Cécile Rol Tanguy

Cécile Rol Tanguy

Son rôle auprès de son époux le Colonel Rol Tanguy en particulier lors de la libération de Paris.

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L’engagement

Je remonterai un peu en arrière, c’est-à-dire en 1933 quand Hitler a été élu, mes parents ont hébergé des camarades allemands qui fuyaient le régime. Mon père était syndicaliste communiste, donc je suivais l’évolution. Quand est arrivée la guerre d’Espagne, là encore, certains des camarades que j’avais connus sont partis se battre.

Mon père étant syndicaliste, avec Marcel Paul, producteur d’électricité, membre de la Commission exécutive, on m’a proposé aux métallos, et c’est Jean-Pierre Timbaud, futur fusillé de Châteaubriand, qui m’a accueillie, donc je suis rentrée là, j’avais 17 ans, et j’ai continué et puis j’ai connu mon mari, mon mari qui lui était responsable aux Métaux. Il y a fait un premier séjour en 1937

 Il est d’abord parti en Espagne ? …

Oui, toute l’année, pour faire une période militaire. Mon mari a toujours été, je disais, c’était un homme de devoir et un homme de droit. Par conséquent, il ne fallait pas se mettre dans la perspective d’être déserteur.

Il est rentré et entre temps, j’avais adhéré aux Jeunes Filles de France qui était un mouvement aussi progressiste et on cherchait dans les cercles de l’arrondissement où j’étais, entre autres, on cherchait à parrainer quelqu’un qui se battait dans les Brigades internationales. Moi j’ai pensé à Henri Tanguy, alors il m’a répondu « oui, à condition que je reparte », bien sûr il était là pour une période mais il ne savait pas si on déciderait de le renvoyer ou de le laisser sur Paris.

Nous nous sommes donc mariés en avril 39. Et quand mon mari a été mobilisé, il m’a dit « n’oublie pas, notre ennemi, c’est le fascisme ». A partir de là, j’ai suivi, ça venait à la suite de ce que j’avais vécu.

C’est en 1940, après le déferlement de l’armée allemande et où j’ai perdu ma petite fille, quand on est venu me demander, j’ai dit oui, c’était l’évidence, le fascisme était là, c’était donc à continuer à combattre.

L’action

Vers la fin mai, Marcelle Gautier, la femme d’Henri, est venue me trouver en me demandant, puisqu’eux ils avaient été dissous et donc il y avait, ils remontaient des syndicats clandestins. Ils sont venus me demander si je voulais bien taper à la machine, j’avais une machine à la maison qu’on avait prise comme ça, c’était en location, et compte-tenu des évènements, j’ai dit oui tout de suite. Donc fin juin, j’ai été relancée dans tout ça.

       Mon mari lui était donc toujours à l’armée et il avait été envoyé dans la Creuse. Il était remonté avec son régiment dans un régiment mixte Sénégalais. Et je rappelle aussi, ce qui n’était pas à l’époque évident, qu’étant armurier, il avait une petite camionnette et il est allé rechercher au-delà de Combeauxoù il était, des Noirs pour les ramener, pour qu’ils ne soient pas fait prisonniers. Et à ce titre d’ailleurs, il avait été décoré, et il a eu la croix de guerre, et à l’époque, ce n’était quand même pas courant. Il en était très fier de cette croix de guerre.

Il est rentré le 19 août 1940, et tout naturellement, ma demandé, à peine arrivé : « est-ce que tu vois des copains, est-ce que tu as … », je lui ai dit « oui, je suis dans le mouvement et j’ai ajouté qu’à 11 heures, j’ai rendez-vous », il m’a dit « ah je viens avec toi, je vais avec toi ». La personne qu’on a rencontrée, dont je ne me rappelle même le nom : a dit « ben moi, je fais partir l’information tout de suite », et il a donné un rendez-vous à mon mari à 3 heures, à tel endroit. Et à 3 heures, mon mari était dans le mouvement.

Mon mari, avait ses responsabilités, qu’il a continué il pour former des syndicats, les comités populaires de la métallurgie en l’occurrence, qui voulaient remuer un peu, et ça s’adressait aussi aux femmes de métallos pour qu’elles aillent réclamer. Elles avaient des gosses à élever, et rien n’était réglé encore, les prisonniers étaient envoyés petit à petit en Allemagne, c’était une période tout à fait bizarre.

Puis le 5 octobre, il y a eu une arrestation de militants syndicaux, de militants communistes, de maires, de tout ceux qui avait une petite étiquette de gauche, à commencer par des radicaux socialistes qui avaient été aussi dans le Front populaire. Alors il y a eu, par la police française des arrestations et mises dans les camps, c’est comme ça.

Je citais tout à l’heure Timbaud, c’est comme ça que lui et beaucoup d’autres ont été arrêtés et envoyés dans les camps pour finir fusillés. Ce jour-là, j’ai été prévenue par la femme de Gautier, que son mari avait été arrêté. Henri était parti, moi je suis allée le rechercher, je savais ce jour-là où il était, alors que je ne savais jamais dans quel coin il allait. Je l’ai toutefois pas rencontré j’ai rencontré celui qui était son témoin à notre mariage qui m’a dit « mais qu’est-ce que tu fais là », ben j’ai dit « écoute, voilà ce qui se passe », c’était un métallo aussi, responsable, il m’a dit « alors bon écoute, tu rentres dans le premier café », il m’a mise là, il m’a dit « je préviens Henri, et dans un quart d’heure, Henri est là », ce qui s’est fait.

Et lui m’a dit « tu prépares mon baluchon, ce soir je m’en vais » et il a pris la clandestinité le 5 octobre 1940, absolument, il s’est présenté chez un ami qui lui a dit « qu’est-ce que tu viens faire à 10 heures du soir » il avait un vélo, « donc qu’est-ce que tu viens faire ? », bah il dit « voilà, y’a ça », et son copain lui a dit « la maison est à toi, tu viens, tu fais ce que tu veux », et jusqu’au bout, ça a été comme ça.

Et vous, pendant ce temps-là ?

Moi je suis restée chez mes parents et puis je débutais une grossesse

Alors est-ce que vous saviez ce que lui faisait ?

       Oui je savais, parce qu’à partir de ce moment-là, j’ai tapé à la machine pour les métallos, enfin à partir du mois de juin c’est ce que faisais, mais plus précisément pour lui, ce qu’il avait en tête, ce dont il avait besoin et tout. Mais après la naissance d’Hélène, trois

semaines après, c’est l’invasion de l’URSS et mon mari me dit « je passe au mouvement armé, qu’est-ce que tu fais ? « Bah je reste », j’allais reprendre mes liaisons, je reste.

Alors en quoi consistaient ces mouvements armés ?

       Mon mari prenait la direction pour Paris, Paris et en gros la région parisienne et ils ont commencé à organiser vraiment une lutte armée véritable.… Lui il était le patron de ce… le militaire, parce qu’il y avait le politique et moi je faisais la liaison avec ces groupes dont je parle qui eux après répercutaient au-dessous, c’était en descendant, et puis j’avais la liaison au-dessus de ceux qui étaient responsables, je dirais, à l’échelon national. Ça n’a pris corps, je pense là aussi, que vraiment au début 1942.

Donc vous êtes une des rares personnes qui connaissaient tous les différents groupes ?

Ben je connaissais oui, j’avais la liaison avec les différents groupes… moi je connaissais, oui

Alors comment se faisait ces liaisons ?

       Ben on avait rendez-vous à tel endroit. D’un rendez-vous sur l’autre, on fixait le rendez-vous suivant. Au début je dois dire, pendant les trois premiers mois en gros, j’ai fait aussi la liaison du trio de direction dont faisait partie mon mari, parce qu’on n’avait pas tous, les femmes avec lesquelles on pouvait compter, alors j’ai fait un peu la liaison des trois et puis en mai 1942, il y a eu des arrestations dont ceux qui étaient avec mon mari, c’est-à-dire Losserand, conseiller municipal et Carré.

       Carré qui était un ancien d’Espagne et donc à partir de là, ils ont été arrêtés, mon mari lui est resté un petit peu comme ça, mais moi j’avais la liaison quand même avec des camarades. J’ai maintenu une liaison que mon mari a coupée pour certaines c’était dur à reprendre.

       Puis après on a reformé un triangle… ça doit être au mois de juin, un triangle avec Linet et… je me rappelle plus le nom du dernier, mais je le connais bien… avec Roger. Linet qui était un ancien métallo que je connaissais aussi d’avant-guerre, eux ils ont eu leur liaison. Alors on était trois, donc la liaison entre les 3, plus entre les groupes, ça s’étoffait petit à petit, plus avec la direction générale qui continuait. Puis la direction générale, est devenu les FTP au printemps 1942… ça a pris un nom et puis c’était avec Eugène Hénaff que je connaissais aussi parce qu’avant-guerre, il était secrétaire de l’Union de la région parisienne des syndicats.

42, l’arrestation de Losserand et mon mari, très recherché dans la région parisienne, est envoyé

C’est lui qui vous avait dit qu’il était recherché ?

       Ah oui, ça je le savais, mais mon mari en me disant « on passe à la lutte armée », là c’est, il me dit « c’est la mort hein, si on est arrêtés »

Donc il était conscient du risque ?

       Absolument. On l’a donc envoyé dans la région, les régions Poitou-Anjou et il est, on disait à l’époque qu’il supervisait la Bretagne, parce qu’il n’avait pas la Loire-Atlantique, il ne l’avait pas dans ses attributions mais c’était un de ses copains qui a été arrêté et fusillé d’ailleurs à Nantes, qui y était, il le supervisait et donc il est allé là-bas et moi je suis allée le retrouver parce que, à l’automne 43, j’ai été très fatiguée et donc je suis restée 1 mois, j’ai passé le mois de novembre à Paris, il est parti au mois de septembre, octobre, on m’a trouvé trop fatiguée pour le rejoindre, je suis restée un peu et au début décembre, je suis descendue avec lui. Je l’ai rejoint jusqu’au mois de mars-avril où tout étant tombé sur Paris, mars-avril 43 bien sûr, tout étant tombé sur Paris, je suis remontée, on est remontés tous les deux. C’est la seule incursion rurale, si vous voulez, que nous avons faite.

Alors ensuite, arrive 43

1943, il reprend donc, il remonte les FTP parce qu’on avait pensé qu’il n’y avait que lui qui connaissait bien et qui avait les connaissances voulues disons. Mon mari a remonté les FTP avec Epstein dont on parle aussi, Gilles, et puis avec Vallerand qui était un camarade des Métaux aussi et qui lui dit un jour à mon mari « j’ai trouvé un gars, il peut nous avoir des armes » et mon mari lui dit « surtout, tu n’y vas pas, laisse tomber, ne garde rien », il est allé, arrêté, fusillé. Mon mari avait aussi toujours ce souci de tenir au courant de ce qui était fait, et bien les combattants et donc en 43, il avait fait un petit journal « Le Franc-Tireur parisien », que je tapais à la machine.

Quand vous parliez de groupes tout à l’heure, ces groupes étaient composés de combien de personnes ?

Oui, c’était des groupes de 3 et dans le groupe de 3, chacun connaissait ce qui venait au-dessous en groupe de 3, ça veut dire que s’il y en avait qui tombait, l’un pouvait raccrocher éventuellement, et puis il ne tombait pas tout le monde… Et puis dans l’été, il est resté environ 3 mois aux FTP, il est passé ce qu’on appelait le CAD, ça c’était l’organisation qu’avait montée… Yves Farge, qui était de Lyon, il avait monté tout un système, c’était… le Comité anti-déportation, CAD, et mon mari était là, il faisait les faux papiers qu’il avait organisé dans une entreprise à Vanves je crois.

Alors il y avait tout pour faire ces faux papiers, les cachets, … c’était formidable. Et donc il a été là, à peu près jusqu’à la fin de l’année, compte-tenu qu’à l’automne, on a commencé à essayer de monter les FFI, on déblayait un peu le terrain pour qu’à partir du mois de janvier 44, ça puisse se tenir et à partir de janvier 44, il a été au FFI.

Au FFI, 3èmeBureau et puis il y a eu des chutes… entre autres de Jussieu qui lui heureusement est revenu de déportation. Et puis petit à petit, ben mon mari avait de l’ancienneté et quand on est arrivé à juin 44, il était donc l’un des plus anciens et en même temps, tout le monde l’avait jugé à sa valeur, c’est évident. Donc il a été nommé… chef des FFI. C’est ça, c’est le chef des FFI, c’était le titre, et puis tout le monde s’en est bien trouvé, je pense. Ça nous a mené donc à la Libération.

La Libération

Lui, il a fonctionné, si vous voulez, ouvertement à partir du 15 août, mais ouvertement, tout est relatif, mais moins caché. Il avait une planque comme on disait, à Montrouge, et à partir de ce moment-là, il a ouvert un peu, c’est-à-dire que, il y a des liaisons qui arrivaient directement, le concierge était au courant, il avait donné un appartement dont il avait la clé, les gens n’étant pas du tout présents et ne venant pas,

il nous avait donné cet appartement et donc ils venaient, les camarades qui avaient l’autorisation, je dirais, de venir, ils venaient au concierge qui après transmettait à Henri ou qu’Henri voyait directement. Et moi j’ai rejoint, j’ai rejoint le 15 août, parce qu’il avait laissé à la maison sa mitraillette et il avait laissé sa tenue militaire et j’avais ma machine à écrire qui me suivait depuis déjà un moment et le 19 août, moi je suis venue sur Paris faire une liaison, je suis rentrée, j’ai bien vu que tout était en émoi dans Paris, je rentrais pour le lui dire parce que je pensais qu’il avait une liaison, il avait des choses le matin, mais je pensais qu’à midi, une heure, il serait rentré, donc je venais avec l’idée… alors on me dit « mais non, on a vu ton mari à la Préfecture de Police »,  moi je tombais un peu des nues, mais dans cette atmosphère, « oui, oui, il a fait… », « oh, j’ai dit alors, c’est pas compliqué, tout, je prépare tout », alors j’ai rattrapé ma machine, j’ai tout mis chez le concierge, j’ai dit « parce ça c’est sûr, il vient me chercher » et on est venu me chercher en me disant « on vient vous chercher de la part de Rol », à partir de là, on a passé le samedi après-midi, le dimanche et dans la nuit du dimanche au lundi, on a rejoint le PC souterrain où on est restés la semaine.

A Denfert ?

 Oui, et là, j’ai peu vu mon mari…

Vous n’étiez pas avec lui lorsqu’il est monté à Montparnasse ?

Non pas du tout, non, non parce que ces choses à lui, c’était bien défini et les miennes, ma place était là, au secrétariat

Donc depuis le début, les tâches étaient quand même bien différenciées ?

Ah oui, mais elles ont toujours été très séparées, moi j’avais ce que j’avais à faire et lui les siennes. Quand il parlait, j’écoutais, mais je ne lui ai jamais posé de questions.