DECOUR Jacques
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Jacques DECOUR
Jacques DECOUR de son vrai nom Daniel DECOURDEMANCHE – est né à Paris le 21 février 1910. Cet enfant des beaux quartiers était destiné à la haute finance, qu’il abandonne très vite, lui préférant la littérature, en particulier les lettres allemandes. Cet amour pour la culture et la langue d’outre-Rhin ne va plus le quitter. Il a vingt ans lorsqu’il se lie d’amitié avec jean PAULHAN qui publie son premier roman, Le Sage et le Caporal (1930), puis Philisterburg (1932), journal d’un séjour en Allemagne qui dénonce avec une précocité et une lucidité rares la montée du nazisme; vient enfin un très beau « roman d’apprentissage »: Les Pères (1936). Decour donne aussi des notes critiques à la Nouvelle Revue française.
Jeune professeur d’allemand, il s’engage pendant le Front populaire dans le militantisme communiste. Nommé à Tours, il y crée, entre 1936 et 1937, une Maison de la culture et un ciné-club, Ciné-Liberté, et publie dans La voix du peuple de Touraine. Quand la guerre survient, il a été muté à Paris, au lycée Rollin, et prend la direction de la revue Commune.
Premiers mois de l’Occupation DECOUR accuse le coup, mais ne se résigne pas. Très vite, il s’engage dans la Résistance intellectuelle, créant coup sur coup, avec le philosophe Georges POLITZER et le physicien Jacques SOLOMON, les revues L’Université libre et La Pensée libre. Il y livre un combat sans merci contre l’esprit de Collaboration, mais aussi un combat acharné pour l’humanisme contre l’obscurantisme.
C’est alors que germe en lui l’idée des Lettres françaises, revue qu’il fonde en 1942 avec Jean PAULHAN. Les Lettres françaises, qu’il n’aura pas le temps de voir paraître, vont être, comme l’a rappelé Vercors dans un hommage repris au début de la biographie Jacques DECOUR, l ‘oublié des Lettres françaises, le vrai point de départ de la Résistance intellectuelle « sans lui il n’y aurait eu ni Éditions de Minuit ni même Silence de la mer. »
Arrêté le 17 février 1942 par la police française, en même temps que Georges POLITZER et Jacques SOLOMON, il est livré aux nazis. Gardé au secret et torturé, il est fusillé au Mont Valérien le 30 mai 1942, quelques jours après ses deux amis. Il a trente-deux ans.
La « dernière lettre »
Madame et Monsieur Decourdemanche, 8, rue de Monceau Paris
Samedi 30 mai 6 h 45.
Mes chers parents,
Vous attendez depuis bien longtemps une lettre de moi, vous ne pensiez pas recevoir celle-ci. Moi aussi, j’espérais bien ne pas vous faire ce chagrin. Dites-vous bien que je suis resté jusqu’au bout digne de vous, de notre pays que nous aimons. Voyez-vous, j’aurais très bien pu mourir à la guerre, ou bien même dans le bombardement de cette nuit. Aussi je ne regrette pas d’avoir donné un sens à cette fin. Vous savez bien que je n’ai commis aucun crime, vous n’avez pas à rougir de moi : j’ai cru faire mon devoir de Français. Je ne pense pas que ma mort soit une catastrophe; songez qu’en ce moment des milliers de soldats de tous les pays meurent chaque jour, entraînés dans un grand vent qui m’emporte aussi. Vous savez que je m’attendais depuis deux mois à ce qui m’arrive ce matin, aussi ai-je eu le temps de m’y préparer; mais comme je n’ai pas de religion, je n’ai pas sombré dans la méditation de la mort : je me considère un peu comme une feuille qui tombe de l’arbre pour faire du terreau – la qualité du terreau dépendra de celle des feuilles – je veux parler de la jeunesse française, en qui je mets tout mon espoir. Mes parents chéris, je serai sans doute à Suresnes; vous pourrez, si vous le désirez, demander mon transfert à Montmartre. Il faut me pardonner de vous faire ce chagrin. Mon seul souci depuis trois mois a été votre inquiétude; en ce moment, c’est de vous laisser ainsi sans votre fils, qui vous a causé plus de peines que de joies. Voyez-vous, il est content tout de même de la vie qu’il a vécue, qui a été bien belle. Et maintenant voici quelques commissions. J’ai pu écrire un mot à celle que j’aime. Si vous la voyez, bientôt j’espère, donnez-lui votre affection, c’est mon voeu le plus cher. Je voudrais bien aussi que vous puissiez vous occuper de ses parents qui sont bien en peine. Excusez-moi auprès d’eux de les abandonner ainsi; je me console en pensant que vous tiendrez à remplacer un peu leur « ange gardien ». Donnez-leur des choses qui sont chez moi et appartiennent à leur fille : les volumes de la Pléiade, les Fables de la Fontaine, Tristan, les 4 Saisons, les petits poussins, les deux aquarelles (Vernon et Issoire), la suite des 4 pavés du roy. Je voudrais que mon ami Michel ait mes affaires personnelles (stylo, porte-mine, portefeuilles, montre et briquet). Embrassez-les tous les trois pour moi. J’ai beaucoup imaginé ces derniers temps les bons repas que nous ferions quand je serais libéré… Vous les ferez sans moi, en famille, mais pas tristement, je vous en prie. Je ne veux pas que votre pensée s’arrête aux belles choses qui auraient pu arriver, mais à toutes celles que nous avons réellement vécues. J’ai refait pendant ces deux mois d’isolement, sans lecture, tous mes voyages, toutes mes expériences, tous mes repas; j’ai même fait un plan de roman. Votre pensée ne m’a pas quitté, et je souhaitais de tout mon coeur que vous ayez, s’il le fallait, beaucoup de patience et de courage, surtout pas de rancoeur. Dites toute mon affection à mes soeurs, à l’infatigable Denise qui s’est tant dévouée pour moi, et à la jolie maman de Michel et de Jean-Denis. J’ai fait un excellent dîner avec Sylvain le 17 février, j’y ai souvent pensé avec plaisir – aussi bien qu’au fameux repas de réveillon chez Pierre et Renée. C’est que les questions alimentaires avaient pris de l’importance ! Dites à Sylvain et Pierre toute mon affection, et aussi à Jean Bailly, mon meilleur camarade, que je le remercie bien de tous les bons moments que j’aurai passés avec lui. Si j’étais allé chez lui le soir du 17, j’aurais fini tout de même par arriver ici, il n’y a donc pas de regret. Je vais écrire un mot pour Brigitte à la fin de cette lettre, vous le lui recopierez. Dieu sait si j’ai pensé à elle! Elle n’a pas vu son papa depuis deux ans…
Si vous en avez l’occasion, faites dire à mes élèves de 1ère, par mon remplaçant, que j’ai bien pensé à la dernière scène d’Egmont, et à la lettre de Th. Körner à son père – sous toute réserve de modestie… Toutes mes amitiés à mes collègues et à l’ami pour qui j’ai traduit Goethe – sans trahir!
Il est 8 heures, il va être temps de partir. J’ai mangé, fumé, bu du café. Je ne vois plus d’affaires à régler. Si : il y a chez Mme Politzer, 170 bis, rue de Grenelle, des objets qui m’appartiennent (livres, notamment ceux du lycée, phono, etc.) Tâchez de les récupérer. Il y a aussi votre Mémorial de Ste Hélène. Mes parents chéris, je vous embrasse de tout mon coeur. je suis près de vous et je sais que votre pensée ne me quitte pas. Votre Daniel
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Ma petite Brigitte chérie
Ton papa ne t’a pas beaucoup vue depuis quelque temps mais il a bien pensé à toi. Dis à ta maman que je lui fais confiance pour faire de toi une fille forte, ferme, gaie, bien solide sur ses deux bonnes jambes. Travaille bien et tâche de devenir une bonne pianiste. Songe souvent à ton grand ami de papa et à toutes les bonnes parties que nous avons faites ensemble. Je t’embrasse de tout mon coeur comme je t’aime et j’embrasse ta maman.
Ton Daniel