Roger et Rolande Becker

Roger et Rolande Becker

Agents du réseau de renseignement Alliance

Vidéo

Durée : 17:42

Vous avez perdu votre père quelques années auparavant, qu’est-ce que ressent un garçon de 17 ans au moment de la défaite de 1940 ?

Roger

Alors que nous avions été occupés en 1870, cinquante après il restait un grand nombre de souvenirs dans l’esprit des gens de l’époque et beaucoup de crainte. Et pour moi, la perte de la force française, c’était en apparence, le retour de la force allemande et la domination allemande chez nous. Et c’est la raison pour laquelle, en conseil de famille, on avait décidé, j’étais le seul garçon de la descendance, j’avais des cousines, et on avait décidé qu’il fallait que je quitte rapidement l’Alsace-Lorraine.

Quand je me suis retrouvé, ici, à Lyon, avec 40 francs en poche, j’ai heureusement été accueilli en gare des Brotteaux, par l’association des réfugiés d’Alsace-Lorraine, c’était une madame qui s’en occupait à ce moment-là et j’ai trouvé le moyen d’aller dans le département de l’Ain, c’est là où on m’a aiguillé vers les chantiers ruraux.

C’était une organisation qui venait d’être mise au point par Vichy d’ailleurs pour désengorger les villes des chômeurs de l’époque, les réfugiés aussi. Et j’ai pu pendant un certain temps trouver du travail comme aide-comptable dans ces chantiers ruraux. Mais mon objectif c’est d’aller en Algérie. Nous avons des cousins en Algérie qui étaient à Boufarik, près de Blida, mais je ne trouvais pas le moyen et la filière et puis je n’avais pas beaucoup d’argent.

Dans ces chantiers ruraux, il y avait une inspection qui était à Bourg-en-Bresse, elle était tenue par un inspecteur qui était un jeune lieutenant de l’armée qui n’avait pas été recasé dans l’armée d’Armistice et qui était libre et qui avait trouvé ce travail. Un jour, il est venu chez nous, là, à Meximieux et nous avons parlé et on a lié une certaine amitié parce qu’il était Lorrain lui aussi. Et il avait eu une proposition de devenir le directeur du Comité central de ravitaillement des fruits et légumes à Lyon. Il m’a proposé de l’accompagner et de devenir son adjoint. Et c’est là où en décembre 1943, un inspecteur de ce Comité central qui faisait partie du réseau Alliance m’a demandé si j’étais volontaire pour faire de la résistance.

Et c’est comme ça que je suis rentré dans la partie active de la Résistance, car j’essayais avant de résister par tous les moyens, à ma manière, mais faut-il encore trouver le passage, la filière et le contact.

Et vous madame Becker, vous avez 16 ans, vous n’êtes pas dans les mêmes conditions, vous ressentez quoi ?

Rolande

En 1939, j’avais donc 16 ans et j’avais un frère qui avait 9 ans, nous avons 7 ans de différence, j’avais à l’époque une vie familiale qui était très paisible, des parents très patriotiques et au moment évidemment où nous avons compris que la guerre était perdue, ça a été le désespoir mais nous n’étions pas directement touchés puisque nous habitions à Lons-le-Saunier dans le Jura.

A un moment donné, mon père a été nommé à Ambérieu-en-Bugey, je dois dire que mon père faisait une carrière SNCF et il travaillait au service de la voie et la gare d’Ambérieu est tellement importante comme gare de triage, que pour lui, c’était un très bel avancement. L’ennui, c’est qu’il n’y avait pas de logement pour nous accueillir à Ambérieu. Nous avons été scindés. Ma mère, mon frère et moi à Lons-le-Saunier, et mon père à Ambérieu, sans logement. Alors les choses se sont évidemment concrétisées rapidement parce que le 10 mai, l’attaque allemande a fait que les choses évidemment devenaient beaucoup plus graves que pendant la fameuse « drôle de guerre ». Nous avions ensemble décidé de nous regrouper en famille à Saint-Amour, dans la Jura, pas loin de Lons-le-Saunier. Alors nous sommes allés à Saint-Amour, maman, mon frère et moi, retrouver mes grands-parents et ma tante.

Et j’ai dit, j’ai 3 moments difficiles qui m’ont traumatisée et qui ont fait que j’étais prête à aider dans la mesure où évidemment la possibilité m’était donnée. Première chose, quand nous étions à Saint-Amour, il y a eu un bombardement d’un train de réfugiés qui venait de Haute-Saône, des wagons pleins, pleins de réfugiés, des femmes, des enfants et des personnes âgées, bombardés par des avions italiens.

Ça a été un véritable carnage. J’ai été très très marquée par ce carnage. Ensuite, inquiets par les évènements, après évidemment… le 10 mai 40, nous avons voulu aller voir ce qui se passait au Puy, et là, j’ai assisté à la débâcle de l’armée française.

Deuxième traumatisme qui vraiment faisait que j’étais révoltée mais j’étais complètement impuissante. Ensuite nous sommes rentrés bien entendu, après l’Armistice nous sommes rentrés chacun chez soi, nous à Lons-le-Saunier, mon père entre temps a trouvé un logement à Ambérieu. Nous l’avons rejoint à Ambérieu. Et là j’ai évidemment été obligée d’être pensionnaire au lycée de Bourg et quand la zone libre, dite « libre », a été occupée par l’invasion allemande, le 11 novembre 42. J’ai encore été marquée par l’arrivée des Allemands qui martelaient les pavés de l’avenue Alsace-Lorraine à Bourg et qui ont fait que j’étais révoltée. De plus, notre lycée de filles a été occupé par les Allemands et nous étions obligées d’aller suivre les cours au lycée de garçons, le lycée Lalande qui est très célèbre, très connu, c’est le seul lycée en France qui a reçu la médaille de la Résistance.

Ceci dit, j’étais prête à essayer d’aider parce que vraiment il y avait quelque chose qui me révoltait. Effectivement en 43, en septembre 43, je ne voulais pas continuer mes études en allant en faculté, donc j’ai décidé de passer un concours d’entrée pour suivre un stage de secrétaire de direction. Je passe mon concours en septembre 43, je rentre par le train et le hasard a voulu qu’en face de moi il y avait quelqu’un qui est devenu, enfin mon mari, mais enfin ça a été fait d’une façon très subtile de la part de ce jeune qui s’est arrangé pour avoir mon adresse alors que moi, je n’ai rien fait pour avoir la sienne. Comme il était à l’époque aux chantiers de jeunesse, il était démobilisé en décembre, et en décembre quand il est arrivé à Lyon, moi je suivais mes études de secrétaire de direction, il a repris contact avec moi, puisqu’il avait mon adresse, et à partir de ce moment-là mon existence a été bouleversée.

L’action

Roger

J’étais donc au Comité central de ravitaillement des fruits et légumes et il est toujours très difficile de savoir où sont positionnées les troupes adverses. On a senti combien, en connaissant les mouvements des fruits et des légumes qui étaient destinés à ces troupes, la manière dont elles étaient réparties nous permettaient de savoir où elles stationnaient et quelle était leur quantité, et c’est dans ce domaine-là que nous avons fourni par le truchement de Mullerqui était mon chef direct, tous ces renseignements statistiques qui permettaient de suivre l’évolution de la demande et de l’exigence allemande.

En plus dans ce cadre-là nous avions ces contacts techniques mais j’avais également beaucoup de contacts avec la préfecture du Rhône et il y avait là un agent régional qui était responsable vis à vis du préfet de la gérance totale du ravitaillement et grâce à lui et aux contacts que j’avais dans la préfecture j’obtenais d’autres résultats en écoutant.

Rolande

Sachant que mon père était bien placé pour éventuellement donner des renseignements militaires puisqu’il s’agissait d’un réseau de renseignements militaires… Quand enfin il (Roger) est rentré à Lyon, il m’a donné rendez-vous et il a eu, comment dire, l’audace d’approfondir ma connaissance en venant me chercher tous les soirs à la sortie de mes cours, ça c’était donc aux mois de décembre-janvier. En janvier, il m’a emmenée avec lui parce qu’il a senti qu’il avait affaire à quelqu’un qui ne demandait pas mieux, pour l’accompagner dans des rendez-vous clandestins et bien entendu pour rencontrer d’autres agents pour des échanges de papiers, pour des échanges verbaux et Muller comprenant qu’il y avait peut-être quelque chose à faire avec mon père qui a accepté que je rentre en résistance et j’ai été homologuée le 5 février 1944.

Alors j’en ai parlé à mon père, en lui disant « tu sais c’est un réseau de renseignements militaires et il est évident que la gare d’Ambérieu étant une gare de triage très importante », il me dit « mais effectivement, je pourrais peut-être vous aider », alors il m’a demandé 8 jours. Je rentrais tous les week-end chez moi et le week-end suivant il m’a dit « d’accord, je peux vous aider mais à condition que maman n’en sache jamais rien, parce qu’elle est fragile ».

Otage

Vous est-il arrivé des aventures monsieur Becker, vous avez été même otage à un moment, racontez-nous ça ?

Roger

Oui, j’ai été otage à Bourg mais pendant que je me suis évadé de Thionville pour venir en zone libre, j’ai été arrêté et j’ai été transféré à la kommandantur de Langres où j’ai passé 24 heures en prison. Le lendemain matin, j’ai été interrogé par le commandant de la Wehrmacht de la kommandantur. Il a pris un certain temps et il m’a libéré parce que, pourquoi, je ne sais pas exactement, mais j’étais peut-être très jeune et puis je venais de Carcassonne, il m’avait demandé de me présenter à la kommandantur de Dijon pour avoir un laissez-passer régulier.

Évidemment il n’en a pas été question, j’ai repris ma filière par le Doubs, etc. Bon j’arrive à Lyon et de décembre 43 jusqu’au mois de juin, il y a eu le débarquement du 6 juin, les renseignements que nous avions étaient de plus en plus importants et dans le réseau Alliance, à ce moment-là, fin juin, à Avignon il y a eu des traitrises et on a eu de très gros problèmes avec des arrestations et nous avons reçu à Lyon un ordre de dispersion immédiat.

Je suis donc allé à Bourg où j’avais un point de repli mais les Allemands et la milice ont bouclé la ville. Ils ont fait une rafle qui était en liaison avec les problèmes du maquis et les attentats qui avaient eu lieu contre les troupes allemandes. Je ne le savais pas bien sûr et j’ai cru que c’était notre réseau qui était visé parce que nous avions un poste d’émission très important sur Bourg. Et j’avoue que lorsqu’on nous a tous rassemblés, ils ont pris tous les hommes de Bourg, ils nous ont poussés vers la préfecture et dans la rangée qui était devant moi, à un moment donné, il y avait deux personnes qui étaient juste devant moi, ces agents de la Gestapo, par quel hasard, je n’en sais rien, les ont tâtés, dans leurs poches, et ils ont senti des balles de revolver. Ils ont sorti leurs pistolets et ils ont abattu ces deux hommes à mes pieds. Et j’ai été retenu comme otage. Et je suis donc resté trois jours comme otage à Bourg, et j’ai été libéré ensuite.

Rolande

Alors tout ça, je l’ai appris en un clin d’œil et je suis allée chez un de mes professeurs, ancien professeur du lycée, en lui demandant un brassard de la Croix-Rouge, je savais qu’elle en avait un et je lui ai demandé une couverture et je suis partie devant la caserne, je connaissais bien Bourg puisque j’avais été pensionnaire là-bas. Il y avait deux Allemands, mitraillette au poing, qui empêchaient d’accéder à quoi que ce soit près de la caserne. A force de m’agiter, les hommes qui sont venus voir ce qui se passait de l’autre côté de la grille, j’ai fini par reconnaître Roger Becker, je me suis dit « ça y est, il est au courant, j’ai fait ce que je voulais », j’ai remporté ma couverture, mon brassard, je suis allée en gare de Bourg pour demander le train qui partait, je pouvais rapidement rentrer à Lyon et je suis allée au bureau.

Le 11, on me donne un ordre de mission pour aller faire signer un chèque, enfin etc. et ça m’a donné l’occasion d’aller rendre visite au maquis parce que l’estafette qui était conduite par deux hommes qui appartenaient au journal le Progrès de Lyon, qui m’avait prise en compte, ont eu une mission à faire dans le maquis et du coup je suis allée dans le maquis. Heureusement qu’on avait le mot de passe qui était Golgotha, parce que nous avons été arrêtés en redescendant par deux maquisards, mitraillette au poing, qui voulaient récupérer la voiture.

Le dénouement

Roger

Le 3 septembre 44, Lyon est libéré. Je n’ai plus d’action de résistance directe, par contre, on me demande d’aller en Lorraine pour analyser autant que possible la situation, l’état d’esprit des populations locales qui sont toujours sous le joug allemand. L’armée américaine était avancée jusqu’à Sarreguemines

Vous prenez un risque considérable, vous allez derrière les lignes ennemies ?

Oui, c’est ce qui était prévu. Et le 25 décembre, il y a eu l’attaque des Allemands par les Ardennes et toute l’armée américaine qui était en Lorraine a reflué et moi-même, mais je n’avais plus aucune action, je n’avais plus de possibilités de passer là-bas, on m’a demandé de revenir à Lyon, de rentrer et c’est là où en définitive, le problème de l’action purement résistante a pris sa fin.

Rolande

J’ai fait normalement mon, comment dire, ma liaison avec mon père, j’ai ramené des enveloppes jusqu’au 3 septembre et au 3 septembre, mon action de résistante a cessé.

Message aux jeunes générations

Roger

Une nation doit rester forte et pour cela, il faut qu’elle cultive l’état d’esprit de ses citoyens de manière à ce qu’ils se sentent eux-mêmes partie prenante de cette nation qui leur permet de vivre en sécurité, et dans les circonstances variées, au lieu de tergiverser sans arrêt, il faut avoir le courage de frapper vite et fort.