Maurice Lombard
L’engagement
J’ai entendu le discours de Pétain, en pleine débâcle, à Clermont-Ferrand où je passais en filant vers l’Ouest. Par une fenêtre ouverte, j’ai entendu la phrase, « il fallait cesser le combat », j’ai été m’asseoir un peu plus loin dans un jardin public et j’ai pleuré.
Avez-vous eu connaissance de l’appel du général de Gaulle ?
Oui d’une certaine façon à Bordeaux, dans le centre de réfugiés où j’étais. Un médecin belge qui était là m’a dit qu’il venait d’entendre, la veille au soir, le discours d’un Général français qui était formidable. Et il avait dit qu’il parlerait à nouveau le lendemain. Nous avons tous écouté de Gaulle, moi pour la première fois.
Vous avez donc vécu la débâcle et vous remontez à Dijon en août 1940 ?
Oui, en effet. Je me suis inscrit à la faculté de Droit et à la faculté des Lettres en même temps, pour préparer et une licence d’histoire et une licence de droit.
Vous cherchez des contacts ?
Oui, nous avons eu naturellement et nous avons eu comme ça des petits groupes qui se constituaient. Deux à la faculté de Droit, l’un qui était animé par Jacques Ollierqui était très marqué à l’extrême-droite. Il recrutait surtout parmi les Camelots du roi et puis un autre qui entourait Guy Rigollot qui n’avait pas de marque politique très caractérisée sinon que Guy Rigollot appartenait à une famille de catholiques sociaux.
Jacques Olliera été obligé de fuir très vite, il était passé à l’action directe contre un petit groupe de collaborateurs que ses Camelots du roi avaient attaqué à coups de matraque place Grangier et après les Allemands avaient commencé à procéder à des enquêtes. La Gestapo n’existait pas, elle n’était pas encore là, c’était l’Autorité militaire allemande. Et nous avons eu donc de petits groupes constitués autour de Guy Rigollot qui cherchait à nuire aux Allemands mais sans savoir très bien comment.
L’action de propagande
Nous avons décidé de faire de la propagande et pour cela de fabriquer des tracts avec une petite machine que Guy Rigollot avait trouvée et qui faisait de la pâte à polycopier, où nous sortions de tous petits tracts… mal constitués et d’une teneur intellectuelle assez médiocre. Je me rappelle d’une « à bas les chacals… à bas les barbares d’Outre-Rhin » … Puis nous avons collé, par petits groupes dispersés dans la nuit du 23 au 24 décembre 1940, c’est-à-dire juste avant les veilles de Noël en nous répartissant dans les quartiers de Dijon. Nous n’avons a pas eu un succès prodigieux, les tracts n’étaient pas beaux et puis la police française les a arrachés à l’aube. Je pense qui les ont systématiquement et, nous avons constaté alors notre faiblesse face à la puissance de l’armée allemande.
Nous avions convenu, quand nous avons constaté notre impuissance que si l’un d’entre nous trouvait quelque chose, c’est-à-dire une organisation, qu’il alerte immédiatement les autres. Un jour, je pense que c’est en janvier 1943 très exactement, Guy Rigollot est venu m’attendre à la sortie de la faculté des Lettres, il avait trouvé quelque chose. Ce quelque chose c’était le contact avec une étudiante qui avait distribué quelques journaux de Résistance, il avait vu le père de cette jeune fille, le pépé Bouzon, et c’est lui qui était le correspondant du mouvement Résistance. Guy Rigollot a été envoyé par Bouzonà Paris rencontrer le responsable du mouvement Résistance et à partir de là on a commencé à nous envoyer le numéro de Résistance, qui sortait tous les mois.
Nous en avons reçu d’abord 300 au mois de février 1943, puis, ensuite un millier et progressivement la quantité augmentait, nous sommes arrivés, dans les premiers jours de 1944, à recevoir environ 3000 numéros chaque mois. A ces journaux clandestins de Résistance, se sont ajoutés ensuite, très vite, les Courriers du Témoignage Chrétien qui sont arrivés à peu près par la même voie. Les Cahiers qui étaient des petits opuscules de quelques pages et les Courriers qui étaient un peu plus minces. Mais cela était un transport délicat qui arrivait à Dijon et nous avions monté pour les distribuer toute une organisation. Le mouvement s’est mis en place de façon très régulière.
Contact avec la Résistance armée
J’avais une maison à Tarsul qui avait été occupée par les Allemands et à partir de 1941, le printemps 1941, je suis retourné dans des périodes de vacances avec ma mère et ma sœur. Là j’ai pris contact avec mes voisins, les frères Dorbon, Marius et Fernand qui étaient deux retraités des Douanes tunisiennes. Ils étaient résistants d’une façon très active. Ils s’efforçaient de placer dans des chantiers forestiers des jeunes gens qui se refusaient à partir travailler en Allemagne
Vous aussi avez échappez au STO ?
Oui, alors j’ai échappé au STO, d’une façon légale pour commencer, d’abord parce qu’étudiant, j’ai bénéficié d’un sursis de départ puis à partir de juillet-août, j’ai été affecté…juillet… sur l’initiative de Jean Matteoli qui travaillait à la Préfecture, à un chantier qui pressait de la paille et du foin pour le compte des Allemands dans une vieille ferme à Montmuzard. J’ai donc travaillé là pendant quelques jours ou quelques semaines jusqu’au jour où j’ai fait mettre le feu au dépôt par deux de nos gars…qui habitaient dans le quartier et qui, avec mes plans et l’alcool que je leur avais fourni ont été mettre le feu au dépôt.
Ça a très bien réussi, la paille a bien brûlé, et ça a même mieux réussi que nous l’avons espéré car le garage allemand qui était attenant a brûlé lui aussi. Les deux frères Dorbon, que j’avais rencontrés, appartenaient à une organisation dont le chef était le curé de Saulx-le-Duc, l’abbé Grivelet, personnage tout à fait étonnant.
Il avait fait la guerre de 1914 et il avait fini comme officier pilote de l’avion de reconnaissance, il était resté officier de réserve, il avait acquis le grade de commandant, il ne s’était jamais tout à fait consolé de la fin de la guerre de 1914 où il avait vécu avec intensité, et il avait pris la tête d’un mouvement qu’il avait organisé qui était constitué de catholiques de ses paroisses de Tarsul, de Courtivron, de Saulx-le-Duc mais aussi de gens qui n’avaient aucun rapport avec la religion comme les deux frères Dorbon qui étaient parfaitement agnostiques.
Et… le 16 août 1943, les deux frères étaient installés devant la radio et ils attendaient un message, à la radio de Londres bien entendu, et puis tout à coup, le choc, « le corbeau croasse », bah je m’en souviens. Les 2 hommes ont réagi d’un seul coup, « c’est le message, nous aurons un parachutage ce soir ». Mais voilà, la police de Vichy avait effectué une descente quelques jours avant, avait arrêté un petit maquis en constitution à Courtivron, ils comptaient sur cette main d’œuvre pour accueillir le parachutage, ils risquaient de manquer de personnel. J’ai offert ma collaboration, on a bien voulu l’accepter. Vraiment… j’avais participé à la Résistance, en distribuant des journaux clandestins, c’était quand même bien léger, maintenant un avion, un quadrimoteur était venu d’Angleterre, de la libre Angleterre, où ils avaient largué trois parachutistes de la France Libre que nous avions accueilli et où ils répétaient, « maintenant tu fais la guerre à l’Allemagne ».
Puis il y a eu un 2èmeparachutage, je n’y étais, pas j’étais à Dijon, au moment où il a eu lieu, sur un autre terrain moins dangereux moins risqué que celui de Poiseul, et les deux frères Dorbon ont été arrêtés par la Gestapo et quelques jours plus tard le curé de Saulx-le-Duc a échappé de quelques minutes à l’arrestation.
Donc vous pensez qu’il est prudent de regagner Dijon ?
Oui, je n’avais d’ailleurs plus rien à faire à Tarsul dans ce domaine puisque le groupe avait disparu. Et c’est là que par l’intermédiaire d’un employé des Archives de la Côte d’Or, je préparais un mémoire, et qui était résistant, imprudemment résistant car il en parlait à tue-tête, j’ai pris un contact avec l’OCM Dijonnais.
L’Organisation Civile et Militaire
J’ai vu, j’ai été contacté par un homme qui était en réalité Raoul Archer et on m’a mis en tête le chef de futur maquis, le lieutenant Blandin. J’ai assez rapidement identifié le lieutenant Blandin, c’était l’un des fils de Paul Bur, le maire de Dijon qui venait d’être révoqué par Vichy mais au même moment la Gestapo intervenait contre le groupe Résistance et le décapitait.
Je suis reparti me cacher à la campagne, dans une ferme qui appartenait à une de mes cousines, mais toute l’équipe a été déportée. Guy Rigollot est mort quelques mois après, au mois d’octobre, au camp de concentration de Fallerslebenqui était une annexe de Neuengamme.Le colonel Chalvin est mort également, ainsi monsieur Bouzon qui parait-il a été exécuté par les gardiens allemands au moment de l’arrivée au camp de Buchenwald, enfin… le groupe Résistance a payé assez cher son activité.
Je suis donc revenu à Dijon avec inquiétude mais pour passer mon dernier examen de licence. Je suis resté dans l’attente du débarquement. Tous les 2 jours, Blandin et moi, nous nous croisions entre la place de la République et la place Saint-Bernard, sur le trottoir de droite en venant de la place Saint-Bernard. Nous n’avions rien à nous dire, nous nous croisions sans rien, si quelque chose intervenait, l’un d’entre nous, c’était essentiellement Blandin qui en prenait l’initiative, se précipitait vers l’autre en lui serrant la main comme avoir le plaisir de rencontrer un vieux copain.
Et c’est là que peut-être, Blandin m’a dit « faut plus bouger, ça y est, ils vont débarquer » En même temps, il m’a donné un rendez-vous pour le lendemain, là il se découvrait puisqu’il m’a donné rendez-vous dans les bureaux de son père de l’entreprise Bur. Là, il y avait 2 hommes dont l’un était un jeune homme d’une trentaine d’années, très grand, costaud, blond, on m’a dit « c’est Guy, celui qui va commander les Forces françaises de l’Intérieur de la Côte d’Or », et là j’ai été présenté à Guy comme devant être l’adjoint de Blandin en même temps qu’un autre jeune homme qui s’est présenté comme devant être l’agent de liaison avec l’état-major. Moi j’avais été chargé essentiellement de recruter des maquisards. J’en avais recruté parmi les gens de l’ancienne équipe de Résistance puis quelques autres que j’avais trouvés. Je pense que j’avais dû à peu près recruter une trentaine de types.
Ce n’est pas mal !
Le matin je me suis mis en alerte, le 6 juin au matin, là j’avoue que je n’étais pas du tout au courant, je n’avais pas écouté pour une fois la radio anglaise ou même française, j’écoutais rarement la française !, je suis arrivé à la bibliothèque universitaire et une camarade, une étudiante m’a dit « ils ont débarqué », elle me racontait ça comme si on annonçait qu’il avait pleut dans la nuit, je dois dire que pour moi, ça a fait un autre effet, je me suis redressé d’un seul coup, j’ai dit au revoir, je suis parti, j’ai commencé de courir dans Dijon pour mobiliser les troupes et puis dans l’après-midi, je suis parti pour aller rejoindre le point de ralliement. Ça a été la première grande désillusion, j’attendais 30 hommes, j’en ai trouvé 7.
J’avais une 2èmemission à accomplir, c’était d’aller chercher les armes. Blandin m’avait montré sur la carte l’endroit où se trouvait la première cache. J’y est été, j’ai trouvé effectivement la cache, tapissée de mousse, mais d’armes, aucune. Vers les 11 heures-minuit, j’ai entendu donc quelqu’un qui sifflait le signe de ralliement, c’était l’agent de liaison du groupe Blandin qui arrivait avec un de ses camarades dans la nuit et la réponse « il a été arrêté ce matin à l’aube par la Gestapo », j’ai donc décidé de partir en direction de l’état-major avec mes gars, à pied.
La création du Maquis Laurent
Vous avez donc rejoint le commandant Guy Alizon, il était commandant je crois ? : Il était commandant des Forces françaises de l’Intérieur…
Commence finalement une résistance armée ?
Oui, oui, nous avons été accueillis très bien parce qu’il manquait de personnel. Il a embauché immédiatement mon équipe et moi pour lui servir de service de liaison et de contact.
Les moyens dont disposait l’état-major étaient extrêmement limité. Ils se sont peu à peu étoffés lorsque quelques autres officiers sont venus rejoindre. Il a fallu à Guy, beaucoup de patience et de diplomatie pour faire accepter son autorité. Il l’a fait essentiellement en se déplaçant à bicyclette à travers la Côte d’Or pour aller visiter les maquis dont on lui avait donné évidemment le contact.
Et concrètement, quel fût son rôle dans la Libération ?
Alors, le rôle a d’abord été de transmettre des ordres du général Kœnig et en particulier, dans le milieu de juin, l’interdiction d’engager la guérilla. L’organisation se développait par l’arrivée du commandement régional, le colonel Claude, Claude Monod, est apparu à peu près en même temps que Guy et peu à peu une idée m’a tracassé, je dois le dire, c’est l’idée que je voulais créer mon propre maquis. Et à quelle date, je ne sais pas, le 12-13 août, j’ai pris le commandant Guy en tête à tête et je lui ai dit mon intention, mon désir de quitter l’état-major pour créer un maquis, il m’a dit « d’accord ». J’ai créé pour commencer un endroit que je connaissais bien à Tarsul, chose merveilleuse c’est que le 15 août, l’atmosphère était totalement différente de celle du 6 juin. J’étais arrivé en pensant recruter quelques garçons, le 18, j’avais 60 hommes mais je n’avais pas d’armes.
La Libération
Septembre, au moment de la Libération de Dijon, où étiez-vous ?
Le 11 septembre, j’étais blessé, je venais d’apprendre que des parachutages venaient d’avoir lieu en Côte d’Or. Le commandant, du colonel, pardon, je suis parti pour aller voir Claude et sur la route, nous avons eu un acciden
Lombard est alors rapatrié à Dijon, chez sa mère
L’un de mes gars, un garçon de Tarsul et un autre a été fait prisonnier par les Allemands. Alors à ce moment-là Guy s’est engagé dans le régiment de l’armée
Oui, ce que vous auriez voulu pouvoir faire ?
Oui