Jean Chauvin

Jean Chauvin

Résistant dans mouvement Libération-Nord.

Vidéo

Durée : 11:43

L’engagement

Je ne supportais pas la défaite de la France en 1940, l’occupation du pays par les Allemands. Mais qu’est-ce que vous voulez qu’un gamin qui, j’avais 15-16 ans à ce moment-là, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? Rien. Et il s’est trouvé que mes grands-parents qui m’avaient élevé étaient de l’autre côté de la ligne de démarcation, dans l’Indre, dans un petit pays, très malades et on ne pouvait pas communiquer avec eux et un voisin qui travaillait à la SNCF et qui passait des prisonniers évadés m’a dit « mais je connais un chemin où tu peux aller » et donc effectivement je passais en vélo du côté de Cigogné, il n’y avait pas de poste allemand, il y avait juste un poste de gendarmerie française et j’allais porter du courrier pour mes grands-parents. Un professeur, monsieur Verdier…

Arrivé au lycée de Tours en 1938

Peut-être bien, que j’avais eu donc comme professeur, me dit un jour « mais dites donc Chauvin, on m’a dit que vous pouviez passer du courrier… », je n’ai pas dit non, j’ai donc passé… il m’a dit « oh vous savez, une ou deux lettres de temps en temps », j’ai donc continué à passer du courrier mais je n’ai jamais eu de pépin. Il savait que bon, ben je n’aimais pas les Allemands. Donc je faisais beaucoup de photos pour mon intérêt personnel et il m’a dit « ben oui mais tout ça, ça peut être intéressant pour la Résistance ». Et puis il a abandonné…

L’action

Vous êtes un des rares résistants, jeune en plus à l’époque, qui avez réussi à prendre des photos ?

Il y avait un double problème, c’était interdit de faire des photos, deuxièmement, il fallait récupérer les sels d’argent pour les pellicules, donc si on voulait une pellicule, il fallait donner une photo à développer, or les photos que je faisais, je ne pouvais pas les faire développer par un professionnel donc nous les développions nous-mêmes ? Mais nous n’avions pas les moyens d’avoir de pellicules.

Alors aussi longtemps que j’ai pu en avoir, en échangeant des pièces d’argent contre des pellicules, ça a été, et puis un jour, on s’est aperçu qu’on pouvait avoir des plaques verre, les débuts de la photographie, les plaques étaient en vente libre et pendant deux ans, jusqu’à la fin de la guerre, nous avons travaillé avec des plaques, je dis-nous parce que nous travaillions toujours à deux, un copain qui est maintenant médecin retraité ophtalmo, près de Paris, et on avait un petit laboratoire où on développait nous-mêmes nos plaques, c’était tout un travail, on avait transformé un appareil à pellicule en appareil à plaque, c’était encore beaucoup plus compliqué, ça faisait d’excellentes photos.

Et vous avez eu une sorte de photographe agent double à un moment ?

Il y avait un photographe qui développait beaucoup de photos pour les Allemands et le fils qui était un copain d’enfance, c’était pour le camp d’aviation de Tours, me donnait des photos qui étaient très intéressantes.

Et ces photos vous arriviez à les transmettre à la Résistance ?

Et bien j’ai, quand Verdier a abandonné, je me suis retrouvé adressé à un colonel en retraite qui était le chef de la Défense passive de Sainte-Radegonde, le colonel Vaudais.Marcel et lui au début, les photos ça l’a intéressé mais il voulait surtout les organigrammes des véhicules allemands pour identifier, alors je lui transmettais régulièrement ça et les photos.

Ben après, ce qu’il en faisait, moi je ne sais pas, j’étais l’intermédiaire, ou quand il y avait des nouvelles batteries de DCA qui s’installaient, bon ben j’allais repérer l’emplacement. J’avais réussi à acheter un jeu de cartes d’état-major, les 1889, c’était le modèle qu’il y avait, mais qui étaient en vente interdite évidemment. J’avais à peu près tout ce qui couvrait la vallée de la Loire, la vallée du Cher et donc je pouvais identifier les petits camps d’aviation secondaires qu’il y a eu en 44, quand le camp de Parçay-Meslay a été touché, ou les batteries qui s’installaient à droite, à gauche et j’allais là-bas, je repérais l’endroit, si je pouvais, je faisais une photo ou je faisais un dessin et j’apportais tout ça au colonelVaudais.

Le colonel appartenait à un réseau que vous ignoriez ?

Complètement. Et alors je n’ai pas retrouvé son nom dans les archives de Libé-Nord.

Ah oui ! Est-ce que c’était un pseudonyme ou c’était son nom ?

C’était son nom. Mais c’était un gaulliste parce qu’il avait connu de Gaulle, ils avaient été officiers ensemble à Metz et là, très tôt j’ai eu des photos de de Gaulle, du courrier de de Gaulle, ce qui pour moi était quelque chose de très important.

Vous étiez toujours lycéen à ce moment-là ?

Alors j’étais lycéen et puis après j’ai été étudiant en médecine. En 43-44, j’étais étudiant en médecine.

J’ai cessé de donner des renseignements dans le mois qui a suivi le Débarquement. Là ça ne devenait vraiment… j’avais plus rien à transmettre parce que je transmettais beaucoup de renseignements de la SNCF. Comme mon père travaillait à la SNCF, j’avais accès à beaucoup de documents qui pouvaient être intéressants, que je transmettais.

Après c’était transmis donc au colonel Marnet qui était son supérieur qui lui est mort en déportation, qui a été arrêté, ce jour-là, nous avons un petit peu tremblé quand même, parce que ce n’était pas très loin.

Ah oui, donc vous n’avez jamais été directement inquiété par les Allemands ou la police ?

Non. Et je me suis rendu compte récemment que j’avais fait une bêtise, parce que depuis le mois de septembre 39, j’ai tenu tous les jours mon cahier où je notais tout ce qui se passait, localement et sur l’ensemble des fronts. J’étais vraiment très historien, très marqué. Mais je n’ai jamais marqué évidemment ce que je faisais. Et il y a 2 ans en relisant, parce que c’est dans un coin, en relisant ça, je tombe sur un jour et je vois « madame Vaudaism’a dit que le colonel Marnet avait été arrêté », et je l’ai écrit. Alors ça c’est vraiment une connerie

Une imprudence

Ah oui, ça c’est… Il fallait que j’aie été très marqué pour l’avoir écrit.

Une fois, je me suis fait interpeler par un Allemand qui surveillait un avion américain abattu, un Lockheed, avec le double fuselage, il avait été abattu à Saint-Avertin. J’ai été faire une photo, y’avait cet Allemand qui marchait le long, j’ai compté le temps qu’il mettait pour aller dans un sens revenir, j’ai dit « j’ai le temps de faire la photo », j’ai fait ma photo, mais ça faisait du bruit ces appareils et il entendait le clic-clac  « come here, come here », je me débrouillais pas trop mal en Allemand, je lui ait dit « ben oui c’est bien, ils nous fichent des bombes sur la figure, c’est bien… » « allez ouste ! » il a même pas pris l’appareil, ça devait être un bon pépère. Ce jour-là, bon bah…mais la photo était bonne !

Elle a servi à quelque chose ?

Elle a toujours servi dans un bouquin… parce que c’est un souvenir pour moi. Et je crois que Tours et la Touraine ont été marqués par un courant de jeunes médecins ou de jeunes carabins plutôt résistants

Plusieurs…Il y a le Dr Gandet qui était dans un maquis. Moi j’avais un copain qui travaillait avec moi, Jean Clerc, qui était au lycée d’abord avec moi puis après qui était en 1èreannée de médecine, je l’avais dressé pour relever les inscriptions, attention il avait une mémoire visuelle extraordinaire et c’était un très bon dessinateur, un caricaturiste, et il avait une mémoire visuelle sensationnelle et il notait tout ce qu’il voyait mais alors ça, ça l’embêtait.

Lui, il voulait casser du Boche, il voulait tirer sur les Allemands, alors que c’était un type très gentil mais vraiment, il ne pouvait pas les sentir. Et il s’est débrouillé pour rentrer dans un réseau, pseudo réseau qui devait fournir des armes, qui était un guet-apens. Il s’est fait arrêter fin juin ou début août 40, au château de Vaux.Ils ont été une douzaine de déportés et lui est mort à Bergen-Belsen, il n’est pas revenu. Et là, j’ai été vraiment très touché parce que … on s’entendait très bien, c’était vraiment un type adorable.

Vous avez appris après la guerre ?

J’ai appris après la guerre. Alors on a appris, alors vous savez, après la guerre, il y avait des listes qui paraissaient dans le hall de la Nouvelle-République avec les noms des gens libérés. On a vu son nom, il était libéré, et effectivement, il est mort quelques jours après, et c’est le professeur Guillaume Louis qui était mon patron à ce moment-là, j’étais externe chez lui et Jean Clerc était de Montbazon, Guillaume Louis était maire de Montbazon et il me dit « ben tu sais Jean est mort… ».

Comment vous expliquez ce petit courant de carabins résistants, parce qu’il y en a plusieurs ?

Oh ben il y en a plusieurs, il y a eu Gandet, il y a eu…Jack Vivier, Gérard, Edouard, dont je ne me souviens plus les noms et aussi, ils sont tous passé de l’autre côté… ça représente quand même une petite quantité

Et vous n’avez pas eu besoin de passer dans les maquis vous-même ?

       Non, on m’avait préparé un point de chute au cas où je serais inquiété. Voilà

Dans la campagne tourangelle ou berrichonne ?

Dans la Vienne… qui était le pays de mon père … J’ai su que j’avais appartenu à Libération-Nord qu’après la guerre, comme beaucoup quand on m’a demandé d’aller donner mes empreintes digitales, donner une photo, pour qu’il n’y ait pas de confusion sur la personne. J’ai été immatriculé sous un numéro, je ne me souviens plus combien…

Christian Pineau, vous n’en avez entendu parler qu’après la guerre ?

Ah mais oui et même de Jean Meunier… Jean Meunier je l’ai connu le 1erseptembre, quand il est devenu maire de Tours.

Message aux jeunes générations

Je crois qu’il faut quand même être vigilant vous savez, on n’est pas à l’abri d’un individu qui un jour… appuie sur le bouton et met les choses en marche. Ça peut arriver, moi je ne suis pas très optimiste pour l’avenir. Il faut se méfier de tout ce qui est sectaire, tout ce qui est contraire à la liberté… Et ça, il y a beaucoup de choses qui sont contraires à la liberté actuellement