Bingen Jacques
Auteur de la fiche : Ce texte a été publié en 1964 dans le numéro du Bulletin de l'association des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, à l'occasion du centenaire de la création de l'Association
Jacques BINGEN
Jacques Bingen, figure emblématique de la résistance, est né à Paris le 16 mars 1908.
Figure éminente de la Résistance française, membre de la France libre dès 1940 puis délégué national du Général De gaulle auprès de la Résistance intérieure française, du 16 août 1943 à son arrestation par la gestapo le 12 mai 1944. Il se suicida pour ne pas parler, et son corps n’a jamais été retrouvé.
Il est compagnon de la Libération.
Issu d’une famille italienne juive, beau-frère d’André Citroën, Jacques Bingen intègre l’Ecole des Mines de Paris en 1926 et en sort ingénieur. Il est également diplômé de l’École libre des sciences politiques.
Dans les années 1930, tout en aidant son beau-père dans la gestion de ses affaires, Jacques Bingen est secrétaire du Comité central des Armateurs. Il se bat vaillamment en 1939-1940 et pendant la débâcle de juin 1940, il fuit, blessé, à l’ennemi.
Rejetant immédiatement l’Armistice, il quitte La Rochelle pour le Maroc et gagne aussitôt de là Gibraltar, déguisé en pilote polonais, puis la Grande-Bretagne, où il parvient en juillet 1940. Le 23 juillet, il se présente à Charles de Gaulle et se met au service de la France libre naissante.
Le 12 août 1940, il prend la tête des services de la Marine Marchande de la France libre, au goût assez imaginaire, mais qui représente un attribut symbolique de souveraineté auquel de Gaulle est forcément sensible. Travailleur solide, en liaison avec l’Amirauté britannique qui abrite ses bureaux, Jacques Bingen se souhaite toutefois de l’action. Très indépendant d’esprit, il n’hésite pas à critiquer en face de Gaulle pour ses penchants autoritaires et sa rigidité de caractère, tout en lui restant indéfectiblement fidèle.
Il entre au BCRA en 1942 et s’occupe des liaisons civiles avec la France occupée. Il rencontre Jean Moulin venu à Londres. Après l’arrestation de ce dernier le 21 juin 1943, il se porte volontaire pour aller aider sur place son vieil ami Claude Bouchinet-Serreules, successeur de Moulin à la tête de la Délégation générale de Londres en métropole.
Le 16 août 1943, il est parachuté en France. Dans la lettre qu’il laisse à sa mère avant de partir, il évoque, parmi ses pensées de choisir cette mission périlleuse: « J’ai acquis un amour de la France plus fort, plus immédiat, plus tangible que tout ce que j’éprouvais autrefois quand la vie était douce et somme toute facile. Et mon départ peut – c’est une chance inattendue – servir la France autant que beaucoup de soldats. J’espère d’ailleurs qu’avant ma fin, j’aurai rendu une grande partie de ces services. Il y a enfin, accessoirement, la volonté de venger tant d’amis juifs torturés ou assassinés par une barbarie comme on n’en a point vu depuis des siècles. Et là encore la volonté qu’un juif de plus (il y en a tant, si tu savais) ait pris sa part entière et plus que sa part dans la libération de la France. »
Jacques Bingen doit faire face à une situation très pénible. Après la mort de Jean Moulin, l’unité de la Résistance subsiste mais beaucoup de mouvements souhaitent recouvrer une plus grande autonomie vis-à-vis de Londres et de ses directives. L’afflux aux maquis des réfractaires au STO pose d’éternels problèmes de ravitaillement, de financement, d’armement et d’encadrement. Enfin, contrairement aux espoirs répandus, le débarquement allié en France ne se produira pas pour 1943, et il faut à la Résistance affronter un nouvel hiver de clandestinité et de lutte.
Jacques Bingen joue un rôle déterminant dans l’unification des forces militaires de la Résistance, qui aboutit à la création le 1er février 1944 des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI), qui rassemblent l’Armée Secrète gaulliste, les FTP communistes et l’ORA giraudiste. Pour financer la Résistance en pleine croissance, il organise le COFI, ou Comité Financier. Il redirige ou maintient les diverses commissions liées au Conseil National de la Résistance, ainsi le NAP chargé de préparer la relève administrative, le Comité d’Action contre la Déportation, qui lutte contre le STO, le Comité des Œuvres Sociales de la Résistance (COSOR), confié au R.P. Pierre Chaillet, qui vient en aide aux familles des clandestins arrêtés et emprisonnés.
Le 15 mars 1944, Bingen collabore à l’adoption du programme du CNR, qui lance les fondements de la réforme du pacte social et de la démocratie en France. A partir de décembre 1943, Jacques Bingen est officiellement délégué national de Londres pour toute la France. Traqué par la Gestapo, il redouble d’énergie et de travail. A partir de mars 1944, il s’occupe plus spécifiquement de la zone sud. Malgré les risques grandissants, il récuse de rentrer à Londres.
Le 12 mai 1944, la trahison de l’agent double belge Alfred Dormal permet à la Gestapo d’arrêter Jacques Bingen en gare de Clermont-Ferrand. Il s’échappe, mais une employée de la Banque de France, ne comprenant pas ce qui se passe, indique son chemin aux poursuivants. Repris, Jacques Bingen avale son cyanure pour ne rien divulguer des secrets de la Résistance, il meurt à Clermont-Ferrand le 12 mai 1944. Son corps n’a jamais été récupéré.
Encore trop méconnu du grand public, malgré l’importance de son rôle historique, Jacques Bingen est reconnu par ses camarades de combat mais aussi par les spécialistes de la Résistance comme l’une des plus pures figures du combat clandestin, aussi l’une de ses plus courageuses, jusqu’au sacrifice de sa vie. Dans son testament, rédigé quelques semaines avant sa disparition, il écrivait: « …Enfin, sur le plan personnel, je voudrais que tous les miens sachent à quel point au cours de ses huit derniers mois, j’ai été souverainement heureux. »