Amyot d'Invite Hubert
Auteur de la fiche : Jean Amyot d’Invite neveu d'Hubert Amyot d'Inville
Hubert Amyot d’Inville
Ecole des Fusiliers marins. Lorient, 5 octobre 2018
Il y a quelques années c’est mon frère Philippe qui aurait évoqué la vie de notre oncle Hubert Amyot d’Inville. Décédé en 2006, mon frère était son filleul. Il avait la même allure, grande, fine et racée. A Rennes, dans son établissement scolaire et dans le scoutisme, on appelait mon frère « Général » – comme dans la Marine on appelait notre oncle « Amiral »- et tout ce qu’il entreprenait devenait un succès. Seul exemple personnel si vous le permettez : j’ai fait une école de journalisme… et c’est mon frère qui est devenu directeur général du plus grand quotidien de France.
Autre symbole : Philippe avait choisi le Général Simon, chancelier de l’Ordre de la Libération, pour lui remettre la Légion d’Honneur en 1998 dans les locaux de la Chancellerie à Paris. Et c’est toujours à mon frère qu’avait été remise officiellement, par l’Amiral Thierry d’Argenlieu, la rosette rouge décernée à notre oncle. C’était à Beauvais, lors de l’inauguration du Boulevard Amyot d’Inville en 1952.
Beauvais où mon oncle Hubert et ses cinq frères et sœurs ont été élevés. Né en juin 1909, il était le troisième de la famille après Odette qui deviendra carmélite ; puis mon père, Jacques, qui fera Saint-Cyr et, officier de Légion de l’Armée d’Afrique, sera tué en 1943 en Tunisie. Suivaient Gérald, le prêtre, qui mourra en déportation en véritable martyr, puis Anne, épouse d’officier, qui décédera elle aussi fin 1945 à Madagascar. Enfin le dernier, Guy, blessé puis prisonnier, est le seul revenu vivant après le Guerre.
Quadruple épreuve pour mes grands parents qui avaient, chacun, perdu leurs deux frères pendant la Grande guerre. En tout huit morts dont sept pour la France. Moyenne d’âge : 33 ans.
Comme ses frères, mon oncle Hubert a fait ses études à l’Institution du Saint-Esprit à Beauvais. Témoignage : « Il était un peu le poète de la famille. Visage échevelé et très fin, démarche ondoyante, volubile et si attrayant. Infini rêveur de la mer. Minutieux, méticuleux mais aussi blagueur et farceur. »
Sa passion : la Marine !Il voulait devenir officier dans la Royale mais de graves problèmes de santé – une forte coxalgie – l’oblige à venir se soigner en Bretagne pendant son adolescence. Trois ans à Roscoff où ses parents l’accompagnent. Il s’oriente alors vers la Marine marchande dont l’Ecole est à Nantes. A partir de 1929, il a 20 ans, il navigue sur toutes les mers du monde allant jusqu’en Chine. Un an sur le navire-école « Jacques Cartier ».En 1932 il entre à la Compagnie Dreyfus. Au début de la guerre il est capitaine au long cours sur la ligne Marseille-Madagascar aux Messageries maritimes. Entre temps, à Bizerte, il a fait son service comme enseigne de vaisseau : plusieurs mois d’enthousiasme, quel que soit le poste. Il espère même rester dans la Marine de guerre, étant reçu au concours, mais comme il est affecté aux hydravions, son médecin estime que le cœur n’est pas assez solide.
Mai 1940. Mon oncle est à Dunkerque.
Il commande un langoustier « La Trombe II »transformé en dragueur de mines. Le bateau est coulé, il attend le suivant qui sombre à son tour et il se retrouve sur un autre dragueur. Lorsque les Allemands atteignent enfin les plages de Dunkerque, 244 000 soldats britanniques et 111 000 Français ont réussi à embarquer et à s’échapper. Première citation à l’ordre de l’Armée pour Hubert Amyot d’Inville qui commandait « un navire dont l’équipage a la plus haute idée du sacrifice de la Patrie ».
*En Angleterre il rejoint le Lieutenant de vaisseau Détroyat.
Avec lui il constitue le Bataillon des Fusiliers marins, l’une des premières unités des Forces navales de la France libre. Les FNFL.Il a franchi le Rubicon. Le 13 juillet il monte à bord du cuirassé Gourbet.14 juillet : défilé devant De Gaulle. 1eraout il recrute : le Bataillon est constitué de 213 hommes.
Sur sa personnalité, je cite Patrick de Gmeline, auteur d’un livre sur les « Quatre frères », paru aux Editions Charles Hérissey : « Amyot a déjà conquis ses hommes mais son image va au-delà. Avec sa silhouette élancée, ses lèvres minces mais souriantes, son regard perçant, son nez aquilin, son crâne osseux, il a une « dégaine » bien particulière, toujours en mouvement, très service-service, mais une chaleur humaine qui le fait aimer par tous ceux qui l’approchent. Et, pour ces garçons plutôt jeunes mais brutaux, sa personnalité d’aristo ne cachant pas sa foi et son esprit chrétien évoque un peu un chevalier du Moyen âge suivi de ses écuyers et de ses gens d’armes. Et ce n’est que le début de l’aventure qui va les rapprocher pendant trois années de combats ».
En juin 1941, après avoir fait le tour de l’Afrique et Suez, les Fusiliers marins mettent le cap vers la Syrie.
Le Capitaine de corvette Détroyat est tué. Mon oncle est blessé. Deux officiers – des Moutis et Touchaleaume sont rappelés en Angleterre. Hubert Amyot d’Inville devient Capitaine de corvette le 5 octobre.
Janvier 1942. Le Bataillon est en ordre de marche. Je cite Patrick de Gmeline : « A force de persévérance, de patience, de diplomatie, de ruse aussi, il est parvenu à équiper son unité de mer en DCA. Il a gagné chaque canon, chaque véhicule, chaque arme contre la force d’inertie des bureaux » Roger Barberot, qui sera de ses hommes, le décrit ainsi : « Grand, osseux, dégingandé, l’œil brillant de ruse qui se prépare à sauter sur une poule, babines retroussées, oreilles droites en pointe, Amyot est une grande figure de la Division. Ses hommes l’appellent avec une affectueuse admiration « L’astuce ». Le reste de la Division l’appelle « Amiral ».Patrick de Gméline précise : « Il est marin dans les plus petits détails : ainsi même en plein désert, sa popote respecte les traditions de la Royale et il ne manque pas de faire des réflexions les plus aigres aux officiers d’autres unités, invités à sa table, qui arrivent en tenue trop négligée ou, pire, mal rasés ».
*Mais la plus belle page de mon oncle s’écrit à Bir Hakeim du 26 mai au 12 juin sous les ordres du Général Koenig. Sur le plan du matériel il réussit à obtenir les fameux canons britanniques « Bofors ». Dans son livre sur Bir Hakeim, l’historien François Broche précise que les Fusiliers marins ont tiré 47.000 obus. Mais les batteries sont repérables. Le 10 juin, une bombe ennemie tue un second-maitre, trois quartiers-maitres et trois matelots. « Le coup est rude mais nous ne devons pas faiblir une seconde » écrit mon oncle dans un ordre du jour. Bir Hakeim va être dégagé en une heure qui parait un siècle. Cette victoire lui vaut une citation à l’ordre de l’Armée pour le 1erBFM, signé par De Gaulle. Même Rommel saura leur rendre hommage.
Un an plus tard, après des centaines de kilomètres en Lybie, en Egypte et en Tunisie et après avoir remis plusieurs batteries en état de combattre, mon oncle reçoit des dizaines de candidats qu’il faut dresser, former, instruire. Il garde les meilleurs, notamment les radios et les mécaniciens. Patrick de Gmeline précise : « Son idée est de transformer son Bataillon de DCA en Régiment motorisé de reconnaissance. Il veut faire de ses fusiliers marins, habitués aux canons, des cavaliers combattant avec des chars. (…) Il espère une chevauchée glorieuse qui, de Tunisie, va mener les FFL jusqu’à Paris et, au-delà, à Berlin. L’idée est bien reçue à l’Etat Major. Il va mettre un peu plus d’un mois, mai juin 43, pour la mettre à exécution. »
Alors il recrute pour augmenter ses effectifs car il veut disposer de 700 hommes en ordre de marche.
Parmi ses officiers de fortes personnalités : Brasseur-Kermadec qui deviendra amiral ; Burin des Roziers ; Alain Savary qui sera ministre – je salue ses filles Isabelle et Nathalie – ; Millet ; Roger Barberot qui sera ambassadeur. Pour obtenir du matériel il fait preuve de ruse. Il obtient ainsi des chars venant des Spahis, de vieilles automitrailleuses et des canons de 75. Sa façon de commander est appréciée : à la fois autorité et simplicité. A force de persévérance il a obtenu ce qu’il voulait : transformer ces matafs, ces « Sakos » de spécialistes de la DCA en véritables cavaliers et en régiment de reconnaissance qui dispose de 17 chars Shermann, 50 jeeps, 50 voitures de reconnaissance, 15 half-tracks, 40 camions, 15 obusiers de 75 sur châssis de chars. Soit une ligne de plus d’un kilomètre.
Ce véritable régiment blindé de reconnaissance va disposer d’un drapeau remis lors d’une prise d’armes en janvier 1944 en présence du ministre Louis Jacquinot, des amiraux Lemonnier et Auboyneau, des généraux de Larminat et Diego Brosset.
Mon oncle trouve quand même le temps d’aller voir ma mère au Maroc puis de la revoir en Tunisie avec mes frères Jacques et Philippe. Ils se rendent sur la tombe de mon père.
*Avril 1944.
Le Régiment quitte la Tunisie pour l’Italieoù la 1èreDFL est affectée au corps expéditionnaire français commandé par le Général Juin. Objectif : Rome. Attaque de Garigliano, près de Cassino. Les combats sont très durs. La lutte est âpre, indécise mais les chars du 1erRFM finissent par enfoncer le dispositif ennemi. Accrochage à Tivoli puis Rome. Pas question de s’arrêter. Le Régiment va jusqu’à Viterbo à 85 kms au nord dans une ville qui a peut-être été le PC du Général Kesselring, commandant les troupes allemandes.
10 juin,soit quatre jours après de débarquement de Normandie il faut déminer le passage. Sa jeep suit le tracé de huit véhicules qui l’ont précédé. Explosion. Mon oncle est tué sur le coup, les reins broyés. L’émotion est énorme. Il venait d’être promu Capitaine de Frégate. Le général Diego Brosset lui rend hommage ainsi que l’Amiral Thierry d’Argenlieu à Radio-Londres.
Deux avisos vont porter son nom.
Le premier lancé en 1948 ira en Indochine où l’un de ses commandants est tué en 1950. Ensuite côte algérienne puis Ecole navale. Il est désarmé en 1965. Le second, qui associe ses frères morts pour la France, est lancé en 1974. Il sera désarmé 25 ans plus tard.
*Pour terminer, permettez-moi de donner une seule lettre – j’aime les moyens mnémotechniques faciles à retenir – et ce sera la lettre F – pour résumer la vie des Quatre frères.
F, comme Famille,une famille unie où chacun joue son rôle : à la fois respect et chahut, épanouissement et joie.
F, comme Foi :bien dans leur peau, ils étaient tous cathos, et pas seulement le prêtre.
F comme Francequ’ils ont servie, chacun à leur manière, en prenant des engagements et des responsabilités, en fonction des lieux et des circonstances.
F comme Faire : dans la vie on peut parler mais on doit surtout agir concrètement.
J’ajouterai Fantaisie : mon père était responsable des chahuts dans sa promo de Saint-Cyr ; mon oncle Hubert était appelé « L’astuce ». (Si j’ai le temps je raconterai l’histoire de l’échange des œufs et des cigarettes dans le désert) ; Gérald, le prêtre, faisait preuve de ruse et de roublardise, cela est bien raconté dans un livre de l’abbé Jean Marie ; le dernier, Guy qui était mon parrain, aimait le rire et la vie… lui qui était revenu vivant. Il est décédé en 2002 quelques mois après sa sœur ainée, Odette, qui avait passé 70 ans derrière les barreaux de son monastère où elle savait se distraire et chanter tout en partageant les joies de sa famille. Les deux sont donc décédés plus d’un demi-siècle après la mort de leurs quatre frères et sœur.
Jean Amyot d’Inville