ZAMANSKY Marie
Auteur de la fiche : Sources : Lettres de Madame Zamanski et de sa fille
Marie ZAMANSKY
Marie Zamansky est née le 8 mai 1920. Elle écrit : « Toute ma famille était pacifiste et partisane du rapprochement franco-allemand, mais à partir de 1936 nous avons attendu la guerre, inévitable. Tout de suite nous fûmes contre Pétain, que nous considérions comme « pro-fasciste », et nous avons refusé l’armistice dès le premier ».
C’est en 1942 avec son fiancé Marc qu’elle entre dans le Réseau Mithridate.
La Résistance fut véritablement une affaire de famille. Son père responsable à la SNCF des bâtiments et des voies de chemins de fer informait Marc, son fiancé, de la circulation des trains allemands et des divers travaux entrepris par l’occupant. Sa mère directrice d’école confectionnait des « Vrais faux-papiers », tandis que Marie « coquette et bien habillée » servait de « couverture » quand son fiancé était en repérage pour trouver des terrains propices aux parachutages.
Toute la famille est arrêtée à Beaulieu-sur-Dordogne le 5 août 1943. Marie est d’abord internée à Limoges jusqu’au début de mars 1944, puis à Rennes et enfin à Romainville d’où elle part le 16 avril pour le camp de concentration de Ravensbrück où elle y arrive le 22 avril.
Elle sera libérée, avec sa mère, le 22 avril 1945 par la Croix-Rouge danoise et rentrera en France, après un court séjour en Suède, le 25 juin dans l’après-midi.
Son père et son frère sont morts en déportation, son fiancé lui aussi déporté est revenu de Mauthausen.
Témoignage de Marie Zamanski:
Je m’appelle Marie Hervé. Mon père, Henri Hervé, né le 14 février 1884 était un ancien du Sillon, mouvement fondé par Marc Sangnier, partisan du rapprochement franco-allemand et antimilitariste. Ma famille lisait « l’Aube », journal catholique de gauche de très petit tirage.
Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mon père déplorait la faiblesse de la France et condamnait le nazisme. Toute la famille a été révoltée par les accords de Munich.
En juin 40, quand nous avons entendu Pétain dire: « je fais à la France le don de ma personne », mon père a dit: « ça nous fait une belle jambe! ». Dès que nous avons connu l’appel du général De Gaulle, nous y avons adhéré pleinement. Mais que faire?
En septembre 40, je suis reçue à l’École normale supérieure de Sèvres. En 41, j’ai rencontré Marc Zamansky, élève à l’École Normale de la rue d’Ulm, lors de la présentation officielle des différentes promotions scientifiques. Puis nous nous sommes retrouvés au groupe catholique des sciences, nous avons joué au ballon prisonnier au Luxembourg mais ensuite nous avions des conversations très sérieuses sur Mein Kampf, les camps de concentration…
Plus âgé que ses condisciples, Marc (25 ans) avait été mobilisé, s’était vraiment battu. Puis, frappé par les lois contre les juifs, il interrompit ses études pour se consacrer à la résistance. Il partit pour Lyon, rencontra le général Delestrain, tête de l’armée secrète avec Charles Ximenes (qui y resta). Il fut présenté à Bressac, chef du réseau Mithridate; Marc en devint le responsable pour la zone occupée. Il eut son radio mais dut trouver les autres collaborateurs. Il ne voulait pas me compromettre et ne me disait rien de précis. Je passai calcul différentiel et physique générale et partis pour Beaulieu sur Dordogne comme tous les étés.
A la rentrée 42, je présentai Marc à mes parents. Il nous demanda d’autoriser son radio à émettre de chez nous. Notre appartement était fort grand et communiquait avec l’école de la rue des Archives dont ma mère était directrice, et l’on pouvait sortir dans une autre rue. Le
« Les Français parlent aux Français ». Comme elle était fière le jour où elle a réussi son premier faux tampon! D’autre part, nous recevions en famille plusieurs membres du réseau malgré l’opposition formelle de Marc. C’est ce qui nous a perdus.
Marc habitait toujours à l’École Normale, Monsieur Carcopino, directeur de l’Ecole, fermant les yeux. De plus, le directeur scientifique, Monsieur Bruhat, lui permettait d’utiliser les imprimantes et tout le matériel utile; il été arrêté en 44 (Marc n’ étant pas le seul résistant de l’Ecole: il y a eu 20% de résistants, y compris Monsieur Bruhat, mort en déportation).
En janvier 43, nous nous sommes fiancés. Marc m’a présentée à Monsieur Carcopino. J’ai prévenu Madame Attaingais, directrice de Sèvres, qui m’a prié de bien réfléchir car Marc était un individu « dangereux ». Je le savais bien, c’est pour ça qu’il était l’élu de mon cœur.
Nous devions nous marier le 5 août à Beaulieu sur Dordogne et inviter tout le réseau. Marc a été arrêté le 22 juillet à Paris avec un jeune qui avait été invité chez nous. Ce jeune homme a tout raconté aux Allemands qui l’ont libéré et, leur donnant une prétendue lettre de Marc disant qu’il se cachait et viendrait au dernier moment, il a persuadé mes parents de continuer à préparer le mariage.
Avec ma grand’mère et mon jeune frère, j’étais déjà à Beaulieu car c’était un gros travail de trouver du ravitaillement et de préparer la maison à recevoir de nombreux invités. Nous attendions mes parents et mon autre frère, qui s’appelait aussi Marc.
Mes parents sont arrivés le 2 août. Ils m’ont appris les nouvelles de Marc, mon fiancé, qu’ils pensaient vraies. Croyant le jeune homme, ils n’avaient pas décodé les signes de danger: Marc avait dit de ne jamais croire une lettre écrite au crayon. (Je n’ai jamais vu cette lettre car j’étais coupée du monde: il n’y avait pas de téléphone et les lettres étaient très lentes. Je n’ai su cette histoire qu’à mon retour en 1945.)
Le 4 août au soir, des passants m’ont dit que des messieurs nous cherchaient. J’ai pensé à nos invités. A l’entrée de la ville, une berline stationnait; des hommes en civil avec une fleur blanche à la boutonnière attendaient. Dès qu’ils m’ont vue, ils m’ont fait signe; l’un m’a dit de ne rien dire et de ne rien changer à ce qui était prévu. Ils m’ont suivie dans la maison, ont montré des papiers à mon père, se sont assis sans rien dire, près de la cheminée.
Nous avons rangé toutes les provisions pour les conserver car nous savions que nous ne les mangerions pas puis nous avons récité les complies et chanté le Salve Regina.
Nous sommes partis dans nos chambres; mon père m’a dit qu’ils étaient de l’Abwehr et venaient arrêter le réseau. J’ai entendu mes parents déchirer des papiers toute la nuit, les noms et adresses de nos connaissances; ils détruisirent une lettre de Jacqueline Maury, qui louait son appartement à Marc, nous demandant ce que faisait son locataire, ceci pour éviter que les Allemands ne remontent jusqu’à lui alors que cette lettre aurait pu nous faire deviner que Marc était déjà arrêté.
« Ils » restaient invisibles dans la salle. Ma grand’mère sourde et mon jeune frère étaient déjà couchés et ne savaient rien.
Nous n’avons guère dormi. A 5 heures 30, nous sommes partis à la gare, nous nous sommes assis dans la salle d’attente. Le train est arrivé. Personne n’est descendu. Les Allemands étaient furieux. Ils nous ont ramenés à Beaulieu, nous ont dit de prendre chacun une valise avec du linge et nous ont embarqués dans la berline. Sans un mot, nous sommes allés à Limoges.
Premier arrêt, ils ont déposé papa à la prison; puis, dans la nuit, après de longues formalités, maman et moi à la caserne du 21ème régiment de Limoges. Ils sont partis sans un mot. Les militaires ne savaient que faire de nous; finalement, ils nous ont conduites au mitard. Dans la nuit, ils ont amené une jeune femme. Malgré notre chagrin, nous avons eu envie de rire: elle hurlait « y a t’il des bêtes ici ? » et un gros soldat répondait » ya bett « (oui, lit) et elle criait plus fort encore.
Le lendemain, nous avons été installées à l’infirmerie et la Croix Rouge nous a servi des repas, trois fois par jour. Un gradé m’a emmenée faire du sport dans la cour et m’a poussée sur la balançoire, ça aurait très drôle sans l’affreuse inquiétude pour papa et les deux Marc. Un jour, un jeune soldat nous a ouvert la porte sur la rue en disant « vous libres, moi 8 jours police, moi égal ». Maman n’a pas voulu partir sans mon père de peur des représailles.
Début septembre, un militaire avec une croix de fer et une femme plutôt élégante sont venus nous chercher, nous ont conduites à la gare puis dans le train de Paris; papa était là, dans un compartiment de première: nous nous sommes embrassés et avons voyagé tous ensemble. L’homme et la femme étaient aimables. Lui, venait du front russe; blessé, il était fort content d’être en France. A Paris, ils nous ont dit que nous devions attendre deux heures; papa a proposé de les passer chez nous, rue des Archives. Ils ont accepté; nous avons pris un taxi. A la maison, ils ont vu le poste de radio et se sont installés devant. Pendant ce temps, papa a pris un bain tout en racontant à maman son séjour à la prison de Limoges. Puis, grande discussion: nous pouvions sortir de l’appartement sans être vus des Allemands en passant par l’école et la rue des Blancs Manteaux. Mes parents se sont trouvés trop âgés; de plus, ils craignaient de nuire aux deux Marc.
La mort dans l’âme, nous avons repris un taxi pour la gare Montparnasse et le train pour Rennes. Nous sommes arrivés à Rennes à la nuit. Une voiture nous attendait et nous a conduits à la prison, dans une petite salle où on a pris nos identités puis toutes nos affaires.
Papa est sorti. Nous l’avons vu et embrassé pour la dernière fois. Nous sommes entrées sous la verrière. Il y avait deux étages de balcons à barreaux de fer sous une lumière pisseuse. Maman s’accrocha à mon bras: « Mimie, c’est l’enfer ! » Je lui répondis: « non, maman, le purgatoire, et nous en sortirons. »
Une française, un trousseau de clés à la main, suivie d’une « souris grise », a ouvert une porte du premier étage et maman a disparu. Moi, je suis montée au second et me suis retrouvée dans une immense grenier. Au centre, une longue table en bois fixée au plancher, avec un banc. Dans un coin à droite, un petit lit de fer. Il faisait froid et je ne pus dormir de la nuit sous la mince couverture.
Le lendemain matin, en me tendant un gobelet de café, une prisonnière m’a dit: « Badoglio a cessé la guerre. » Que fallait-il penser ?
J’étais au secret. J’ai eu tout le temps de lire « Maria Jan 17 ans » gravé au moins 10 fois sur la table, le banc, les murs. Je fis ma gymnastique: j’avais plein de place et je me réchauffais. Après la distribution de la soupe, je mis le banc sur la table, escaladai le tout et pus atteindre le vasistas, j’aperçus quelques toits, mais par la suite je pus admirer les plus beaux couchers de soleil de ma vie…
J’étais coupée du monde.
Quelques jours plus tard, une gardienne française m’apporta mon livre de messe et un gâteau de la part de ma tante. Quelle joie! Nous n’étions plus seuls! Tata Marcelle nous avait retrouvés. Je pensais surtout à maman qui était très proche de sa sœur.
Les jours suivants, je sortis pour les interrogatoires. L’Allemand était extrêmement poli, il affectait de parler un excellent français et me demandais de le reprendre s’il faisait une erreur. Je lui demandai une couverture de plus et je l’ai eue le soir même… mais je compris assez vite qu’il était extrêmement rusé et en savait beaucoup plus que moi sur les faits et gestes de toute la famille… Je lui dis qu’il savait. Bien que mon frère, dont il m’a appris l’arrestation, ne faisait pas de résistance. Il me répondit que c’était lui qui portait les papiers chez Madame Jahan et, comme j’insistais, « on ne libère pas un jeune homme de 22 ans. »
Je n’étais pas intéressante, cela ne dura pas longtemps.
Je quittai mon grenier et fus mise dans une petite cellule avec Madame Dorrnadic, une charmante bretonne qui me parut très vieille et qui pleurait à gros sanglots « Je suis en prison ! je suis déshonorée, je n’oserai plus jamais sortir. » Je passais des heures à la consoler. De plus, elle trouvait la nourriture forte mauvaise et se demandait comment on pouvait manger du poulet sans beurre. (Je l’ai retrouvée à Ravensbrück avec sa fille Yvette. Elles sont revenues toutes les deux. Je les ai vues pendant des vacances à Perros-Guirec).
En décembre, on m’a changé de cellule à la demande de Madame Ronnel (?) , une femme sans doute influente à Rennes, on m’a mise dans la cellule de sa fille Éliane qui avait mon âge. La cellule était du côté des hommes et j’entendis enfin les multiples conversations et pus prendre part à la vie de la prison. Marc se signalait en chantant do la si do la fa. Malheureusement, je n’ai jamais entendu mon père, il devait être du mauvais côté.
Madame Ronnel était la générosité même. Elle envoyait un déjeuner copieux tous les midis: deux parts et même trois, lorsque, pendant une courte période, nous avons été trois dans la cellule.
Les gardiennes françaises du rez-de-chaussée s’ingéniaient à nous faciliter la vie: elles passaient des colis, des livres de cellule à cellule, d’où une abondante correspondance semi-clandestine. Entre les femmes et les hommes, Joseph, un Autrichien, faisait de même: il a fait passer plusieurs paquets entre papa et maman.
La nuit de Noël fut mémorable. Dès 11heures du soir, tous les Allemands étaient saouls. Madame Ronnel avait loué une chambre donnant sur la prison. Debout à la fenêtre, elle chantait, interpellait par leur nom de nombreux prisonniers et réclamait sa fille qui entendait bien mais ne pouvait répondre: nous n’étions pas du bon côté. Vers minuit, elle a été arrêtée et est entrée dans la partie française en offrant du champagne à tout le monde. Pendant ce temps des membres de notre réseau s’évadaient. Un seul a réussi, il s’est d’ailleurs cassé je ne sais plus quoi en sautant du mur, et s’est caché. En effet, il connaissait parfaitement la ville et sa région. (je pense que c’est Courrier Besson.)
Après, le régime a été plus sévère, Joseph a été envoyé sur le front russe et nous ne pouvions plus nous passer des livres et des cadeaux.
Fin février ou début mars, nous avons été envoyées à Romainville avec les pensionnaires de la centrale de Rennes.