Charlotte Nadel
L’engagement
Quand j’étais en 4èmeau lycée Fénelon, nous étions en 1933, au lycée Fénelon et c’est notre professeur d’allemand, Madame Hensley-Eustachequi a commencé à nous parler et à nous expliquer ce qu’était Hitler et le nazisme. Et en 1933, c’était l’année où Hitler avait tous les pouvoirs, c’est donc dès à l’âge de 13-14 ans que j’ai su ce qu’était le nazisme à fond.
Et comme j’ai eu le même professeur d’allemand, Madame Hensley-Eustache, jusqu’en première inclus, c’était en 2ème langue, je ne pouvais pas ne pas faire automatiquement, congénitalement, de la résistance. Quand la France a été envahie, pour moi ce n’était pas l’Allemagne qui envahissait la France, c’était le nazisme, et sachant ce qu’était le nazisme, il était impensable de ne pas réagir.
Alors ça s’est passé de la manière suivante, c’est Hélène Viannay qui s’appelait alors Hélène Mordkovitch est était alors assistante du professeur Lutaud… à la fac des Sciences dans le laboratoire géographie-physique. Je faisais aussi en même temps chimie-générale, Hélène arrive très tôt là dans le mois d’octobre, ou j’étais aide-bibliothécaire et étudiante. Elle me dit « Philippe veut faire quelque chose, il m’a demandé, mais je ne veux pas intervenir seule, qu’est-ce que tu en penses ? », j’ai haussé les épaules pour lui dire « bien évidemment ». Je ne concevais pas qu’on ne puisse rien faire.
J’arrive un jour, dans l’amphis, le bas de l’amphithéâtre et j’ai vu ce spectacle, qui est imprimé dans ma tête, 300 blouses blanches et dans les 300, il y en avait 90%, si ce n’est pas 95% qui portaient, qui s’étaient mis l’étoile jaune sur la blouse blanche. Je regrette, il n’y a pas d’appareil photo de ça, ne s’est fait qu’une fois. Je ne l’ai vu qu’une fois.
Donc les résistants, véritablement, sont à la Sorbonne, des jeunes résistent, sont les premiers à résister. Je crois que tous les pays du monde, ce sont toujours les étudiants qui ont commencé un peu partout.
Vous rencontrez donc en décembre, vous dites en octobre Philippe Viannay, qui veut faire quelque chose ?
Philippe était étudiant, il était philosophe, enfin à la fac des Lettres donc et en ces temps-là, je ne sais pas comment c’est maintenant, mais en ces temps-là les agrégatifs de philo devaient avoir un certificat de la fac des Sciences, alors
C’est quelque chose qu’il veut faire, que vous voulez faire, c’est quoi ?
Alors Hélène Mordkevitch qui avait une machine à écrire, déjà recopiait des tracts. Nous… on trouvait que les tracts ça n’avait pas assez de sex-appeal !!! si je peux dire hein, ça pouvait trop facilement être roulés en boule, jetés dans un ruisseau, on a donc décidé de faire quelque chose qui se tiendrait. Donc un journal, un petit journal pour que les réactions quand ça circulerait ne soient pas d’être jeté, mais d’être lu et d’être passé à d’autres.
Moi j’écrivais pas du tout à l’époque, depuis je me suis rattrapée un peu, mais ils m’ont demandé de m’occuper de la partie technique. Parmi nos camarades, entre autres mes camarades de il y avait Louis Pascaneauet la maman de Louis travaillait au ministère de l’agriculture, et dans son service, il y avait une machine avec un grand rouleau, alors Philippe, imperturbable, a décidé qu’il fallait la récupérer.
Il a donc organisé l’enlèvement, je n’ose pas dire le vol, l’enlèvement de la machine à écrire à grand rouleau, car c’était nécessaire. Et c’est effectivement en plein milieu de journée que Philippe et celui qui était avec lui, je crois que c’est Robert Salmon, sont allés dans le bureau où il y avait une machine avec un gros rouleau, l’ont mis sous le bras, sous la couverture et très normalement au milieu de la foule l’ont emportée.
Nous avons été rejoints par les Volontaires de la Liberté, et il a fallu augmenter le tirage à ce moment-là, on commençait à 5 000, ce n’était pas grand-chose mais c’était beaucoup plus que quelques centaines que d’autres petits mouvements faisaient. On tirait déjà à 5 000, qui fait qu’il a fallu augmenter le tirage de manière importante.
C’est à ce moment-là que Philippe décide avec l’avis et le soutien de Marcel Lebon de faire de la typographie, parce qu’il lui était impossible de tirer un fort tirage sur des caractères d’imprimerie qui se seraient usés, donc déjà, il met en place une clicherie de manière à tirer des clichés à partir des formes. Philippe était extraordinairement doué au point de vue mécanique parce qu’en deux, trois demi-journées, il a su tout faire, hei !!. Moi je regardais ça avec des yeux agrandis.
Donc vous faites ça la nuit, dans une chambre de bonne, vous avez des complicités, des gens qui ?
J’ai monté une petite équipe et il y avait Adrienne Cazajus qui était prof de maths qui était une amie de ma sœur aînée, qui appelait les caractères en italique, les petits airs penchés, quand il fallait qu’on se joigne. J’avais une camarade du lycée Fénelon que j’avais récupérée, Julienne Migneretqui n’est plus de ce monde et puis deux ou trois autres.
Alors vous travaillez la nuit et le jour vous êtes étudiante à la Sorbonne ?
Oh on dormait deux ou trois heures.
Une fois que les journaux sont imprimés, qui les distribue ?
Alors la toute première équipe d’origine, nous étions une petite dizaine, nous avions simultanément, y’avait les rédacteurs, y’avait donc Hélène, moi-même et d’autres, des camarades d’Hélène, nous avions monté des premières chaînes de diffusion et nous nous étions efforcés de les monter de manière à gouverner la diffusion. Alors moi j’avais lu pas mal de livres sur les révolutions de 1917 là en URSS, enfin ça s’appelait la Russie je crois ou l’URSS… et je m’étais… bon on avait pris le système connu chez les militants communistes que chacun en ait trois, que chacun des 3 en ait 3, mais nous autres en tout cas dans mes réseaux, on avait, j’avais limité à 4 niveaux, pas plus et pour vérifier le délai de transmission des journaux, je m’étais re-catalputée au 4ème niveau parce qu’on voulait qu’en deux heures d’horloge… tout le monde ait ces exemplaires.
C’est vous-même qui alliez les distribuer dans le métro, dans la rue, sur les marchés ?
Il y a eu des équipes montées pour ça, moi je l’ai fait. Nous avons fait une distribution publique avec Hélène et deux autres je crois, nous étions à bicyclette, et nous avons choisi pour faire cette distribution de la main à la main, nous avons choisi une rue en pente, alors elle partait du Trocadéro, je crois que c’est l’avenue Marceau, parce que l’avenue Iéna, ce n’était pas suffisant comme pente pour pouvoir se disperser en vélo et séparément les uns des autres, ne pas partir ensemble.
Mais autrement, comme j’avais la partie technique, j’ai absolument refusé par la suite de, d’être liée à des mouvements de ce genre, à des actions de ce genre. Et aucun des miens, de mes ateliers ne devaient, je leur avais interdit de travailler pour d’autres réseaux, d’autres mouvements. S’il y avait eu une faille dans, dans la composition, on était à la base du journal quand même, enfin c’était peut-être les rédacteurs à la base, des rédacteurs, ça se remplace mais des équipes techniques, ce n’est pas pareil, il y a du matériel.
Le journal « Défense de la France » prend de l’ampleur, les Volontaires de la Liberté vous aide à les distribuer et vous continuez toujours à, vous continuez à l’imprimer où, dans les chambres de bonne, dans le sous-sol de la Sorbonne ?
Alors c’est à cause des Volontaires de la Liberté qu’on a dû créer le, les clichés et on a eu, j’ai eu trois ou quatre imprimeries qui fonctionnaient en parallèle, grâce aux clichés, pris à partir de la première forme.
Cette distribution, cette fabrication, ce sont des risques, est-ce que vous pensiez à cette époque aux risques ?
Moi j’ai toujours été une femme d’action, je suis née enfant d’action, je crois, c’est-à-dire que… j’étais une activiste hein, Dieu sait que je me grattais, je n’étalais pas mes doigts de pied au soleil !!!
Mais étant femme d’action, on ne se pose pas de question, dans l’action, on ne se pose pas de question, on fonctionne et ça fonctionne. On fait ce qu’il faut, on est presque, je ne sais pas s’il faut dire qu’on est presque possédé, on n’a jamais eu de fausse note, on fait ce qu’il faut.
Vous avez été obligée de déplacer vos ateliers plusieurs fois ?
Ça s’est fait, oui. Ca s’est fait… d’abord parce qu’on a augmenté, alors un moment donné, je crois que c’est en 1942-43, mon PC était à l’asile, ce que nous appelions l’asile, c’était une école, un jardin d’enfants, c’était…Marlyse Gutman, une Alsacienne qui était la jardinière d’enfants, son appartement était au-dessus des salles de classe et elle nous a donné une des grandes pièces qui faisait toute la largeur du bâtiment, c’est au 11 rue Klock à Clichy. Dans le fond d’une cour et entre le jardin d’enfants et la rue, il y a le bâtiment de l’école primaire et là il y a eu un coup dur parce qu’un jour, ils sont… Marlyse a malheureusement fait une fausse carte d’identité à une Alsacienne qui au bout de douze heures d’interrogatoire a lâché qui l’avait fait, on a vu la Gestapo arriver, bon j’ai pu en faire partir par les toits, par la fenêtre… moi-même j’ai pris une partie du matériel, j’ai pu partir aussi et je l’ai laissée entre les mains de la Gestapo, mais il a bien fallu déménager après.
La rencontre avec Geneviève de Gaulle et Jacques Lusseyran
Geneviève a rendu de très grands services d’abord parce qu’en ces temps-là, dans les deux premières années, il y avait des biographies ou des bruits absolus faux sur le général de Gaulle lancés par Vichy et par les Allemands et comme dans toutes les calomnies, il y a toujours quelque chose qui en reste, et Geneviève a pu décrire son oncle à Philippe.
Philippe Viannay donc l’animateur de « Défense de la France » qui, comme nous tous, ne savait rien sur le Général, on n’avait pas de contact, bon il y en avait quelques-uns qui suivaient , Robert Salmon ou les parents de Robert Salmon pouvaient suivre la radio anglaise, pouvaient l’écouter
La première grande biographie ou un grand article sur le général de Gaulle, c’est Geneviève de Gaulle qui l’écrit et qui parait dans « Défense de la France ?
Oui, oui, ça a paru en deux numéros, en deux fois, et c’est parce que, elle a pu rectifier l’information pour son oncle.
Y’a un autre personnage que vous rencontrez, très emblématique, extraordinaire, c’est Jacques Lusseyran ?
Jacques Lusseyran qui était donc aveugle. Et malgré son handicap, il rentre dans la Résistance. Non seulement il rentre dans la Résistance mais il va jusqu’au bout de ses études.
C’est l’animateur, c’est l’âme des Volontaires de la Liberté ?
Et c’est, il a été l’âme, ensuite il a été donc à Défense de la France et il est responsable de tous les réseaux de diffusion… Paris, région parisienne et province.
Arrestation, maquis et dénouement
J’en avais eu le pressentiment, j’ai souvenir que le matin, je me suis… allant en vélo dans mon local, je profitais de chaque tour de roue, je roulais très lentement, c’était le printemps, enfin c’était l’été, entre le printemps et l’été, je savais que ça serait pour ce jour-là et j’ai le souvenir de m’être dit : si on arrive à 6h30, à 18h30 enfin j’ai dû me dire 6 heures et demi, si on arrive à 6 heures et demi on est sauvé. La PJ était là à 6 heures un quart… On a d’abord huit jours au Palais de Justice, ou quinze jours, je ne me rappelle pas, on était donc dans les sous-sols du Palais de Justice, la grande salle dont le nom m’échappe, avec des droits communs d’ailleurs et c’est le flic qui faisait les cent pas, il y avait juste un soupirail qui donnait derrière le Palais de Justice, sur la place, alors on voyait juste ses pieds, on voyait juste les chevilles, c’est tout, c’est lui qui, à un moment donné, a arrêté ses cent pas, s’est penché au soupirail et nous a crié : y’a eu le Débarquement. On était le 6 juin. Alors on a chanté la Marseillaise… combien de fois on a chanté la Marseillaise en prison !
Vous êtes libérée le 17 août, un peu après ?
Dans la nuit, dans la nuit du 16 au 17 août on nous ouvre les portes et on nous fait partir une à une ou au maximum deux, on nous demande de nous disperser. Alors j’aboutis chez des amis résistants bien entendu dans le 14ème arrondissement et puis le lendemain j’avais rejoint le maquis de Seine-et-Oise et Philippe m’a fait faire tout de suite une mission le long de l’Oise
Une mission d’agent de liaison ?
Une mission d’observation, il s’agissait d’identifier les troupes, j’ai fait plus de 10 kilomètres, j’étais pas contente, j’ai conduit jusqu’à Auvers-sur-Oise, j’étais pas contente, qu’est-ce que vous voulez que je fasse, j’étais quand même une jeune fille hein, et les Allemands étaient ben ils étaient tous à poil en train de se baigner dans l’Oise, qu’est-ce que je pouvais faire ? Entrer dans les bâtiments pour voir leurs écussons, leurs uniformes, oh là là, je n’ai pas l’habitude de faire des scènes mais je lui ai dit ce que j’en pensais quand même. Il ne savait pas quoi faire de moi en réalité.
Alors les souvenirs du mois d’août et bien ils sont un peu fracassants parce qu’on recevait des éclats d’obus de tous les côtés. Philippe était commandant et il avait pour mission d’être toujours entre les troupes allemandes qui reculaient et puis les autres qui avançaient, conclusion, on était toujours canardé des deux côtés !
Puis vous regagnez Paris ?
Alors Philippe m’envoie en mission à Paris, j’y vais à bicyclette par la porte de la Chapelle, j’arrive dans un cinéma où il y avait des orateurs là, en haut de l’estrade, alors comme j’étais chargée de les empêcher de parler parce qu’il y avait déjà des réactions très personnelles et pas du tout au service de la France, disons, ben je ne me suis pas fatiguée, je suis allée m’asseoir au premier rang, ça m’a coupé la chique. Je ne vous donne pas de noms parce que… c’est préférable.
Sur l’importance du témoignage
Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir catalyser chez les jeunes les réactions de faire face. Faire face pour faire ce qu’il faut dans les circonstances que l’on vit… Et ne pas se perdre en… j’ai jamais tiré de plan sur la comète, y’en a qui, ceux qui préparent leur action en disant « oui mais y’a, si, si… », moi je traduis en disant que j’étais femme d’action probablement, je ne sais pas comment il faut l’expliquer, ça fonctionnait, je savais ce qu’il fallait faire et puis voilà et je le faisais faire aussi, mais j’avais de la poigne, ça c’est vrai.