2èmeDB qui déjà avait cette aura de Français Libres, hein, de gens qui avaient rejoint Londres, qui s’étaient entrainés à Londres, qu’on avait emmenés en Afrique, qui avaient fait les campagnes d’Afrique et qui arrivaient victorieusement à Rabat.

L’action

Donc je m’engage à la 2èmeDB, nous sommes très certainement… le bataillon médical auquel nous sommes affectées ne voulaient pas de nous et il y a un adjudant qui très certainement avait mission de nous décourager. Et on a tout accepté. Nous sommes parties sur Mers-el-Kébir pour embarquer pour l’Angleterre, c’était… la destination de la 2èmeDB et nous sommes arrivées en Angleterre où, même chose, tous les matins, nous allions au bataillon médical, on nous apprenait à souffler dans les gicleurs, on nous a rien appris de médical parce que nous étions censées être des conductrices ambulancières, donc tenir le volant, changer les roues, on était devenues des championnes, faires les pleins, je vous dis souffler, déboucher les carburateurs en soufflant dans les gicleurs, tous travaux que dès que nous avons débarqué, nous n’avons jamais eu à faire ! Alors nous débarquons à Utah Beach, début août, et nous sommes confrontées à la guerre, presque tout de suite, où on était descendu vers Saint-James, pas loin du Mont-Saint-Michel.

Quel souvenir vous avez de l’accueil de la population ?

Ah écoutez, moi ce qui m’a le plus émue, ce que je n’ai jamais oublié, c’est que nous avons traversé Sainte-Mère-Église qui était, il n’y avait plus une maison debout et les Français sortaient des caves et ils nous acclamaient. Et je me suis dit « ils ont tout perdu et ils ont encore… le courage d’acclamer les gens qui ont détruit leurs maisons d’ailleurs et ça, ça m’a émue, et voyez je suis encore émue en le disant.

Alors je vais vous dire comment nous travaillions. Nous suivions les colonnes blindées, et quand il y avait une attaque, un accrochage, nous étions à l’arrêt derrière la colonne. Et dès qu’il y avait un blessé, par radio on disait « on demande un médecin, une ambulance, 2 ambulances… » donc il y avait une Jeep qui se détachait, nous suivions la Jeep et nous doublions toutes les colonnes, c’est-à-dire qu’on doublait les colonnes de half-tracks, de chars, de jeeps, du Génie, jusqu’à ce qu’on arrive à l’endroit où les soldats avaient été blessés réellement… on les mettait sur un brancard, les médecins les réanimaient en leur faisant une transfusion de plasma, eau distillée et plasma sec qu’on mélangeait, et d’ailleurs les médecins ont appris leur métier là, ils n’avaient jamais fait de transfusion.

Nous les aidions en mettant les garrots, en tenant la transfusion au-dessus du blessé, il y avait évidemment pas de ce qu’on a maintenant, des espèces de présentoir pour accrocher…la transfusion. Nous les aidions à mettre des garrots là où il le fallait. Très vite le stock de garrots, le mien, s’est épuisé. J’ai d’abord commencé par mettre ma cravate, parce que c’était une époque où on faisait la guerre avec une chemise et une cravate et le casque ou un calot sur la tête. Je dois vous avouer que j’ai toujours refusé de porter le casque, il me raplatissait les cheveux.

Nous avions donc pour mission d’amener les blessés dans les 3 heures qui suivaient la blessure et on les amenait à un hôpital de la 2èmeDB qui se trouvait à une vingtaine de kilomètres en arrière des combats. Et là nous les laissions à un hôpital qu’on appelait « triage et traitements », ils étaient donc triés parce qu’on n’avait pas peur des mots à l’époque et conduits immédiatement par des conducteurs américains qui en général, c’était des Noirs américains, à l’antenne chirurgicale américaine qui était merveilleuse.

Nous savions que conduits dans le délai, nos soldats avaient la vie sauve. Et eux-mêmes, dès qu’ils étaient dans l’ambulance, bien que notre ambulance ne fût pas du tout blindée… elle avait une cloison en tôle mais traversée par le moindre éclat, et bien ils se sentaient en sécurité et notre rôle était de les réconforter et de les persuader de ne pas mourir avant le médecin et avant l’antenne chirurgicale.

Le dénouement

Et bien je rentre dans Paris oui, après avoir fait tout le circuit de la Normandie et avoir traversé la région parisienne. A l’époque les hommes ne croyaient pas au courage des femmes, pas plus que le général Leclerc d’ailleurs. Ils pensaient que l’homme avait le privilège du courage. Et là, on leur a prouvé que ce n’était pas vrai.

Et après Paris ?

Immédiatement l’atmosphère a changé et les hommes étaient prêts à tout pour nous aider. Et j’ai suivi la 2èmeDB partout, en Lorraine, en Alsace, en Allemagne et quand le général Leclerc a fait un corps expéditionnaire pour l’Indochine, je ne me sentais pas mûre pour rentrer chez moi et avec une dizaine d’amies, nous avons décidé de continuer en Indochine, c’est ce que nous avons fait, et le général Leclerc donc qui nous avait, attention hein il avait fait sa conversion bien avant, il était venu nous voir, nous étions cantonnées à Paris, à Bagatelle.

C’était un spectacle inouï Bagatelle où au lieu des roses, on cultivait des navets, des carottes et des pommes de terre. J’ai passé toute la journée du 25 août devant le grand portail de Notre-Dame avec toute la troupe qui tournait, qui était aux alentours de Notre-Dame, tous les chars, mon ambulance a été transpercée des balles de la voiture de Spahis qui était derrière moi, on voyait très bien l’entrée et la sortie, c’était pas du tout un Allemand planqué, c’était le Spahi qui était derrière moi, je ne m’en suis d’ailleurs pas aperçue et de temps en temps, il y avait une fusillade totale. Toutes les foules enthousiastes, qui nous entouraient, qui nous questionnaient, qui nous félicitaient, se jetaient sous les half-tracks, sous les ambulances… nous nous étions beaucoup plus calmes. Bon, donc le général Leclerc est venu nous rendre visite à Bagatelle et il a dit « j’ai appris que vous aviez eu une très bonne conduite, je vous garde ». Moi je dois dire que là j’étais sidérée d’apprendre que nous avions failli être mises à la porte, je ne le savais pas. Et alors je suis restée en Indochine, le même temps que le général Leclerc, c’est-à-dire un an.

Message aux jeunes générations

Nous avons été en somme des novatrices, nous avons prouvé aux hommes que les femmes pouvaient avoir un courage égal à celui des hommes. Et cette notion d’égalité entre l’homme et la femme nous a poursuivi pendant toute notre vie, hein les ambulancières. Un message d’égalité et parfois même peut-être de supériorité par rapport à beaucoup d’hommes qui avaient l’âge de s’engager et qui n’y ont pas pensé.