Lusseyran Jacques
Auteur de la fiche : Sources et bibliographie : Archives nationales, 72 AJ 50 (témoignages de Jacques Richet et Jacques Lusseyran) ; 72 AJ 81 (dossier Volontaires de la Liberté) ; F 17 13385 (intervention du proviseur de Louis-le-Grand en faveur de Jacques Lusseyran, après l'arrestation de celui-ci). Jacques Lusseyran, Et la lumière fut, Paris, La Table Ronde, 1953. Biographie-témoignage rédigée par Jacqueline Pardon in Elles et Eux, de la Résistance. Pourquoi leur engagement, textes présentés par Caroline Langlois et Michel Reynaud, Paris, Tirésias, 2003
Jacques Lusseyran
Jacques Lusseyran est issu d’une famille de la petite bourgeoisie parisienne. Fils unique d’un père ingénieur chimiste et d’une mère ayant poursuivi des études supérieures scientifiques, il est âgé d’à peine seize ans au début de l’Occupation allemande. Son enfance est marquée par un accident qui le rend totalement aveugle dans sa huitième année. Il apprend très rapidement le braille – sa mère en fait de même – et poursuivra de brillantes études au lycée Montaigne, où il rencontre Jean Besniée qui devient rapidement son meilleur ami, son confident, et à Louis-le-Grand. Candidat très sérieux à l’entrée à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il compose pour les deux premières épreuves et, au matin de la troisième, le 1er juin 1943, il apprend que le ministre de l’Éducation nationale Abel Bonnard refuse d’entériner la dérogation qu’il avait obtenue pour se présenter à ce concours malgré sa cécité. Cette décision inique l’amène à se consacrer totalement à l’activité résistante au sein du mouvement Défense de la France. Au cours des années précédentes, il était parvenu à conjuguer ses études en classe préparatoire et son engagement résistant.
Au mois de juin 1940, alors qu’il est à Toulouse où son père avait été affecté, Lusseyran entend le discours de Pétain annonçant la cessation des combats ; un sentiment de honte l’envahit. Le lendemain, l’appel du général de Gaulle le réconforte. À son retour à Paris, en classe de philosophie, il fait une rencontre importante, celle de son professeur d’histoire, Pierre Favreau, qui ne cache pas ses sentiments hostiles envers l’Allemagne nazie. En ce début d’année scolaire 1940-1941, des premiers contacts se nouent entre lycéens. Quelques mots dans des conversations parfois anodines permettent de repérer ceux qui refusent la situation dans laquelle se trouve la France. Un embryon de groupe décidé à agir contre l’occupation allemande prend forme au printemps 1941 et se réunit chez Lusseyran qui joue un rôle central dans le choix des orientations à donner à l’action. Les bases en sont rapidement posées : « considérer la défaite comme provisoire et saisir toutes les occasions pour le dire autour de soi ». Les valeurs défendues sont clairement affirmées : ce ne sera « pas un mouvement national, patriotique non plus, mais un mouvement pour la liberté, c’est tout ». Lusseyran n’est pas germanophobe, mais farouchement anti-nazi. Les premiers membres appartiennent aux classes supérieures des lycées Louis-le-Grand et Henri IV. Le recrutement s’élargira progressivement à d’autres établissements de garçons de la capitale et aux étudiants, sous la direction de Lusseyran qui reçoit chez lui chaque candidat. Le groupe comprend 180 personnes en juillet 1941 ; elles seront environ 300 au début de 1942. L’action de propagande entreprise se manifeste sous la forme de petits bulletins réalisés sur une machine à ronéotyper. La diffusion est très limitée, quelques centaines d’exemplaires tout au plus. Début 1942, Lusseyran et ses camarades estiment nécessaire de réaliser un vrai journal clandestin. Ce sera Le Tigre, en hommage à Clemenceau, tiré dans un premier temps à 500 exemplaires, pour atteindre les 2.000 le 14 juillet 1942. C’est également au début de 1942 que le groupe dirigé par Lusseyran est baptisé. Jusque là, personne n’avait ressenti le besoin de se donner une identité. Les Volontaires de la Liberté naissent ainsi, à la faveur d’un enregistrement officiel à Londres.
Des contacts sont noués avec d’autres groupes résistants : le Front national dans un premier temps, puis Résistance, dirigé par le docteur Renet (Jacques Destrée). Les Volontaires de la Liberté ne sont donc pas isolés. Pourtant, début 1943, quand Lusseyran rencontre Philippe Viannay, il ne connaît pas l’existence du mouvement et du journal dirigés par celui-ci : Défense de la France. Alors que des dissensions commencent à naître au sein des Volontaires de la Liberté, principalement sur les formes de l’action à mener, Lusseyran met les membres de son mouvement à la disposition de Défense de la France. Des équipes de distribution du journal sont organisées dans de nombreuses régions de la zone Nord ; les tirages de Défense de la France augmentent très rapidement pour atteindre les 300.000 exemplaires avec le numéro du 14 juillet 1943 dont Lusseyran a rédigé l’éditorial. À la suite de son éviction du concours à l’entrée de l’ENS, Lusseyran travaille à plein temps pour l’action résistante. S’il ne peut prendre part aux activités de terrain, il n’en dirige pas moins l’ensemble des équipes de diffusion de Défense de la France ainsi que le service des faux papiers du mouvement, particulièrement utile pour de nombreux jeunes gens menacés par le STO. Dans le même temps, Jacques Lusseyran est intégré au comité directeur du mouvement et au comité de rédaction du journal. Cette intense activité est rapidement brisée. Lusseyran est arrêté à son domicile au matin du 20 juillet 1943. Cette arrestation n’est pas isolée ; la trahison d’un membre de Défense de la France, retourné par les Allemands, fait tomber entre les mains de la Gestapo une partie de l’équipe dirigeante du mouvement. Lors des interrogatoires, sa très bonne maîtrise de la langue allemande permet à Lusseyran de ne rien révéler que les Allemands ne sachent déjà. La Gestapo détient en effet un long rapport détaillé des activités de Défense de la France, dont le contenu est communiqué au jeune homme. Fort de ces informations, Lusseyran confirme les faits mentionnés dans le document, ce qui lui permet de taire tout le reste. Lusseyran, en effet, se méfiait depuis quelque temps déjà de l’agent finalement retourné et avait cherché à l’isoler au sein du mouvement.
À la suite des interrogatoires, Jacques Lusseyran est interné à Fresnes. L’intervention du proviseur de Louis-le-Grand en sa faveur ne changera rien à sa situation. Il est déporté le 22 janvier 1944 vers Buchenwald, après un passage au camp de Compiègne. Matricule 41 978, il se retrouve dans le bloc des invalides du petit camp, où il remplit bientôt un rôle fort utile d’interprète. Lusseyran parvient à survivre, malgré la dysenterie et la pleurésie dont il est victime. À son retour de déportation, il épouse Jacqueline Pardon, secrétaire de Philippe Viannay dans la clandestinité. Jacques Lusseyran ne peut toujours pas intégrer le monde de l’enseignement en France. Il occupe quelque temps un poste de professeur et de conférencier à la Mission laïque de Salonique, travaille à l’Alliance Française à Paris puis parvient, enfin, à trouver un poste fixe d’enseignant, aux Etats-Unis, à l’université de Cleveland. Il meurt lors d’un séjour en France, dans un accident de voiture.
L’originalité de ses souvenirs qui, dans la première édition de 1953, s’achèvent avec son transfert à Fresnes, est de faire une large place à sa vie intérieure, aux tourments et interrogations qui sont ceux d’un jeune homme âgé de 18 ans en 1942. Ses activités résistantes ne sont pas négligées, mais replacées dans leur contexte, se combinant avec la scolarité, la découverte du sentiment amoureux et de la sexualité, l’importance de l’amitié.
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