Bernard De Gaulle
Bernard De Gaulle
Vidéo
Durée : 14:20
L’engagement
En 40, j’avais 16 ans, j’étais déjà dans les équipes de défense passive à Grenoble où j’habitais et… le 17 juin au soir, une réunion de famille a décidé que tous les garçons de plus de 16 ans, risquant d’avoir des ennuis avec les Allemands qui arrivaient, allaient prendre le maquis, le mot a été prononcé.
Déjà ?
Oui. Le 18 juin donc au matin, au petit matin, nous partions nous installer mon frèreRené et deux cousins germains dans un chalet à 2000 mètres d’altitude, dans le massif de Belledonne au-dessus de Grenoble. Et puis au bout de 18 jours, l’oncle Edouard, un frère de ma mère, est monté nous dire l’oncle Charles a fait un appel extraordinaire à Londres, Pétain a signé l’Armistice, donc nous avons débarqué le 3 juillet, retrouvant la vie civile, si je puis dire.
Nous avons organisé notre vie comme ça, avec les questions sur l’oncle Charles. Nous ne doutions pas qu’il avait raison mais nous ne comprenions pas tout. Nous nous sommes précipités sur la radio de Londres le 4 juillet et à partir du 4 juillet 1940, nous étions branchés sur la radio de Londres, bien sûr. Et donc je me suis inscrit à la faculté de Droit et d’Histoire et quelques jours après, avec les camarades, avec lesquels j’avais fait mes études secondaires et qui étaient avec moi en faculté, nous étions dans le hall des pas perdus de la faculté de Droit de Grenoble, nous voyons sortir du bureau du doyen, une jeune fille inconnue en pleurs et voir pleurer une jeune fille, c’est toujours dramatique quand on a 16, 17 ans et nous lui avons dit « qu’est-ce qui vous arrive mademoiselle ? » « ma grand-mère était Juive et à cause du numerus clausus, la faculté de Droit de Grenoble n’a pas le droit d’avoir plus de 6 étudiants Juifs ».
Et nous avons organisé la première grève d’étudiants qu’on a organisé en France, je crois depuis que l’on n’avait pas fait de grève. Le lendemain, j’étais catholique, de famille catholique, j’étais inscrit aux Étudiants Catholiques, l’aumônier des étudiants catholiques réunit ses étudiants, fait l’amphi et commence par nous dire « dans cette année dramatique etc., levons-nous pour saluer le maréchal Pétain, sauveur de la France » et avec mes, toujours les mêmes, on a violemment protesté, nous ne voulons pas nous lever et comme je connaissais très bien cet aumônier puisqu’il était l’aumônier de ma troupe scout d’avant, il m’a convoqué un peu en me disant « mais je te fous à la porte », « mais vous me foutez à la porte mais pour Pétain, c’est zéro, pas question ».
Quelques jours après, c’était le 11 novembre, à Grenoble, il y a un monument qui est très célèbre qui est le monument des Diables Bleus qui est à la mémoire de tous les Chasseurs qui sont tombés au service de la France, nous avions fait un rassemblement, là ça commençait, ce n’était plus cinq que nous étions mais nous étions une cinquantaine à crier « Vive de Gaulle » autour de ce monument. Moyennant quoi le 12 novembre, un commissaire de police a débarqué à la maison, chez mon père et ma mère, en disant « nous avons repéré votre fils, il n’est plus question qu’il continue à faire des affaires comme ça parce que ça va mal se terminer ». C’était d’ailleurs une démarche très adroite qu’a été faite finalement car elle a organisé je l’ai su après une sorte de consensus entre la police de Vichy et ma famille, mon père, ma mère, mon père était grand invalide donc incapable de pouvoir se défendre lui-même et il s’agissait tout de même qu’il puisse vivre, ce qu’il a pu arriver à faire à Grenoble et dans la région grenobloise jusqu’en 43, …jusqu’à ce qu’il soit sauvé par l’abbé Pierre dans des conditions qu’on connaît je crois.
L’abbé Pierre
I l s’appelait Grouès, Pierre Grouès, et il est entré dans la Résistance par nous. Son frère avait épousé une cousine du côté de ma mère. Et au mois d’octobre 40 je crois, la mère de cette cousine, enfin la cousine de ma mère écrit à ma mère en disant « le frère de mon gendre, jeune franciscain, est obligé de quitter son couvent à cause d’une question de santé et il a été envoyé à la montagne, dans le diocèse de Grenoble pour soigner sa tuberculose qui est en voie de guérison, il ne peut pas rester au couvent, est-ce que tu pourrais l’accueillir ? », alors nous avons vu arriver ce petit franciscain, il a été nommé vicaire à La Mure qui est une ville ouvrière, assez ouvrière au Sud de Grenoble, dans la montagne et 2deuxmois après tout le plateau de La Mure hurlait « Vive de Gaulle » partout.
Il a été convoqué par son évêque qui lui a dit « mon cher ami, vous n’êtes pas là pour faire de la…, je vous nomme pour vous surveiller, je vous nomme vicaire à la Cathédrale de Grenoble ». De sorte que l’abbé Grouès était tout le temps à la maison et grâce au ciel, c’est lui qui beaucoup plus tard a pu sauver mon père et ma mère, les a… pour leur permettre de passer en Suisse.
L’action
J’ai tout de suite été dans le mouvement Combat, je distribuais les papiers, on polycopiait ce qu’il fallait, toujours avec mon réseau personnel d’amis très intimes et on se connaissait. Au moment des gros maquis j’ai dû faire probablement une centaine de cartes d’identité, de braves types qui partaient pour les maquis ou qui voulaient changer d’identité. `
J’ai fini ma licence de droit au mois de juillet 43. J’étais convoqué aux Chantiers de Jeunesse pour le 18 juillet parce que j’avais demandé un report d’incorporation aux Chantiers de Jeunesse, donc le 7 juillet j’ai passé mon dernier examen de licence de droit et le 8 juillet Bruno Gérard partait pour l’Espagne.
J’ai raté mon passage en Espagne, et donc j’ai erré pendant plusieurs semaines. Finalement je me suis retrouvé à la frontière de Suisse, à Annemasse, où là je me suis mis en rapport avec un réseau de résistance qui faisait passer les aviateurs alliés en Espagne et je suis allé rejoindre de Gaulle à Alger.
Quand je suis arrivé à Alger, après deux mois de prison en Espagne, etc. …. dans des conditions assez misérables, j’avais été accueilli par la tante Yvonne qui m’avait dit « ce soir, on a quelqu’un à dîner », c’était l’ancien président Benešde Tchécoslovaquie, donc l’entrevue avec l’oncle Charles, il est arrivé, Beneš était déjà arrivé, et j’avais été présenté à cet homme éminent et puis l’oncle Charles arrive « excusez-moi monsieur le Président, ah tiens te voilà Bernard » et puis voilà, on s’est mis à … et je me retrouve en tête-à-tête avec lui et il m’a dit « Bernard, puisque tu vas habiter quelques semaines avec moi, parce que je t’offre l’hospitalité, je veux bien que tu saches que tout ce que tu entends et tout ce que tu vois me concernant et mon action est secret. Et donc je te prierai de n’en parler à personne et de ne prendre aucune note ». J’ai passé un mois de convalescence très utile, à Alger, chez lui.
Le dénouement
Alors l’atmosphère de la Libération, c’est pour moi, la grande libération de la France d’août 44, j’étais à l’école de Cherchell, le 6 juin 44, les cent élèves de l’escadron de l’armée blindée-cavalerie, nous avons donné tous ensemble notre démission en demandant à être envoyé immédiatement comme chef de char ou n’importe quoi pour participer. Et le colonel nous a dit, le colonel commandant l’école nous a dit « et bien je refuse votre démission et soyez tranquille, vous aurez bien le temps d’aller vous battre parce que les aspirants, c’est de la chair à canon donc il y aura de la place ».
Donc je n’ai pas connu la libération de la France, j’ai débarqué à Marseille, autant que je m’en souvienne, le 5 novembre 44, dans les transports de troupes, j’ai rejoint la 1èreDivision blindée où je suis allée boucher les trous que la guerre avait fait dans mon unité.
Et vous êtes allé combattre en Allemagne ?
J’ai combattu en Alsace et en Allemagne oui. Et j’ai été par un hasard extraordinaire…, premier occupant à Berlin alors qu’il n’y avait pas de zone d’occupation à Berlin. Nous sommes arrivés prendre vraiment la place à Berlin.
Comme Français ?
Comme Français bien sûr
Il y avait déjà des Russes ?
Il y avait des Russes, oui bien sûr et les Anglais et les Américains étaient arrivés avant nous oui… On a installé les zones à ce moment-là.
Le général de Gaulle, vous l’avez revu à quel moment ?
Quand j’avais des permissions, je les passais à Alger.
Oui bien sûr
Le 14 juillet 1944, l’école de Cherchell a défilé à Alger. L’ambiance était survoltée. De Gaulle rentrait d’un voyage aux États-Unis et au Canada où il avait fait plus ou moins la paix avec Roosevelt puisque LaGuardia, maire de New-York, avait organisé la plus grande Ticker-Tape Parade qu’on a jamais faite pour, dans l’histoire des États-Unis, pour de Gaulle, le 7 juillet 1944. Le 12 juillet, il était au Canada où il a été très bien reçu. Le 14 juillet, il était à Alger où nous avons défilé et où je suis allé passer la fin de ma journée avec lui à Alger…
Quelle leçon vous tirez… pour la France ?
Je crois que c’est l’unité de la France. L’oncle Charles, la première fois que j’ai été affecté dans une de ses unités, je lui ai dit mais je ne peux pas tolérer de voir des types qui ont encore le portrait de Pétain dans le… plus ou moins clandestinement et il m’a dit « je ne te demande pas ton avis, tu es là, tu restes et il faut faire l’unité ». Et l’unité de la France, elle s’est faite. Elle s’est faite, à part quelques vraiment misérables…, c’est l’unité de la France qui a compté. Et je crois que c’est ça qui compte, et l’esprit de la Résistance, ce n’est pas l’esprit de vengeance contre les malheureux mais c’est l’esprit d’unité qui compte pour moi.