GHEMARD Pierre
Auteur de la fiche : Jacques Ghémard
Pierre Ghémard
Né le 16 juin 1920 à Paris (Xème)
Décédé le 18 juin 1954 à Massy (91)
Le Spahi que vous voyez sur cette photo, est plus jeune que moi, et il le restera pour toujours. Pourtant, c’est mon père. Il n’est pas mort à la guerre mais 9 ans après. Je n’avais pas un an. Jean Pascal Furet m’a demandé de raconter son histoire pour son site sur la 2e DB, alors j’ai essayer de le faire et qui sait, peut être que l’un de vous m’aidera à la compléter.
Pierre Ghémard est né en 1920 à Paris. Sa mère s’appelait Élisabeth Louise Ghémard, elle avait 25 ans, elle « venait du nord« . Il n’a jamais su le nom de son père (après 14-18 les hommes étaient devenus rares). Elle l’a placé chez une nourrice champenoise à Lusigny et puis un jour elle a cessé de donner de ses nouvelles.
La nourrice était âgée et pauvre mais elle avait la richesse du coeur. Elle l’a gardé avec elle malgré l’opposition de son fils déjà adulte qui cessa alors de lui venir en aide.
La loi voulait qu’il ait un tuteur, ce fut Maître Jules Babeau, président de la Société de patronage des libérés et de enfance coupables ou abandonnés.
Mon père est resté longtemps au fond de la classe sans que l’instituteur s’occupe de ce petit bâtard. Et puis un jour, est arrivé un nouveau maître qui s’est intéressé à lui. Il a été reçu premier du canton au certificat d’étude et en 1930, premier du canton, c’était un bâton de maréchal !
Il fit ensuite quelques petits boulots à l’hôpital de Troyes puis, à 18 ans, désirant découvrir le monde, il s’engagea et parti en Syrie dans le 1er Régiment de Spahis Marocains.
On disait alors poliment que la Syrie était un protectorat français. Les spahis avaient en fait le rôle de troupes d’occupation plus que de protection. La troupe étaient encadrée par des officiers français et elle comportait des Français dans ses rangs mais les spahis étaient pour moitié d’origine Nord Africaine.
Mon père fit donc ses classes et appris à maîtriser son cheval nommé Orion. La maîtrise ne fut toutefois pas toujours parfaite puisqu’un jour Orion envoya Pierre dans un cactus. Il essaya d’enlever les épines plantées dans ses mains avec ses dents, mais les épines se plantaient aussitôt dans sa bouche. Je ne pense pas toutefois qu’il lui en ait voulu puisque le cheval à bascule de ma soeur s’appelait lui aussi Orion. (Moi j’ai eu un âne !)
Et puis la guerre arriva, sans conséquences directes pour les troupes en Syrie qui ne connurent pas la «drôle de guerre» et la défaite.
L’Armistice ne fut d’abord pas comprise, mais elle fut finalement rapidement acceptée. Quand un officier proposa à l’unité ou était alors mon père (Escadron Hors Rang du GRDI 192) de rejoindre les Anglais, ils ne furent que deux à sortir du rang. Parti le 28 juin, le 1er juillet il était en Palestine chez les Anglais. Le 1er Escadron de Spahis aux ordres du Capitaine Paul Jourdier passera presque en entier en Palestine le lendemain. Il rejoindra donc cet escadron, le premier et longtemps le seul de ce qui allait devenir le 1er Régiment de Marche de Spahis Marocains.
Leurs premiers combats les opposèrent aux Italiens, au Soudan puis en Érythrée et ils livrèrent probablement les dernières charges à cheval de l’armée française, au sabre et au mousqueton. Dans le carnet qui faisait office de journal de marche de l’escadron, il est cité comme «brigadier signaleur» .
Sans doute rattrapé par son coté bon élève, il fut ensuite affecté au Quartier Général de la division, la 1ere Division Française Libre. La 1ere parce que la seule. Leclerc, de l’autre coté de l’Afrique, n’avait même pas assez d’effectifs pour faire une division.
Le combat suivant fut sans doute beaucoup plus douloureux. Ses anciens camarades de régiment qui n’avaient pas pris la même décision que lui, étaient dans le camp des adversaires. Vichy avait autorisé les Allemands à utiliser ses aéroports de Syrie et son armement. Les Anglais ne pouvaient que réagir, et De Gaulle ne pouvait pas les laisser entrer seuls dans un territoire contrôlé par la France. Mon père partit donc se battre contre l’armée de Vichy, contrairement à son engagement dans les FFL qui stipulait qu’il ne serait pas utilisé dans des opérations contre les forces françaises.
Ensuite, avec le QG 52 de la 2e Brigade Française Libre, ce furent les campagnes d’Égypte, de Libye, de Tunisie (Mais pas Bir Hakeim, c’était l’autre moitié de la division). Certains se souviennent de lui comme d’un monsieur avec des galons (Maréchal des Logis) mais qui dans son rôle de fourrier au quartier général faisait tout son possible pour obtenir ce dont ils avaient besoin. Ce devait être une tache difficile parce que leur approvisionnement passait par les Anglais qui bien sur avait tendance à se servir les premiers. Il apprit à cette époque le confort des chaussettes de laine dans le désert, le goût du thé, le bridge et la langue de Shakespeare.
Quand les spahis du 1er RMSM furent attachés à la 2e DFL qui deviendra la 2e DB., il les rejoignit au 5e Escadron, mais mécontent du rôle qu’il devait y jouer, il demanda «à être remis 2e classe, et muté dans un bataillon de chars. Motif : j’ai été nommé sous-officier étant employé dans un état major sans faire aucun cours et je n’ai aucune aptitude pour faire un gradé» ???
Il se retrouva donc au volant d’une auto mitrailleuse, 2e classe du 4e escadron commandé par Horace Savelli et qui venait du Sud saharien avec Leclerc.
Puis ce fut la longue traversée de l’Atlantique, suivant un grand arc de cercle frôlant les côtes américaines pour s’éloigner le plus possible de la menace allemande. Le plus étonnant, c’était ces ballons captifs traînés par les bateaux pour gêner les attaques des avions. Il eut largement le temps de perfectionner sa tactique au bridge.
Enfin la campagne de France, conduisant son automitrailleuse. Son escadron est parmi les premiers engagés et subit de lourdes pertes en Normandie. Ensuite, il participe aux premières missions de reconnaissances en direction de Paris.
Le 24 août 44, alors que la DB entre dans Paris, près d’un petit village de l’Aube, des résistants dressent un barrage pour bloquer les Allemands. Après une escarmouche selon certains, un réel combat selon d’autres, les Allemands reviennent en force ; ce sont les SS de la 51e Brigade. Ils massacrent des habitants et incendient des maisons. Parmi les morts, le tuteur de mon père, Jules Babeau et sa famille. Dans les cendres, le dossier sur mon père et ses origines.
La bataille continue : Baccarat, les Vosges, Strasbourg le 23 novembre. (ah non ! il est en permission, il est parti rendre visite à Maman Ninie sa nourrice).
Le 12 février 45, télégramme, Maman Ninie est décédée. Elle l’avait attendu pendant toute la guerre, maintenant, elle pouvait partir en paix.
De toute cette campagne, je ne connais que le témoignage de Jean-Joseph Laborde, mon parrain, son copain du 501e RCC qui conduisait un char léger : «chaque fois que je voyais une automitrailleuse détruite sur le bord de la route, je me disais que c’était peut être lui, et j’en voyais beaucoup». Effectivement, les Spahis ont perdu la moitié de leurs effectifs d’Alençon à Berchtesgaden. Ils auraient du mettre plus souvent leurs casques au lieu de craner en calots rouges !
Puis ce fut le retour à la vie civile, où ceux qui, la veille, étaient les héros accueillis à bras ouverts, furent rapidement oubliés. Ainsi, alors qu’il se présentait pour une distribution de chemises il s’entendit répondre qu’elle était réservée aux anciens prisonniers et que lui il n’avait pas été prisonnier (il avait seulement fait la guerre pendant 5 ans).
Les premières années d’après guerre ne furent pas faciles, le ravitaillement manquait et il du regretter les rations anglaise et américaines. Mais le travail lui ne manquait pas et il se fit facilement embaucher comme comptable. Il découvrit Paris, les musées, le théâtre, le plaisir d’apprendre. Il suivit des cours du soir pour se perfectionner et il y rencontra ma mère.
Il voulait voyager, elle voulait se marier et fonder une famille, ils se marièrent. Ma soeur naquit en 1950. Ils s’installèrent à Massy sur l’itinéraire de la DB en route pour Paris. Il pensait accepter un poste de directeur d’une sucrerie à La Réunion quand ma mère lui annonça ma naissance prochaine. Lui qui faisait encore régulièrement des crises de paludisme rapporté d’Afrique, renonça à ce poste jugé dangereux pour ma santé. Je suis donc né à Massy le 28 juin 1953.
Et puis un matin, en se levant, il fut incapable d’atteindre la porte de la chambre. Diagnostic : tumeur au cerveau ! Opération : la tumeur est à un endroit inaccessible, le chirurgien referme et ne lui dit rien. Il se croit guéris, mais il trouve son dossier médical accroché au pied de son lit, et il comprend. Un matin, le mandarin de l’hôpital fait sa tournée avec ses étudiants. Voyant mon père, il dit «Tiens, il est encore vivant celui la !» C’en est trop pour ma mère qui décide de le ramener à la maison où mon père meurt quelques semaines plus tard, le 18 juin 1954. ( Il avait peut être le sens des anniversaires. )
Des années après, la Régie Renault lui envoyait une lettre lui annonçant que la 4CV qu’il avait commandée était enfin disponible. Trop tard, de sa vie, il n’aura rien conduit d’autre qu’une automitrailleuse.
J’ai entendu dans mon enfance l’histoire de mon père, mais je ne l’ai pas comprise. Je pensais qu’il n’avait été qu’un combattant comme un autre dans cette guerre atroce et qu’au fond, il était moins risqué d’être à l’extérieure de la France à cette époque. Et puis un jour, j’ai réalisé qu’il avait fait parti des quelques milliers à avoir choisi le bon coté, contrairement à des centaines de milliers d’autres qui avaient pourtant eu l’occasion de faire le même choix. Il a surtout fait parti des quelques centaines qui ont repris le combat dès la fin de 1940. Et ce choix de reprendre les armes, il l’a refait une deuxième fois en 1943, repartant à zéro comme 2e classe, alors qu’il pouvait rester dans l’abri relatif d’un quartier général. Pourquoi ?
Je ne crois pas que ce soit à cause de l’esprit militaire. Il jura à ma mère que si cela devait recommencer, il déserterait plutôt que de repartir se battre, et je me souviens du fameux calot rouge de Spahi, il n’était plus très rouge, il l’avait mis pour repeindre l’appartement.
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