Christiane Matteoli
L’engagement
J’ai connu mon mari en 1939 quand il s’occupait du reste de… de quelque chose qui avait été fait par le fils de Daladier qui était sur la Jeunesse de l’Empire français, exactement, et je l’ai rencontré là. Il était très jeune puisqu’il devait avoir 18 ans, moi à peu près aussi, et puis je l’ai un peu perdu de vue et après je l’ai rencontré dans une chorale que nous faisions tous les deux.
Je ne pouvais pas supporter les Allemands, je ne pouvais pas supporter le fait de descendre des trottoirs quand un Allemand était en face de moi… j’étais malheureuse physiquement. Et puis nous avons été fiancés et à ce moment-là lui travaillait à la Préfecture de Dijon et où il a eu l’occasion d’avoir des cachets de la Préfecture de Dijon, et sur, je ne sais pas, qui lui a demandé de faire des faux papiers au départ, je pense que c’est le Préfet du reste avec lequel il s’entendait très bien.
Il était à l’époque je crois chargé de mission et il a fait des faux papiers pour des gens qui ne voulaient pas partir au Service Obligatoire. Ces faux papiers se faisaient à côté de chez mes parents dans une petite arrière-boutique d’un marchand de parfumerie et qui étaient des gens admirables du reste, pratiquement tous les soirs en sortant de la Préfecture, je l’accompagnais avec … les documents et on se retrouvait là, et il faisait en série des faux papiers.
Et ça, ça s’est passé pendant deux ans ça, pratiquement. Mais avant ça, j’ai su qu’il avait fait passer pas mal de garçons qui sont partis après comme prisonniers en Allemagne parce que nous étions à Dijon, pas très loin … de la ligne de démarcation. Il essayait de les planquer à droite, à gauche, il en a planqué plusieurs aux Hospices de Beaune, à Dijon
Comme on le voit dans le film, le fameux film « la grande vadrouille ?»
Absolument, et à ce moment-là, il avait par bonheur un cousin qui habitait Montchanin-les-Mines qui pouvait les prendre quand ils passaient la zone, il les faisait passer en zone libre.
L’action au sein du Bureau d’Opérations Aériennes de la France Libre
Il est rentré dans un mouvement de résistance dont le patron était, faisait du parachutage, qui s’appelle Marquis de Chargere qui habitait aussi tout à côté de chez moi, et alors là évidemment ça s’est un peu compliqué parce que, en dehors de ces papiers, il fallait organiser les parachutages. Je crois que c’était des histoires de sabotage. Des sabotages de voies ferrées, de sabotages de trains qui devaient partir en Allemagne ou de ravitaillement. Il y a eu des sabotages qui ont été prévus à ce moment-là et qui ont été faits. Ça a duré presque deux ans.
L’arrestation et la déportation
Jean a été arrêté le 7 avril par la police allemande. Et il a été emmené à Dijon… en prison et nous avons eu un peu de chance si je puis dire parce que le fils du directeur de la prison de Dijon faisait des études de droit avec lui. Ce qui fait qu’il m’a prévenue tout de suite en me disant que Jean était arrêté mais on s’y attendait presque, parce que c’était devenu… trop publique pratiquement et ça ne pouvait pas finir autrement. Du reste la veille de son arrestation, le commandant Pichard qui était, qui s’occupait des Opérations Aériennes était venu de Londres le savait très bien, pratiquement et il avait dit à Jean « tiens encore une semaine et puis après on va voir, parce qu’on a des choses à faire, faut tenir encore une semaine ».
Malheureusement, il n’a pas pu tenir une semaine. Quand Jean a été arrêté, il était en 2èmeannée de licence de droit. Et je me suis dit, après tout je vais aller à la Gestapo porter son code civil. Alors je vais, on entrait très bien… j’étais soufflée du reste que ce soit aussi facile, je suis arrivée à la Gestapo, on m’a demandée ce que je voulais alors j’ai dit « je voudrais voir un commandant », bon alors j’ai été voir un commandant, alors le commandant me dit « alors que voulez-vous ? »
Je lui dis « écoutez voilà, mon fiancé vient d’être arrêté, vous savez très bien ce qu’il a fait, moi aussi, mais c’est pas très grave », je lui dis, « dans le fond ce n’est jamais que des faux papiers… et je voudrais que vous lui passiez ce code civil parce que nous allons nous marier dans deux mois », ce qui était vrai « il doit passer ses examens et il est hors de question qu’il rate ses examens, comme il n’a rien à faire en ce moment, vous allez lui passer… », mais il a pris le code civil et il lui a donné et il m’a même donné l’autorisationd’aller le voir.
C’est un officier de la Wehrmacht j’imagine ?
Un officier de la Wehrmacht mais c’était dans la Gestapo.
Ah c’était dans les locaux ?
Dans les locaux de la Gestapo !
Après vous avez vu votre fiancé ?
Oui, absolument, donc j’avais, je me disais dans le fond c’est très facile de fiche une bombe là-dedans et de faire sauter la Gestapo. On rentre comme on veut, peut-être que, j’étais naïve parce que je ne serais peut-être pas rentrée comme ça.
Avec une bombe ?
Avec une bombe, oui. Ce qui fait que je suis allée à la prison le voir. On ne savait pas les choses vous savez pendant la guerre, et par exemple, on était persuadé que quand on quittait une ville comme Dijon, arrêté par les Allemands et qu’on partait en Allemagne, on ne sait pas où, le dossier ne suivait pas et que, on était, on partait travailler en Allemagne et que c’était pas plus mal. Ce qui fait que quand, et on a poussé un soupir je reconnais, moi j’ai poussé un soupir quand il est parti, parce qu’on venait d’arrêter le Marquis de Chargere et je me suis dit, on va faire un recoupement entre ce que Jean a fait … qui a l’air bénin et le reste. Il ne vaudrait mieux pas savoir. Et effectivement, ils n’ont pas eu le temps de faire le lien parce que Jean est parti 8 jours après.
Alors là, il est parti en déportation ?
Il est parti à Compiègne. Alors il est parti à Compiègne et quand… il est resté 1 mois et demi en prison à Dijon, et on avait aussi, j’ai toujours pensé que c’était une chance, sa cellule donnait sur… la cour des femmes de droit commun et c’était extraordinaire ces femmes, parce qu’ils racontaient, ils pouvaient parler par les barreaux et ils racontaient ce qu’il se passait et ils prévenaient de ce qu’ils avaient entendu.
Par exemple, il m’a dit « j’ai entendu dire que untel allait être arrêté, faut, il faut prévenir, alors les filles j’allais les voir tous les jours, elles me disaient ce qu’elles, ce qu’elles avaient entendu, alors à ce moment-là il y a plusieurs personnes qu’ont pu partir et se sauver et se cacher, alors quand Jean est parti à Compiègne, ça je l’ai su pratiquement tout de suite par ce fameux garçon qui était le fils du directeur de la prison de Dijon, qui est venu me prévenir mais avec un train de retard et moi dans ma naïveté, je pensais que c’était le moment des bombardements puisqu’il est parti à Compiègne… fin avril
Je me disais, je vais prendre un train, je vais le suivre et puis à l’occasion de bombardements sur Paris, je vais peut-être pouvoir le faire évader. Je suis partie avec ma mère qui courageusement a pris sa brosse à dent et moi aussi et on a eu un train de décalage et on a été sous les bombardements à Périgny, à Paris et à Compiègne et on est arrivé là-bas, malheureusement avec un train de retard et je crois que je n’aurais rien pu faire de toute manière mais je pensais que, je me suis dit,« si il y a un bombardement peut-être que je pourrais le faire évader, faire quelque chose ». Ça ne s’est pas passé comme ça.
Vous n’avez pu communiquer avec lui que pendant qu’il était en prison ?
Oui, j’ai pu communiquer avec lui pendant qu’il était en prison, en passant des tranches de pâté en croûte, par les barrières, pâtés en croûte où je mettais des petits mots.
Et à partir du moment où il est parti à Compiègne, là vous n’avez plus jamais eu…
De contact, ni même de nouvelles ?
J’ai eu des nouvelles fausses par un prisonnier à Dortmund, alors qu’il n’était pas à Dortmund puisqu’il était à Misburg, il était près de Hanovre, me disant qu’il l’avait rencontré, qu’il était en bonne santé et puis c’est tout. Alors j’ai pensé qu’il était à Dortmund, ce qui fait que toutes les fois où il y avait des bombardements, je me disais, voilà et ce n’était pas vrai du tout.
La libération
Il a été libéré par les Anglais fin avril, il a été libéré par les Anglais et là il avait le typhus, peut-être que c’est une chose qu’était pas mauvaise pour lui parce qu’on ne lui a pas donné à manger à ce moment-là, il est resté dans un… tout seul, …dans une chambre, tout nu, complètement abandonné.
Dans un hôpital ?
Non pas du tout, dans le camp de Bergen-Belsen
Le camp étant libéré, et il a été soigné par des femmes Juives qui étaient de l’autre côté du camp à Bergen-Belsen et il y avait du reste parmi ces femmes, la mère d’une de mes belles-filles qu’il ne connaissait pas à l’époque mais qui était Juive et qui était déportée et ces femmes, ces femmes elles étaient plusieurs m’a-t-il dit, et elles lui ont permis de rester, de survivre pendant une trentaine de jours hein
Et c’est 30 jours dans le camp après la libération par les Anglais, sans que personne ne vienne le voir
C’est fou hein et quand il est rentré… on voulait lui donner n’importe quoi, il a dit « je ne rentre pas avec toutes ces loques, cherchez-moi un uniforme américain », non anglais, alors il avait un uniforme d’aviateur anglais et il est rentré, bien sûr comme tout le monde en passant par la Belgique.
Debout ?
Debout, … très maigre mais debout…Oui, oui. Et il est rentré, il a fait comme tout le monde le trajet Bruxelles, Lille, le Lutetia avec toutes les questions qu’on leur posait
Et là, vous l’avez retrouvé au Lutetia ?
Non, je ne l’ai retrouvé qu’à Dijon… Parce que là il était pris en charge par la Croix-Rouge, on m’avait demandé de ne pas venir, ça faisait trop de pagaille. Je l’ai retrouvé à Dijon.
A la gare, j’ai été le chercher à la gare et mon beau-père était venu avec nous, malheureusement ma belle-mère n’était pas venue, ce qui a fait un choc à mon mari parce que, il avait perdu un de ses cousins ou un beau-frère, je ne me rappelle plus très récemment, et à l’époque on mettait des bandeaux noirs et mon beau-père avait quelque chose de noir sur son veston, et quand il a vu, il a vu son père comme ça, il s’est dit « ça y est, ma mère est morte », ce qui était pas le cas