Jacques Vico
L’engagement
Cet engagement a été précoce, il est de juin 40. Nous étions des jeunes, j’avais 17 ans, nous appartenions déjà à des mouvements de jeunesse, des mouvements laïcs, des mouvements confessionnels, et nous avions déjà eu des activités liées à la guerre. La chose la plus brutale ce fut l’arrivée des réfugiés qui fuient devant les troupes allemandes à partir du 10 mai 1940. Et ça continue jusqu’à l’arrivée de l’armée française en débâcle.
Alors là c’est stupéfiant de voir ces hommes avec leurs vestes de gros drap, ils ne se lavent plus, ils ne se rasent plus, certains ont déjà été rembarqués à Dunkerque et reviennent par Cherbourg pour se battre en Normandie, y’a pas de canon, y’a pas de char pour les soutenir et ils marchent, ils descendent vers la Bretagne. La rumeur court que va se constituer le réduit breton et ce réduit breton, il sera inviolable, avec des Polonais, avec des Français, un état-major se constitue déjà à Villers-Bocage. Nous avons toutes ces rumeurs.
Et nous sommes jeunes, mon frère a 18 ans, moi j’ai 17, le plus jeune, il a 15 ans et demi, avec l’accord de nos parents, nous sommes sept enfants, ils sont exploitants agricoles, nous partons vers le réduit breton. Nous partons et nous faisons une première halte, cette première halte, c’est à Vire, chez un grand-oncle qui nous accueille, et pour arriver chez lui, au pied de la petite rampe qui monte à sa maison, puisque c’est à Vire, il y a pas mal de coteaux et de vaux, il y a un menuisier, il a un grand atelier, il a branché la TSF toute la journée, toute la journée. Qu’est-ce que nous entendons ? Nous entendons d’abord Pétain, Pétain le 17, qui nous dit, il a renversé le gouvernement de la République, nous en prenons acte, nous ne comprenons pas et il dit « faut cesser le combat ». Et puis le soir, le lendemain, nous entendons l’appel de De Gaulle, l’appel de De Gaulle qui en fait, tout de suite, nous révèle un homme que nous ne connaissons pas.
Une certitude, la guerre continue, la guerre deviendra mondiale, la Résistance et la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre. Ceci nous conforte dans notre réaction. Nous rentrons d’urgence à Caen, il n’y a plus de réduit breton car les troupes allemandes arrivent à Vire, dès le 17 juin au soir, elles ont fait un grand crochet par Flers, et elles vont vers Granville. Nous rentrons à Caen, et là, nous reprenons contact avec notre groupe qui ne s’occupe plus des réfugiés, qui s’occupent des prisonniers de guerre, des milliers de garçons qui ne sont pas encore habillés sont internés au 43ème. Et là, on commence, d’une part à obtenir une autorisation pour leur apporter à manger.
On apporte quelques costumes civils à ceux qui veulent s’évader, ça fonctionne quelques jours, et là se met en place le premier groupe de Résistance qui s’appelle le groupe Robert, qu’est créé à Granville par un capitaine du service d’état-major, un capitaine breveté qui est un copain de promotion de l’école de guerre d’Henri Fresnay, qui a été blessé le 10 mai, qui est revenu comme ça par un train sanitaire à Granville et dès le 17, il comprend ce qui se passe.
C’est un gars qui a du métier, qui a de la formation, il cherche un agent dormant de l’Intelligence Service qu’il trouve tout de suite à Granville et qui, le lendemain, part vers les îles bretonnes sous le contrôle anglais, les îles normandes sous le contrôle anglais et là on a déjà… alors il va s’étendre sur tout le département, il cherche une structure qu’il peut appuyer, il tombe sur les mouvements d’Action Catholique et nous sommes dès la fin juin, dès début juillet, engagés dans ce groupe Robert qui va consister d’une part à faire du renseignement, on a la voie pour évacuer ces renseignements, de faire de la propagande, nous avons des camarades qui parlent allemand, qui font des tracts qui sont pas très intellectuels mais qu’on colle sur les gouttières en allemand pour prouver aux Allemands que leur présence n’est pas du tout acceptée.
On commence à récupérer les armes abandonnées par l’armée française, ce sont des centaines de kilos, un peu partout, qui vont constituer des premiers dépôts. Ensuite, nous allons diffuser un premier journal qui sera tiré à la ronéo qui s’intégrera ensuite dans « les Petites Ailes de France », ce sera « les Petites Ailes de Normandie », propagande contre Pétain, contre Vichy. Malheureusement en octobre 41 ce groupe est démantelé à la suite d’une maladresse. Il est démantelé par l’Abwehr et par la Gestapo. 17 de nos aînés sont arrêtés, 3 sont condamnés à mort, les autres, 14, sont déportés en Allemagne.
L’action militaire
Avec un copain, on décide de passer en zone Sud, nous ne pouvons pas passer en Afrique du Nord, nous nous engageons dans un régiment d’Armistice en avril 42, régiment de cavalerie, on acquiert une formation militaire, on fait le peloton d’élève-brigadier, nous arrivons : au 8 septembre 1942, avec le débarquement en Afrique du Nord des Américains et Anglais, au Maroc et en Algérie, où nous pensons qu’on va se battre.
Nous sommes tous réveillés à 11 heures du soir, nous percevons un stock de munitions, nous sommes dans un régiment de cavalerie monté avec des escadrons cyclistes, nous percevons énormément de munitions.
Moi je suis dans un escadron à cheval, nous avons des chevaux de bât qui croulent sous le poids des munitions, nous restons 6 heures sur la carrière depuis 2 heures du matin, en espérant qu’on va se batte contre les Allemands, les empêcher d’entrer. Pétain refuse, et à 11 heures, on voit passer les premiers détachements allemands qu’arrivent de Bordeaux, je suis à Montauban, qu’est-ce que nous y faisons ? Il n’y a plus rien à faire en zone Libre, nous nous faisons démobiliser de toute urgence et je rentre à Caen.
La ferme familiale
Je reprends contact avec mes amis anciens de la Résistance, je retrouve un colonel qui est responsable du 3ème Bureau pour « Ceux de la Résistance » pour tout le Calvados.
Note sur Robert Guédon :
Mes parents exploitent une ferme. Ils ont cessé depuis le début de la guerre. La propriété est celle de la mère, c’est une grande ferme, il me demande si j’accepterais d’installer un dépôt d’armes parachutées, je lui donne bien sûr tout de suite mon accord. Nous aurons un stock très important d’armes, de munitions, d’explosifs, d’armements, de pièces de sabotage, d’exploseurs, on a tout ce qu’il faut pour armer des groupes.
Nous organisons l’instruction. Le groupe « Ceux de la Résistance », le mouvement « Ceux de la Résistance » dans notre région fusionne avec l’OCM, Organisation civile et militaire de la Résistance dont le réseau est le réseau Centurie.
Mon père est maire de la commune, il fait de la résistance, nous ne le savons pas. Ma sœur aînée fait de la résistance, nous ne le savons pas, elle appartient au réseau Brutus.
Note sur le réseau Brutus
Un autre de mes frères est réfractaire au travail obligatoire, il a basculé dans la clandestinité… Nous nous voyons tous les jours, jamais nous n’en parlons. Mon père, maire de la commune a un ami prêtre catholique qui fabrique des faux certificats de baptême, donc avec un faux certificat de baptême, une bonne fausse carte d’identité, une bonne carte d’alimentation, des enfants, des femmes Juives sont sauvés et ne seront jamais incriminés.
Malheureusement il y a ces agents français qui pénètrent les groupes de résistance et mon père, après avoir refusé de faire une carte pour un garçon qui viendra avec le nom d’un de ses copains qu’il n’a pas vu depuis des années, il a dû le prononcer quelque part, mon père fait la carte, il est piégé le lendemain. Et j’arrive donc à la ferme sur ma mère qui me dit « tu sais ce qu’il est arrivé à ton père ? » elle me dit, « il est arrêté par la Gestapo », je dis « ma pauvre petite mère, il n’y a plus qu’une chose à faire, c’est de déménager les armes », alors je lui ai rappelé ce qu’il y avait et ce qui nous restait, donc à travers champs, nous sommes allés voir le colonel qui était à 2 kilomètres à peine, il a trouvé 8 autres copains du même âge, quelques adultes et toute la nuit, on a déménagé ces armes. 4 heures et demi, nous partons, restent à la maison ma mère, mes trois jeunes frères et sœurs, nous nous étions le matin du 17 décembre, à 4 heures et demi du matin, la Gestapo arrive à 8 heures et demi. Non pas avec mon père, avec mon meilleur camarade responsable du BOA qui était arrêté déjà depuis 3 jours, nous l’ignorions totalement. Il était au vert dans une commune à 35 km de Caen, il a voulu revenir le 12 décembre, souhaiter l’anniversaire à sa fiancée qui habitait Caen. Il n’a jamais pu rentrer chez elle, la maison était surveillée par la Gestapo toutes les nuits, il a été arrêté, torturé, torturé, torturé, une loque, ils se sont donc présentés chez nous.
Ils sont tombés sur ma jeune sœur qui avait 15 ans, en se présentant comme étant de la Résistance, « monsieur Vico père est arrêté, il va y avoir perquisition, nous venons chercher tous nos colis d’armes ». Ma jeune sœur a dit « il n’y a pas de colis d’armes, on a rien à vous, mais rien, rien de rien », « nous voulons voir Jacques », c’est moi, « il est dans la Résistance », je dis non « Jacques n’est pas dans la Résistance », « nous voulons le voir », je dis « vous ne pouvez pas le voir, il est parti », comment ? comment, dans la Résistance, on n’a pas le droit de partir sans ordre, faut qu’il revienne », je ne suis pas revenu, ils ont fouillé, forcément ils n’ont trouvé aucune arme.
Ces armes qui en fait sont descendues à 2 km de chez moi, dans les carrières souterraines de la Maladrerie, après Caen, par d’autres camarades, qui sont ressorties le 5 juin 1944 par d’autres camarades pour armer tous les groupes de Résistance qui vont soutenir le Débarquement canadien et britannique autour de Caen. Elles seront toutes sauvées.
Ils ne trouvent pas d’armes, ils arrêtent ma mère, je ne suis pas revenu, ma mère a donc encore 3 jeunes enfants à la maison, elle sera arrêtée l’avant-veille de Noël, elle restera plusieurs mois en prison.
Mon père va partir au camp de concentration de Mauthausen. Devant l’aggravation de la situation, la poursuite des recherches de la Gestapo, nous quittons les uns les autres la région de Caen, moi je pars dans la Sarthe où j’avais un point de chute, malheureusement le point de chute a échoué, je vais vivre un peu d’errance, et puis trouver quand même des solutions et me retrouver engagé dans la Résistance dans la Sarthe et dans l’Eure-et-Loir.
Le dénouement
Après si vous voulez, moi je reviens le 7 juin 44, alors là je me retrouve dans les groupes de Résistance qui ont survécu malgré les bombardements. Nous avons créé une compagnie, on l’appelle la compagnie Scamaroni, Fred Scamaroni, qui rassemble une centaine d’hommes qui vont faire de nombreuses missions de liaison avec les Canadiens, les Britanniques, certains de nos camarades resteront dans l’armée canadienne, d’autres dans l’armée britannique, et nous, 40 de notre compagnie, après avoir combattu sur toutes sortes de camps, fait de nombreuses missions de sabotage, nous nous engageons dans l’armée américaine le 8 août 44.
Nous sommes 40, nous arrivons au bataillon de renfort à côté d’Avranches à Juilley, avec Maurice Schumann qui nous accompagne parce qu’il veut rejoindre Leclerc, nous sommes affectés à la 2ème Division blindée. La 2ème Division a débarqué du 1er au 4 août, elle est engagée dans la fameuse attaque allemande qui a lieu le 5 août, où une nouvelle armée Panzer allemande constituée par Hitler, s’est mis en action pour couper la tête de la 1ère armée américaine et de la 3ème. La 2ème DB est engagée, dès ces combats du 7 août 44, 40 gars sont au tapis, nous arrivons, nous sommes 40, il faut 40 volontaires ayant la formation militaire, l’expérience de la guerre, nous avons tout ça.
Nous repartons le lendemain matin avec l’uniforme américain et nous sommes affectés aux unités de combat, nous arrivons à Alençon le lendemain même de la libération d’Alençon, avec Maurice Schumann, mes camarades sont affectés au Régiment de Marche du Tchad, pour ma part, ayant fait un travail dans la reconnaissance, cavalerie montée ou engins blindés c’est pareil, donc je suis affecté au 1er Régiment de Marche de spahis marocains et nous sommes engagés dans la forêt d’Écouves, dans la fermeture de la poche de Falaise.
Nous allons faire d’autres liaisons avec des Canadiens et des Polonais qu’on avait vus à Caen fin juillet, début août, puis après, et bien, c’est toute la vallée de Chevreuse, c’est la libération de Paris. Nous irons ensuite à Neuilly, récupérer la Kommandantur du Grand Paris, 800 types, généraux, tout, on est 40 avec un peloton, 5 automitrailleuses…, on passe un accord avec eux, ils restent sous leur commandement, ils gardent leurs armes. Nous nous répartissons dans la colonne et nous les emmenons de Neuilly au quartier Dupleix, après, ben nous montons vers les Vosges, c’est la fameuse bataille de Dompaire, le 13 septembre 1944, je suis en tête du groupement tactique Langlade qui est lui-même en tête de la 2ème DB, nous arrivons à Damas-et-Bettegney, après Ville-sur-Illon, dans une petite côte sinueuse, en bas de cette côte, des Feldgendarmes allemands qui règlent le mouvement de la 112ème Brigade blindée allemande, matériel tout neuf, qui vient de débarquer à Épinal qui monte contre nous.
J’arrive de dos, on ne me voit pas, nous reculons immédiatement, ils nous ont pas vus, et la nuit, on va récupérer les Tanks Destroyers des fusillés marins et le lendemain, c’est la grande bagarre puisqu’on va détruire dans la journée 65 chars allemands, tout neuf, et puis c’est la continuation vers Strasbourg, vers les, tous les combats d’Alsace, et alors ensuite, nous irons jusqu’à Berchtesgaden bien sûr, Munich d’abord, Berchtesgaden où nous terminons la guerre.
Nous reviendrons en catastrophe le 18, avant le 18 de juin 1945 pour défiler aux Champs-Élysées devant De Gaulle et le grand sultan du Maroc qui est fait ce jour-là Compagnon de la Libération et nous défilons avec tous ces régiments, marocains, algériens.
Tous ces gars qui viennent des maquis au visage complètement buriné des vieilles troupes, l’armée française est refaite, c’est vraiment la victoire, et nous nous souvenons que 85 000 Marocains se sont engagés volontairement pour libérer la France, 135000 Algériens, 25000 Tunisiens, c’est l’occasion, tous ensemble, nous avons répondu à l’appel de De Gaulle, voilà.