Gisèle Guillemot
L’engagement
Je suis entrée en résistance dès l’été 40.
Pourquoi si tôt ? Dès l’âge de 15/ 16 ans, comme nos lycéens d’aujourd’hui, je me suis intéressée à ce qui se passait dans le monde et j’ai pris part à différents, mouvements antifascistes.
Aussi, en 1940, après la défaite, je suis triste comme tous les Français et quoique de gauche, l’appel du général de Gaulle, le 18 juin, que j’ai entendu le jour même, par hasard, et bien me remplit d’aise et je me dis et bien c’est formidable, je pars en Angleterre demain.
Et j’habitais le Calvados, donc nous étions à 4 km de la mer, c’était facile de prendre une barque et de s’en aller de l’autre côté. Mais à la vérité, avec mes cinq / six copains, on était toujours ensemble au cours de toutes les manifestations qui se sont écoulées pendant cette période et bien on s’est…. on s’est un peu dégonflé, il faut bien le dire.
Personne ne savait nager vraiment, naviguer encore moins, on s’est dit, pfft… on attendait je ne sais pas quoi. Et puis finalement parmi nous, un des six avait des accointances avec le parti communiste. Au début de l’automne 1940, il nous a dit, « et bien finalement on peut résister aussi ici, c’est possible ».
L’action
A partir de décembre 1940, j’ai distribué mes premiers tracts qui consistaient à demander aux ouvriers de l’usine, parce que j’habitais une cité ouvrière d’une usine de 6 000 ouvriers, c’était donc un gros centre …, un gros centre, et on avait du travail à faire pour demander aux ouvriers de ne pas travailler pour l’Allemagne, parce que très très vite on les a mis à fabriquer naturellement du matériel.
Et puis on a distribué des tracts aussi dans, dans la campagne pour demander aux paysans de ne pas vendre à des prix prohibitifs toute leur marchandise en circulation. Et puis on faisait des petites blagues, les six copains, on mettait du sable dans les moteurs des camions et puis des motos, on changeait de place les poteaux indicateurs, enfin tout un tas de trucs que font des gamins quand ils ont à peine 20 ans.
Et on se disait que ce n’était pas comme ça qu’on allait gagner la guerre, mais tout de même, c’était un, c’était une provocation, un jeu. Mais au cours d’une distribution de tracts, un des six a été arrêté, par deux gendarmes français, les gendarmes de notre cité, on allait à l’école avec leurs enfants.
Faut se rappeler que, un certain nombre de Français ont donné un sacré coup de main aux Allemands dans leur répression. Donc ce camarade est arrêté par les gendarmes français de notre commune et livré dès le lendemain matin à la caserne de la gendarmerie. Il sera condamné à 10 ans de travaux forcés, puis fusillé comme otage le 15 décembre 1941.
Alors ça a été pour moi un grand choc, je me suis dit que finalement c’était plus dangereux que ça n’y paraissait. On s’est trouvé tous les cinq restant très en danger, alors on s’est dispersé dans ce qu’on appelait, l’illégalité, et je suis devenue une petite main de la résistance au, au cœur d’un groupe d’adultes plus solides.
J’ai fait à peu près tous les métiers dans cette résistance. J’ai cherché de l’alimentation pour les clandestins, j’ai fait aussi quelques petits, comment dire, on a forcé un peu les mairies, vous voyez ce que je veux dire, pour piquer de cartes d’alimentation et des cartes d’identité, j’ai fait le guet quand mes copains faisaient quelques, quelques attentats, de petite envergure comme de brûler un stock ou bien de voler des armes quelque part qui étaient… où il y avait peu de surveillance.
J’ai été… j’ai traversé tout le Calvados pour aller contacter des gens, pour leur demander s’ils voulaient nous aider pour essayer de constituer un grand groupe de résistants. Mes camarades ont fait dérailler deux trains, au même endroit à Airan dans le Calvados, à trois semaines d’intervalle, qui ont provoqué de graves dégâts chez les Allemands, une soixantaine de morts.
L’arrestation
Après ces déraillements, naturellement inutile de vous dire que la Gestapo et puis la milice française se sont mises au travail très sérieusement dans le département et finalement, entre décembre 1942 et avril 1943, nous avons été arrêtés à trente-quatre, et notre chef, qui avait été arrêté aussi mais au cours de son arrestation grièvement blessé, s’est évadé de l’hôpital où il était soigné dans, dans le secteur allemand, et les Allemands ont cru que c’était un commando important, ils n’ont pas pu croire qu’il s’était évadé tout seul, comme ça, dans des conditions aussi rocambolesques, alors ils ont pensé qu’il s’agissait d’un commando et ils nous ont expédié à Fresnes.
A Fresnes, nous avons été jugés… seize d’entre nous ont été condamnés à mort, donc je faisais partie de ces condamnés à mort avec une autre femme qui avait 30 ans et qui était institutrice dans le Calvados. On a fusillé les quatorze garçons au mois d’août 43 et puis nous les deux femmes, on a été expédiées avec ceux qui n’étaient pas condamnés à mort en Allemagne. Nous avons eu de la chance, ça n’a pas servi à grand-chose parce qu’elle n’est pas revenue, elle est morte libre dans le convoi qui l’a ramené, mais enfin pendant un certain temps on a été un peu moins malheureuses que dans des camps de concentration parce qu’avant de nous propulser à Ravensbrück puis à Mauthausen, on a, on nous a casé dans une prison où l’on exécutait.
La déportation
Alors grâce à cette condamnation à mort, si je puis dire, je ne suis arrivée au camp de Ravensbrück que dans le courant d’août 44. J’étais NN, il faut vous dire que les Allemands avaient créé une catégorie de gens qui théoriquement ne devait plus… jamais retrouver la liberté et finalement mourir. C’était les NN, « Nacht und Nebel » en allemand, c’est-à-dire « Nuit et Brouillard ». Alors on avait un traitement à part, on habitait un bloc à part, on était vraiment très surveillé et très, comment dire, un peu… à la fois maltraité et privilégié dans ce sens que on habitait un bloc à part qu’on appelait le bloc des NN et on était au moins presque toutes des résistantes et c’était déjà quelque chose de, comment… réconfortant parce qu’on avait la même espérance, celle d’une future victoire des Alliés. On avait donné notre vie et notre liberté et tant pis bon, il arrivera ce qu’il arrivera, mais tout de même on faisait le nécessaire pour que ça n’arrive pas. On s’aidait les unes les autres, on organisait la solidarité, on essayait de continuer notre combat de résistante et bon on a quand même un peu réussi puisque bon, dans la Résistance, on sait que on est revenu un sur deux alors que les Juifs, hélas, ne sont rentrés que 3 000 sur 75 000.