Hollard Michel
Agir
Auteur de la fiche : John Lichfield Extraits du journal anglais « The Indépendant », repris par « Le Courrier International » du 5 avril 2002
Michel Hollard
Michel Hollard
« l’homme qui a sauvé
Londres de la
Destruction »
En transmettant aux Britanniques les plans des rampes de lancement des fusées V1 pointées vers l’Angleterre, le résistant français a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale. Sa mémoire va peut-être enfin être honorée.
Il y a un peu plus de soixante ans, en novembre 1943, une liasse de croquis sommaires atterrissait dans les bureaux du MI6, les services de renseignements britanniques. Ces documents allaient sauver Londres de la destruction et bouleverser le cours de la Seconde Guerre mondiale. Michel Hollard, le Français auteur de cet acte d’espionnage décisif, s’était ensuite rendu en Suisse pour transmettre ses croquis aux Britanniques. A en croire feu le général Brian Horrocks, commandant d’unité lors du débarquement puis historien, Michel Hollard fut “littéralement l’homme qui sauva Londres”. Depuis six mois déjà, les autorités britanniques recevaient de vagues informations sur une arme secrète développée par les nazis à Peenemünde, dans le nord de l’Allemagne. Elles avaient également reçu des rapports sur la construction de sites mystérieux dans le nord de la France. La liasse de croquis apportée par Hollard à l’ambassade du Royaume-Uni de Berne constitua la dernière pièce d’un puzzle angoissant. Les dessins prouvaient que la Grande-Bretagne, et tout particulièrement
Londres, allait bientôt être frappée par une toute nouvelle génération d’armes terrifiantes, qui répondaient au nom de code allemand Vergeltungswaffen, “armes de représailles”. La réaction des Britanniques fut rapide. A partir de la fin du mois de décembre 1943, les 103 sites de lancement de V1 en France, qui formaient un arc de cercle allant de la
Basse-Normandie au Pas-de-Calais, furent systématiquement bombardés par la RAF.
Il y eut bien une offensive de V1 contre la Grande-Bretagne au mois de juin suivant car les Allemands bâtirent 40 sites plus modestes et mieux camouflés. Mais ils furent rapidement submergés par l’avance des troupes alliées. L’attaque des bombes volantes, que Hitler considérait comme son atout majeur, eut lieu six mois plus tard que prévu et ne représenta qu’une fraction du gigantesque barrage de V1, près de 300 par jour pendant huit mois, grâce auquel les nazis espéraient pulvériser Londres et d’autres cibles stratégiques dans le sud de l’Angleterre. Dans ses Mémoires, le général américain Dwight D. Eisenhower écrit qu’une offensive de V1 à grande échelle aurait probablement “annulé” le débarquement du 6 juin 1944. Ce qui aurait pu prolonger le conflit de plusieurs années.
En 1943, Michel Hollard avait 46 ans. Ce fils de la bourgeoisie protestante française avait créé en 1941 son propre réseau d’espionnage, baptisé “Agir”. Pendant plus de deux ans, il le finança presque entièrement lui-même, recrutant des directeurs d’hôtel, des hommes d’affaires, et surtout des salariés des chemins de fer. Parcourant la France en quête d’informations, il utilisait sa couverture de patron d’une entreprise produisant du gazogène. En l’espace de trois ans, il effectua 49 voyages en Suisse, à pied ou à vélo, traversant 98 fois une frontière étroitement surveillée pour transmettre des informations au MI6.
Hollard finit par être arrêté en février 1944. Sauvagement torturé, il fut déporté. Mais il survécut et atteignit l’âge respectable de 97 ans [il est mort en 1993]. L’historien et documentaire pour raconter son histoire. “Mon père ne supportait pas l’occupation allemande. C’était physique, viscéral”, se souvient Vincent Hollard, le fils de Michel, qui a aujourd’hui 74 ans. “Il avait décidé d’aider les Britanniques. Au bout du compte, les autorités françaises de l’après-guerre ont fini par le considérer comme un agent anglais plutôt que comme un héros de la Résistance. Dans les années de l’après-guerre, la ‘vérité officielle’ a préféré mettre l’accent sur les actions des réseaux de renseignements et de résistance dépendant directement du général de Gaulle. Mon père ne cherchait pas la reconnaissance. Il n’a jamais été très bavard.” Pendant deux ans, Hollard et son réseau ont fourni aux Britanniques des informations détaillées sur les activités militaires et industrielles des Allemands en France. A l’été 1943, l’un de ses agents, un ingénieur des chemins de fer de Rouen, signala que plusieurs chantiers de construction d’une complexité inhabituelle avaient fait leur apparition en Haute-Normandie. Hollard se rendit à Rouen, déguisé en pasteur protestant, et persuada un responsable local de lui communiquer la liste des chantiers.
Il affirma au notable qu’il tenait à veiller au bien-être moral des travailleurs français recrutés de force, et lui montra une mallette pleine de prospectus comme “Le mariage chrétien” et “Le fléau de la maladie”. Puis, se faisant passer pour un ouvrier, il pénétra sur l’un des chantiers, à Auffay, au nord de Rouen. Poussant une brouette chargée de briques, il découvrit une large piste de béton et un cordage bleu s’étendant vers l’horizon. Il nota la direction que semblait indiquer la corde. De retour à Paris, il calcula que la piste bétonnée et la corde étaient pointées vers Londres.
Quand Hollard arriva à Berne après avoir une fois de plus pris le risque de franchir la frontière, le représentant du MI6 manifesta fort peu d’intérêt pour les chantiers de
Normandie. A Londres, il n’en alla pas de même de ses supérieurs. Ils lui envoyèrent un message lui demandant de consacrer toute son énergie à l’exploration de ces nouveaux sites. Le réseau traça des cartes de dizaines de chantiers. Un de ses agents réussit à se faire engager comme dessinateur industriel et copia un plan pendant que son patron allemand lisait son journal aux toilettes, comme tous les matins. Ce sont ces croquis, qui dépeignaient une rampe de lancement et des entrepôts de missiles en béton armé, qui finirent par convaincre les renseignements britanniques de la menace imminente des V1. Outre ses projets audiovisuels, Jean-Pierre Richardot pousse les gouvernements britannique et français à trouver une façon convenable de commémorer le souvenir de Hollard. L’un des projets, appuyé par le ministère des Affaires étrangères français, consiste à persuader Eurostar de donner le nom du sauveur de Londres à un des trains qui assurent la liaison entre les deux capitales. La SNCF étant l’actionnaire majoritaire d’Eurostar, et le réseau de Hollard ayant bénéficié du soutien de tant de membres des chemins de fer, ce choix semble idéal.
Michel Hollard est décédé le 16 juillet 1993