Pierre Morel
L’engagement
Je suis originaire d’une commune qui n’est pas tellement connue en Bretagne, c’est-à-dire en Ille-et-Vilaine, c’est celle qui a été le théâtre de la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, Saint-Aubin-du- Cormier qui est la bataille qui a fait que la Bretagne a été réunie à la France. En ce qui me concerne, je crois que… il ne faut pas négliger certaines influences qui ont emmenées des jeunes à être résistant, en particulier le milieu familial dans lequel ils ont été élevés.
C’était souvent le fait que le père était ancien combattant, avait fait 14-18… en ce qui me concerne c’était le cas de mon père qui était né en 95, qui d’ailleurs avait une, une teinte antimilitariste et anti belliciste. Je parle de l’influence familiale mais il y a aussi une influence que je dirais majeure. C’est l’éducation à l’école et en particulier à l’école primaire où on avait souvent des instits qui étaient des instits qui étaient quelquefois d’ailleurs d’anciens combattants de 14-18 mais des instits qui donnaient des leçons d’instruction civique et où la notion de patrie n’était pas, comment dirais-je, galvaudée et était marquée avec une certaine ardeur, quand je dis ardeur, c’est un minimum. Et aussi très attachés à la devise républicaine -liberté, égalité, fraternité
Ça se manifestait comment ?
Ça se manifestait très simplement… le 11 novembre, les gamins partaient en rangs serrés vers le monument aux morts et participaient le 11 novembre à la cérémonie au Monument aux Morts. Enfin aux distributions des prix, nouveau truc, il ne se passait pas une distribution des prix de fin d’année scolaire sans qu’on chante la Marseillaise.
C’est un tas de petits facteurs comme ça qui ont été déterminants pour des gens de ma génération. Et alors, aussi quand même, y’a un petit truc, je me suis retrouvé interne au lycée de Rennes. Les internes, c’est une catégorie très spéciale chez les lycéens de l’époque. L’interne, il est rebelle par principe, légèrement anar sur les bords, acceptant une certaine discipline avec une certaine difficulté et puis en ce qui concerne l’époque de, mettons de… tous environ de 36, il y a eu un facteur qui est peut-être passé inaperçu et qu’on ne se rappelle pas, qui a marqué quand même les jeunes, la guerre d’Espagne. Elle a marqué les jeunes, en particulier dans l’internat. Dans l’internat, sans être politisés, il y avait bien des camarades qui étaient aux Jeunesses Communistes, mais sans être politisés, les jeunes étaient, comment dirais-je, sollicités par des prises de position sous forme de quêtes, de distribution d’insignes, de petits tracts qui impliquaient d’un côté la bande à Franco et l’autre côté les Républicains espagnols. Et bien, ça, ça a marqué et si bien qu’en 40, je le dis très sincèrement, moi j’étais marqué par ces deux facteurs-là. Les 3 facteurs, le milieu familial, l’éducation école primaire et le lycée. Alors je me suis trouvé d’abord pendant 5 ans, jusqu’en 39, interne au lycée de Rennes et puis par des changements de position professionnelle de mon père, je me suis retrouvé à Clermont-Ferrand.
Que faisait ton père comme métier ?
Mon père était à l’atelier de l’Armée de l’Air. Il était nombreux à Clermont-Ferrand. Donc je me suis retrouvé à Clermont-Ferrand et à Clermont-Ferrand il y a eu en 1940 avec la débâcle, il y a eu le repli de l’atelier industriel de l’Air, tout confondu, comment… état-major, responsables au plus haut niveau et familles, repli vers destination Port-Vendres pour éventuellement rejoindre l’Afrique du Nord. On n’a pas été jusqu’à Port-Vendres, on n’a même pas été jusqu’à Toulouse, on a été stoppé à Gémil, à quelques kilomètres au nord de Toulouse.
Et là, l’Armistice est arrivé et alors nous sommes remontés à Clermont-Ferrand. On a retrouvé donc le lycée Blaise Pascal mais nous étions maintenant sous le gouvernement de Vichy. Donc dans le personnel enseignant du lycée Blaise Pascal, il y avait 2 profs qui nous faisaient comprendre qu’ils acceptaient mal le changement de régime.
L’un s’appelait Saintenac, il était prof de philosophie et l’autre qui était Jean-Michel Flandin qui est devenu d’ailleurs par la suite un de mes amis. Jean-Michel Flandin était un prof remarquable de lettres. Et à Clermont-Ferrand, on s’est retrouvé une dizaine à se rencontrer et à se dire qu’on ne pouvait pas supporter ce qu’il se passait. D’autre part, il faut noter que Clermont-Ferrand avait un statut particulier. Quand je dis statut, c’est un grand mot, ce n’est pas un statut, mais avait reçu l’Université de Strasbourg dès 39 et il y avait quand même de ce côté-là une certaine ambiance qui n’était pas ni pour Vichy et encore moins pour collaboration avec l’armée allemande.
L’appel du 18 juin. Moi personnellement je l’avais pas entendu mais très rapidement on a su quand même que, il y avait un général qui s’appelait de Gaulle et qui continuait la lutte avec les Anglais. Alors comment répondre à cette manifestation de continuité dans la guerre ?
Tout le monde oublie que la première arme du résistant, ça a été la craie. La craie pour faire des « V » et la croix de Lorraine. J’avais un père qui était un petit peu, comment dirais-je, imprudent, et j’ai hérité de son caractère… il en avait pas un très bon. On lui avait amené à l’atelier industriel de l’Air à Clermont-Ferrand, on lui a mis dans son bureau, il était un des chefs de l’atelier, on lui a mis la photo de Pétain, bah il a pris la photo de Pétain et puis il l’a balancée dans le milieu de l’atelier.
Amateur, ben je me suis fait repérer. Avec la famille on a discuté, je suis donc revenu au lycée de Rennes, au lycée de Rennes où alors là, j’avais, j’ai rencontré deux camarades, deux très bons copains, Bernard Dubois et Fred Tiercery et par eux, j’ai appris qu’ils étaient en contact avec une équipe qui travaillait depuis le début 1941 en contact avec le réseau Overcloud du commandant Joël le Tac. Puis j’ai donc pris contact avec eux et travaillé pour eux, avec Joël le Tac en 41, tout le monde connaissait ce qu’était la mission du réseau Overcloud, la mission Joël le Tac, jusqu’en 1942, en février 42 où Joël le Tac et toute la bande de copains de l’équipe ont été arrêtés et sont partis par la suite en déportation, dont beaucoup ne sont pas revenus. Ayant été coupés, comme on le sait, le plus difficile c’était d’avoir la liaison avec Londres, on a essayé de retrouver la liaison avec Londres. On a regroupé tous les… toutes les équipes qu’on avait parce que dès 42 nous étions implantés dans tout l’Ille-et-Vilaine y compris sur la zone interdite de Saint-Malo.
Nous avons continué à travailler dans ce sens-là, c’est-à-dire venir en aide aux aviateurs qu’on récupérait, essayer aussi de stocker la récupération d’armes parce que, il ne faut pas oublier qu’en Bretagne, il y a eu avant la débâcle, il y a eu une présence britannique très importante et ils avaient laissé pas mal d’armes et munitions dans le coin qu’on a récupérées.
Alors on est resté sans contact jusqu’au début de 1943. Au début de 43, on est tombé en contact avec un réseau de renseignement du BCRA qui était le réseau Marathon-Chinchilla du colonel Yves Mindren. On a travaillé avec Yves dans le renseignement jusqu’à son arrestation en juin 43.
En juillet 43, alors-là le contact était rapide, on tombe en contact avec un officier du BCRA parachuté en Bretagne qui est le seul officier du SOE, du Special Operations Executive, qui soit Compagnon de la Libération, François Vallée.
François Vallée avait pour mission de créer un réseau qui puisse, à partir de l’Ille-et-Vilaine avec des antennes sur les Côtes du Nord, la Loire-Atlantique, le Morbihan et un peu la Mayenne, de préparer un blocage en cas de débarquement de la Bretagne pour isoler en particulier la base de Lorient et de Saint-Nazaire.
Nous avons travaillé avec lui jusqu’en novembre 43 et personnellement j’avais la responsabilité du nord de l’Ille-et-Vilaine et de la majorité des Côtes-du-Nord. Jusqu’en novembre 43 on a programmé, on ne les a pas tous réussi, 25 parachutages, armes, explosifs, etc. Notre but c’était de former des groupes armés. Et en novembre 43, ça a été le coup dur, la Gestapo nous est tombée dessus.
François Vallée a réussi à s’échapper, personnellement j’ai réussi à m’en sortir et, à la suite de quoi François Vallée me fait savoir qu’il fallait que je remonte à Paris avec les quelques survivants qui étaient là : Il y avait Bernard Dubois, Georges Bourdet, Paul Gommeriel mon adjoint et Yves Hamon, nous étions 5.
L’avenir pour nous était de rejoindre l’Angleterre par l’Espagne. On est parti, d’abord avec… les gens du réseau Var nous disent ceci « on manque en ce moment de convoyeuses, on a des Américains qu’il faut descendre alors vous les emmènerez avec vous ».
On est parti à 5, chacun avec 2 Américains pour là. Premier essai raté. Je reviens à Paris et je les mets au courant et à Paris on me dit « bon on va refaire un deuxième passage… dans 15 jours, 3 semaines », mais en attendant ils me demandent d’aller monter une ligne d’évasion par mer, à la pointe du Finistère, entre le Finistère et les Côtes d’Armor. Je n’étais pas chaud pour y aller, compte-tenu que j’étais connu en Bretagne et plutôt trop mal connu.
J’y suis quand même allé, j’avais prévu quelque chose entre la Pointe de Bihit et la Pointe de Beg Léguer à la rivière de Lannion. Quand je reviens à Paris, la Gestapo avait arrêté le réseau. Mais je savais aussi que j’avais 2 convoyeuses qui étaient à Gap qui allaient se faire piquer si elles n’étaient pas prévenues.
J’avais toute l’équipe de Tarbes qui n’était pas prévenue. J’ai réussi à devancer la Gestapo à Tarbes, sortir les types de Tarbes de la bagarre, partir à Gap me sortir mes 2 filles, revenir à Paris, les ramener à Paris pour les planquer, refaire le point à Paris et de Paris, remonter à ce moment-là à un passage, un passage par l’Espagne et je suis redescendu par l’Espagne et à ce moment-là, on a réussi à passer en passant, en dehors, par Toulouse, Pamiers, Tarascon-sur-Ariège, le pic d’Endron… Andorre, et alors comme il y a eu un manque de coordination avec le consulat général britannique à la sortie d’Andorre, je me suis fait piquer et je suis parti d’abord en liberté surveillée à Seu d’Urgel ensuite j’ai fait Lerida, Saragosse, Miranda où j’ai rencontré comme responsable du groupe britannique, par accident, un Grec qui était chef du groupe britannique et que j’avais fait passer en Espagne.
J’ai été récupéré tout de suite comme britannique et je ne suis resté qu’à peine trois semaines à Miranda. Après ça a été la sortie vers Madrid, Gibraltar, Gibraltar par priorité pour être, pour mon débriefing à Patriotic School à Londres.
De l’Angleterre au dénouement
J’ai refait un stage, comment dirais-je, de remise au point en particulier pour les explosifs… dans le cadre d’une Special Operations Executive des réseaux BuckMaster aux environs de Londres. De là… n’étant pas considéré comme peut-être suffisamment intéressant par les Britanniques pour repartir en mission compte-tenu que j’avais la famille qu’était coincée, je suis reparti dans une formation régulière pour encadrer… une division, si on peut appeler ça, de la 1èreArmée française.
C’était le 1erbataillon de chasseurs à pied dans le Jura, et pour refaire la campagne d’Alsace, on est remonté, j’étais à l’État-Major du général Bapst, commandant la place de Mulhouse qui était, de Colmar, qui était encore à Mulhouse à l’époque.
Je suis revenu après, je lui avais demandé à passer pour partir faire la campagne d’Allemagne. On m’a renvoyé faire de l’encadrement sur le front de l’Atlantique et c’est sur le front de l’Atlantique où j’ai terminé la guerre dans le sous-secteur de la poche de Saint-Nazaire. Je suis revenu boulevard… avenue Henri Martin jusqu’à ma libération.
Message aux jeunes générations
Certains pensent que je suis encore un petit peu utopiste, hein, mais je crois encore à certaines choses, les mêmes qu’à l’époque, hein, et je n’admets pas qu’on les foule. Par exemple, je peux dire que je vois encore qu’on laisse passer sur les stades des saluts nazis, sur les stades, je ne peux pas. La xénophobie qui, qu’on retrouve à tout coin de rue, tout ça c’est encore notre devoir, nous résistants, et puis Marc, je vais te dire une chose, de temps en temps je repense à, comment dirais-je, au commando qui a été fait contre la « reine de Césarée », bon j’en étais un des… peut-être l’organisateur technique, hein, à l’époque avec Charles Laurent et Marie-Madeleine Fourcade, et bien je dis ceci, c’est que s’il fallait encore demain recommencer, je recommencerai, même à 82 ans.
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