Jean Louis Cremieux Brilhac
L’engagement
Comment l’aspirant Crémieux, fait prisonnier le 11 juin 1940 à la tête de sa section, est devenu Jean-Louis Crémieux Brilhac ?
Vous me posez une question compliquée parce qu’elle porte sur des années ! Jean-Louis Crémieux, aspirant de juin 40 a commencé par devenir Jean Brilhac à la France Libre après un parcours compliqué, c’est-à-dire, prisonnier en Allemagne au camp de Poméranie Oflag 2D où dans l’été 1940, il subit l’abattement général, l’écrasement total des Français.
Des officiers français, mais en même temps ont conçu un profond mépris pour un grand nombre des leurs qui étaient autour de nous. Et puis, lorsqu’en septembre, il fut évident que la Grande-Bretagne survivrait au Blitz allemand et que par conséquent la guerre serait longue, il m’apparut qu’il était inutile de s’attarder dans les camps allemands et je m’en suis évadé au 1erjanvier, au jour de l’an 1941 en direction de l’Union Soviétique vers laquelle la distance à parcourir n’était que de 425 km alors que pour revenir vers la France, il en fallait un millier en passant par la Belgique. Ce qui donc m’a valu une évasion un peu compliquée au passage de la frontière, dans une neige et par un temps de glace.
Il se trouve que l’Union Soviétique où nous avons atterri, était liée par un protocole bien connu avec l’Allemagne hitlérienne et que d’autre part, elle était obcessivement soumise à l’espionite et donc nous avons été pris dans l’antichambre du Goulag et baladés de prison en prison avant que les Français, des Français évadés ne soient progressivement regroupés et d’abord dans un camp qui était celui où avait été quelques mois plus tôt 2500 officiers polonais massacrés à Katyn. Ce que nous ne savions pas heureusement.
Et lorsque l’Union Soviétique a été agressée par les Allemands, 186 des évadés français, militaires évadés français en Russie se sont portés volontaires pour rejoindre les Forces françaises libres, ce qui ne fut possible qu’en septembre 1941. Nous avons obtenu d’être libérés au milieu de la mer Blanche, remis à un convoi Canadien… au cœur, au milieu de la mer Blanche.
Donc nous avons, par le Spitzberg, gagné l’Angleterre et découvert ce que c’était que l’Angleterre en guerre, une démocratie en guerre, un pays qui affrontait vraiment unanimement, magnifiquement son destin.
Et là, nous avons découvert de Gaulle, nous le connaissions de si loin…
L’action
J’ai eu la chance à Londres donc d’être, après le temps d’usage au camp de Camberley qui était le camp des Français libres, d’être propulsé à un poste qui très rapidement est devenu un poste d’observation extraordinaire, de responsabilité incroyable pour un garçon de 24 ans. J’ai été en rapport avec tous les dirigeants politiques de la Résistance, donc j’ai connu d’abord des hommes comme le capitaine, commandant et futur général Billotte, superbe figure, officier de char, décoré de la Légion d’honneur sur le champ de bataille, qui est devenu le chef d’état-major particulier de de Gaule et qui par la suite a été un des libérateurs de Paris, aux côtés de Leclerc dont le groupe a fait prisonnier le général Von Choltitz.
Donc j’étais lié avec Billotte qui était notre patron, notre « star chief » disions-nous et Billotte avait à Londres un rôle très important, à la fois par la confiance que lui faisait de Gaulle, pour qui, il préparait tous les plans de débarquement ou d’opérations mais qui de surcroît était le grand superviseur du BCRA, au-dessus du colonel Passy qui lui rendait compte pour le général de Gaulle. J’étais moi-même au Commissariat à l’Intérieur de la France Libre, Commissariat créé en septembre 41 par de Gaulle où j’ai eu pour patron d’abord Diethelm, puis à partir de juillet 42, André Philip, le premier des hommes politiques français exfiltrés de France, c’est lui qui vraiment au nom des parlementaires français, fut le premier à affirmer que la Résistance française soutenait de Gaulle.
Et puis j’ai connu Georges Boris qui à Londres a joué un rôle considérable en tant que patron de la propagande française vers la France et inspirateur des émissions françaises de la BBC et d’autre part en 43, et surtout en 44, pilotant pour autant qu’on pût piloter l’action politique résistante et puis aux côtés du général Kœningdans l’été 44, ce qu’on appelait l’insurrection nationale.
Et pour eux, j’ai été officier de liaison près de la BBC, j’ai été secrétaire du Comité exécutif de propagande, j’ai rédigé les directives de propagande, les directives, oui, au peuple français et pour le Débarquement. J’ai envoyé mois après mois l’état de la situation de la France Libre et des pays libres, aux mouvements de Résistance et aux journaux clandestins et des tracts que je faisais fabriquer, c’est-à-dire de ces responsabilités incroyables mais qui est le propre de la France Libre.
Tous les jeunes de cette France Libre qui ne comptait que des jeunes ont eu des responsabilités au-dessus de leur âge et de leur grade.
Il me semble que la plupart des Français libres étaient avant la guerre, donc soit issus de milieux patriotes, soit pour une très petite minorité, démocrates ayant perçu très précocement et très clairement ce qu’était la menace hitlérienne, la menace vraiment pour les libertés du monde… et un petit nombre de Juifs, des Bretons… parmi les volontaires, il est certain que 60% étaient Bretons.
Ils ne comprenaient pas ce désastre qu’ils n’acceptaient pas et puis qui ont été fascinés, fascinés par de Gaulle et par ce qu’a dit de Gaulle, parce que nous avons été, oui, fascinés.
Vous qui étiez à un poste d’observation central, quand vraiment à Londres a-t-on pris conscience de l’importance de la Résistance en France même ?
Je ne peux parler que de ce que j’ai connu, c’est-à-dire à partir de 42. A partir de 42, un des premiers documents que j’ai eu entre les mains a été un rapport, le premier rapport de Brossolette, disant que, au moins en zone occupée, les Français ne croyaient plus à la victoire allemande et que les Français étaient gaullistes. Ce qui était certainement prémonitoire mais… optimiste.
Mais ça correspondait à une vue que l’on avait de Londres où l’on a toujours, par optimisme, par confiance dans le peuple français, on a toujours été d’au moins 6 mois en avance, sinon plus, sur la réalité de l’évolution psychologique de l’opinion française.
Et j’ai été alors tout à fait proche de l’observation si je puis dire, au moment de la première très grande manifestation de masse qui a eu lieu en France, c’est-à-dire celle du 14 juillet 1942 qui a été demandée par Jean Moulin, orchestrée de Londres en liaison avec les journaux clandestins et à la préparation de laquelle, la préparation psychologique et informative de laquelle j’ai été très proche.
Nous avons été très bien renseignés sur les résultats des appels lancés de Londres et lancés par les journaux clandestins, parce que le colonel Passy qui dirigeait le BCRA a accepté exceptionnellement que les réseaux de renseignement qui normalement ne devaient donner que des renseignements militaires rendent compte de ces manifestations.
Donc dans les jours qui ont suivi, on a reçu une série de télégrammes qui ont pu être diffusés par la BBC et notamment des télégrammes de Marseille et de Lyon qui attestaient qu’il y avait eu, je ne sais plus combien disaient les télégrammes, 100 000 manifestants, enfin il semble qu’il y eut bien 50 000 à Lyon et une manifestation importante à Marseille où il y eut 2 tués. Donc… c’était une preuve qu’une opinion, notamment un public de jeunes, bougeait, bougeait et refusait, manifestait.
Il a fallu du temps pour comprendre toutefois que le fait de lire un journal clandestin ou d’écouter la BBC ne signifiait pas qu’on était prêt à s’engager davantage, que même aller sur la Canebière ou place Carnot à Lyon pour manifester n’était encore qu’un demi engagement. Et les conclusions que nous pouvions nous faire dans cet optimisme étaient tout de même à fluctuation.
Ma femme est arrivée de France, elle s’était évadée, elle s’est échappée de France, elle est arrivée à Londres, elle m’a rejoint à Londres, ce qui était prodigieux, en septembre 42 et ce qu’elle m’a raconté de la Résistance à Marseille était, je dois dire, dérisoire. C’était une fronde d’étudiants, … c’était un petit jeu de cache-cache… avec oui quelques représentants de réseaux de renseignement qui eux étaient sérieux et apportaient quelque chose mais le reste était tellement fragile et fugace… que j’en ai été déconcerté.
Le dénouement
C’est vraiment en 43, à partir de l’été 43, qu’on a eu l’impression d’abord que l’opinion française croyait plus du tout au Maréchal, ni à la victoire allemande et d’autre part qu’un mouvement de masse propice à l’engagement et à l’engagement militaire était en cours avec la fuite vers les maquis.
Et donc à partir de l’automne 43, s’est posé de façon aigüe le problème de la survie de ces maquis, pour qui l’hiver allait être très très rude… qu’il fallait aider à se nourrir donc il a fallu envoyer et trouver et envoyer des fonds pour permettre de les nourrir. Ce qui représentait de 1000 à 1500 francs par mois, à l’époque c’était considérable. Et puis obtenir des armes et c’est seulement à partir de fin janvier 44 que les Anglais, en la personne de Churchill, ont accepté d’armer les maquis qui ne l’avait pas été jusqu’à ce moment-là, et là je dois dire que c’est pour beaucoup, Emmanuel d’Astier alors commissaire à l’Intérieur, ancien créateur et dirigeant de Libération Sud, assisté de Georges Boris qui ont obtenu de Churchill cette promesse d’armer les maquis et qui ont, Boris en particulier, participé à toutes les réunions préparatoires aux premiers envois d’armes de février 44.
Message aux jeunes
D’avoir été dans la France Libre et la France Libre est la chose la plus fière dont je puisse être de ma vie, qui a… qui m’a marquée à tout jamais et c’est, je dois dire, une chance et un privilège d’avoir participé à cette aventure incroyable qui, avec si peu d’hommes au service de de Gaulle, a permis de parcourir un tel chemin et de retourner une situation.
L’engagement est quelque chose qui reste une nécessité et je crois que la leçon de la France Libre suprême, c’est que la volonté humaine peut dans certains cas contrebalancer ce qui apparaît comme la force du destin, bien sûr il faut être de Gaule pour cela, mais des engagements collectifs ne sont sûrement pas inutiles, ils peuvent être nécessaires au contraire.