Claude Berthié

Claude Berthié

Résistant au sein de  l’Armée Secrète.

Vidéo

Durée : 9:45

L’engagement

« Pour un bavard comme moi, c’est assez difficile de résumer 4 années de clandestinité en 10 minutes mais je pourrais le résumer en dix secondes.
Les Allemands sont arrivés chez nous, on ne les avait pas invités, il fallait donc qu’ils repartent. C’est simple et de bon goût. Et je pense que ceux qui n’étaient pas de cet avis, étaient à mon avis tout à fait coupables, bien que les Allemands, je dirai pourquoi je les connais un peu mieux que d’autres, avaient une expression favorite, ils disaient « glücklich wie Gott in Frankreich », ce qui veut dire « heureux comme Dieu en France », c’est-à-dire qu’ils aimaient bien la France mais ils la voulaient pour eux.
Il était quand même assez normal que ceux qui étaient là ne soient pas de cet avis.
Donc ces quatre années ont commencé de façon un petit peu compliqué du fait qu’en 1940-1941, on avait simplement sur la tête cette extravagante défaite de nos armées et on n’arrivait absolument pas à comprendre comment la glorieuse armée française qu’on avait vu défiler le 14 juillet 1939 avec des avions, des chars et des machins et des trucs et des choses ait pu être éliminée comme l’armée polonaise qui à cheval attaquait les chars allemands.
Et puis il y a eu Pétain qui a été une honteuse délivrance mais dans le fond il a demandé qu’on arrête les hostilités, ce n’était pas plus mal parce qu’il y a eu quand même, on l’ignore un peu, 90000 morts, dans les armées françaises, dans cette période-là et C’était à mon avis largement suffisant.

L’action

Je suis né à Strasbourg. Voyant arriver toutes ces cohortes en 1940, je ne les ai pas vu du même œil que d’autres. Et puis dès 1940, j’ai commencé à les fréquenter.
C’est-à-dire que j’étais mécanicien dans un garage et ce garage avait été considéré par les Allemands comme affilié à l’armée allemande pour la restauration de leurs motos. Alors il se trouve que j’aime bien les motos, du moins quand on a cet âge-là, c’était passionnant, et puis d’autre part c’était intéressant de rencontrer ces gens-là qui étaient venus de très loin pour nous rencontrer.
Et à part le « England kaput », ils avaient quand même une discussion intéressante, au moins sur les motos, au moins sur le fait qu’ils ne savaient pas que la France, c’était aussi beau que ça, bien qu’on leur ait dit. Et puis les choses étant un petit peu compliqué et que les Alsaciens qui étaient partis d’Alsace ne pouvaient plus y retourner parce que, on disait à l’époque que Strasbourg est sous le feu des canons allemands, ce qui est vrai et cette zone interdite par l’armée française, il a bien fallu qu’on aille ailleurs, et on a prolongé nos vacances de 1939 à Lyon.
Et, étant donné que j’avais commencé le scoutisme laïc, en 1930, je suis, arrivé à Lyon, cherché où étaient les éclaireurs laïcs qui s’appelaient les Éclaireurs de France.
Et Lyon étant la capitale de la résistance, c’est vrai, mais elle a été aussi la capitale du milieu artistique. Elle a été la capitale du milieu scout et très rapidement il s’est constitué des troupes d’éclaireurs et j’ai trouvé parmi tous ceux que je voyais-là avec une identité de vue sur la situation qui m’enchantait.
Et là où j’ai appris qu’il y avait une armée secrète, c’est quand même très romantique, c’était au local où se réunissaient les chefs d’unité de la région lyonnaise.
Alors bien, armée secrète, armée secrète, alors qu’on n’avait aucune idée des précautions qu’il faut prendre dans la vie clandestine et quelqu’un, comme ce fût le cas un peu plus tard, se serait introduit dans le milieu, la Gestapo faisait un coup de filet extrêmement facile de quantité de gens qui peu ou prou appartenaient tous à un réseau français, anglais, américain, etc.
Nous avons donc commencé avec une radio amateur de demander à Londres, ce qui pouvait les intéresser. Et ce qui les intéressait, c’était les convois allemands, les voies ferrées, les stockages de ceci, et on fait du renseignement militaro-ferroviaire et puis on a envoyé ça à Londres.
Et en 1942, on a commencé à comprendre qu’il y avait quand un certain risque à continuer dans cette activité et j’ai mené une vie un peu plus clandestine en rompant les amarres avec ma famille, parce que je trouve que si je prenais des risques, que je n’évaluais pas d’ailleurs, il n’y avait aucune raison que d’autres les prennent avec moi, et j’ai changé de domicile, j’ai changé de nom, j’ai changé d’amis, je suis rentré dans un milieu très catho, excusez-moi, et ce milieu catho, était très bien vu à l’époque puisque l’Eglise de France soutenait largement le Pétainisme.
Ce qui fait, qui faisait, que l’on me donnait pour rien, ce qu’on appelle dans l’action clandestine, une couverture. Et la couverture en temps normal, ça vous tient chaud ! ça vous garde aussi la vie, c’est-à-dire je pouvais me promener dans Lyon, n’importe où, en uniforme. Et pour la police qui me demandait, qu’est-ce que vous faites-là ? je répondais, je suis là pour le service d’ordre, et ça ne faisait pas un pli, ça allait de soi, et tous les gens qui étaient des scouts en uniforme étaient à priori favorables au régime en place.
Les choses ont commencé à se gâter par cette infiltration, dans les réseaux constitués, dont le réseau Gallia dont je faisais partie mais je ne l’ai su que plus tard, parce qu’on ne savait même pas à quel réseau on appartenait mais on s’est aperçu, que moins on en savait, mieux on se portait.
Et ces infiltrations ont fait que, j’habitais la Croix-Rousse à l’époque, pour des raisons de sympathie du commissaire de police de la Croix-Rousse qui m’a fait, en 42, d’admirables vrais-faux papiers ou faux-vrais papiers je ne sais pas mais tout ça en béton 100% et un jour, en bas de l’hôtel où j’habitais, je vois tourner ces fameuses tractions-avant et en sortaient 2 messieurs avec des grands chapeaux comme ça et des manteaux de ciré noir, j’ai dit, ça commence à sentir mauvais !
Ils ne m’ont pas eu ce coup-là mais j’ai trouvé qu’il fallait prendre un peu de recul. Et ce recul, ça a été pendant quelques mois où j’ai été en Suisse faire, un certificat de droit, je me suis dit ce n’est jamais perdu, et puis je suis rentré dès 44, dès la Libération de la Haute-Savoie.
Je suis arrivé à la frontière à Annemasse, il y avait des FTP qui ont trouvé que c’était un peu louche mon histoire qui m’a mis en prison, à tout hasard…et quand j’ai été en prison à Annemasse, j’ai demandé au chef de poste s’il voulait bien donner un coup de téléphone à la Préfecture d’Annecy où je connaissais un certain Yves Farge. Alors 5 minutes après, excuses, voiture, enfin bon, et là je suis arrivé à Lyon pour la Libération de Lyon qui a été, je le regrette pour tous ceux qui n’ont pas été les jours de Libération à Lyon, à Paris où ailleurs, mais c’était du délire absolu ».
Et tous mes copains éclaireurs, « et toi tu faisais quoi, et toi tu faisais quoi… », ils faisaient tous quelque chose, on l’ignorait et c’était très bien.