DUPAU Gilbert

Auteur de la fiche : Témoignage de G ilbert Dupau: Transcription Marc Fineltin

Gilbert DUPAU


Evoque son parcours dans la Résistance :

  • L’UJAF

« En 1938 j’assurais les fonctions de secrétaire de la fédération des Landes de l’Union des jeunesses Agricoles de France, (UJAF), organisation démocratique et antifasciste de la jeunesse rurale. Les adhérents de l’UJAF sont de jeunes travailleurs entrés dans la vie active dès l’âge de 14 ans. Aux côtés des adultes, ils sont engagés dans des luttes sociales et politiques qui caractérisent la période du front populaire

L’UJAF est dissoute le 26 septembre 1939. Au cours d’une perquisition à mon domicile par la police, tous les documents sont saisis. Aux yeux du gouvernement, l’UJAF est une association à tendance communiste qui, sous couvert d’œuvres sociales, a embrigadé, pour le parti communiste, les jeunes gens de moins de 20 ans, et est considérée comme dangereuse pour la défense nationale et la sécurité publique.

Au mois de juillet 1940, Jean RIEU, agent de liaison interrégional de la jeunesse communiste clandestine, se rend à Carcen-Ponson et me charge de mettre sur pied, dans le département des Landes, une organisation de résistance, sur les structures de l’Union de la Jeunesse Agricole de France.

Au mois d’octobre 1940, la Jeunesse Communiste Clandestine est structurée dans les cantons de Tartas Ouest et Est, de Morcenx, dans la région de Lue. A la direction départementale se trouve, à mes côtés, René DUPAU dit « Roger ».

Voici les représentants locaux : Arengosse , Abel LASSEPT ; Arjuzanx, Camille LARRAIGNE et Albert CASSAGNE ; Boos, René DUPAU et Georges DARRIEUTORT ; Carcen-Ponson, René COUROUVAN et  Gabriel DOUSSANG ; Lue, Ismaël GARNUNG; Luglon, André FILLIOL ; Meilhan, G. DUPOUY ; Morcenx, Robert MESPLEDE ;  Souprosse, Gaston MADRAY et Roger DUBROCA ; Ygos, Fernand DULUC.

Ils sont âgés de 17 à 20 ans

  • Octobre 1940, le premier Tract

Un tract, dont le texte est rédigé par René DUPAU, membre de la JC, cultivateur à Boos. Il dénonce le pillage de l’économie française par les troupes d’occupation et la collaboration du gouvernement pétainiste avec les nazis, appelle au civisme les Français en les invitant à s’opposer au racisme, et à la perte des libertés.

Je reproduis cinquante exemplaires à la machine à écrire.

Cette machine à écrire, de marque «Oliver », appartenant à l’UJAF, à échappé à une perquisition par la police à mon domicile, lors de la dissolution de cette organisation, en septembre 1939.

  • La période 1940-1941

C’est une phase de structuration : recherche des contacts, diffusion de la presse clandestine dans la plupart des cas uniquement auprès des sympathisants, collecte de tickets d’alimentation pour les membres passés dans la clandestinité, fabrication de fausses cartes d’identité, recherche de lieux d’hébergement pour les clandestins. L’Organisation Spéciale du parti communiste (OS) et la Jeunesse Communiste clandestine (JC), mènent une activité parallèle qui, au début de l’année 1941, rayonne sur l’ensemble du département.

L’O.S. dont la direction départementale est assurée par Emile LAHOUZE, Emile LABEGUY et Edouard GREGOIRE tous trois de Saint Paul les Dax, et la J.C. dont la direction départementale est assurée par Gilbert DUPAU de Carcen-Ponson et Roger DUPAU, dit René, de Boos, sont intégrées au sein du Front National de Lutte pour la Libération et l’Indépendance de la France (FN), en mai 1941, en mars 1942 aux FTP.

  •  Sabotages du 1er mai 1942

 Deux groupes, Carcen-Ponson et Souprosse sont prêts pour effectuer des actions de sabotage.

 Dans la semaine précédant le 1er mai, j’ai une entrevue avec Camille DOUSSANG à Tartas chez Joseph CURCULOSSE, mutilé de la guerre 14-18, qui nous apporte une aide ponctuelle. Artisan sandalier, il tient un magasin de vente d’espadrilles à Tartas où Edouard GREGOIRE dépose les tracts destinés aux groupes de Carcen-Ponson et de Souprosse. Nous nous rencontrons dans l’arrière boutique où se trouve la cuisine. Joseph est debout devant la cuisinière, l’air grave. C’est la première action importante de Francs Tireurs dans le département. Qu’elle sera la réaction de la population en cas d’arrestation d’otages ?

Après mûres réflexions, la décision est prise.

 Le sabotage aura lieu dans la nuit 30 avril au 1er mai. Le groupe FTP de Carcen est chargé du sabotage le l’usine de distillerie de résine de Ponson, le groupe FTP de Souprosse de celle de Tartas.

Les deux actions seront engagées simultanément à minuit. Les objectifs ne seront communiqués que l’avant veille, à Célestin CLAVE et Raoul BATS pour Ponson, à Roger DUBROCA et Gaston MADRAY pour Tartas. Les consignes de sécurité seront strictement appliquées. Chaque groupe recevra une bouteille d’essence. Le PC sera établi chez Félix et Germaine LAGÜE à « la Peyrère » qui sera aussi la base de départ pour les deux FTP de Carcen. »

Le 1er mai 1942, à 0 h 15, les deux usines sont en feu. Les sirènes hurlent, Alors que les pompiers et la police se dirigent vers l’un des incendies, ils constatent qu’une deuxième usine est la proie des flammes.

Cinq otages, tous communistes en résidence surveillée sont arrêtés. Dans la semaine qui suit, le domicile de mes parents ainsi que la saboterie, sont perquisitionnés par la police française.

 Le Sabotage de l’usine de distillerie de résine « Navarre » de Tartas Voici le témoignage de Gaston MADRAY

« Le 29 avril 1942, Gilbert DUPAU, notre chef de secteur, se rend chez Roger DUBROCA pour nous informer que dans la nuit du 30 avril au 1er mai, nous sommes chargés de saboter l’usine de distillerie de gemme de Tartas. Cette action se situe dans le cadre de la célébration du 1er mai 1942 sous l’occupation nazie. Il remet une bouteille d’essence à Roger en indiquant qu’un deuxième groupe doit, au même instant, saboter la distillerie de Ponson. Avant d’effectuer le coup de main, une rencontre est prévue avec Gilbert DUPAU à 21h30 afin de recevoir les dernières instructions.

Au soir du 30 avril, DUBROCA et moi partons à bicyclette, à la nuit tombante, vers l’usine. Je vais seul au rendez-vous fixé par Gilbert DUPAU sur la route à mi-chemin de Tartas et Carcen-Ponson pour recevoir les dernières instructions : début des sabotages à 23 h30 précises, les deux groupes devant agir simultanément.

Il est 22 h lorsque je rejoins DUBROCA qui m’attend aux abords de l’usine. Nous cachons nos bicyclettes derrière une haie, à l’intérieur d’un champ. Non loin de là, de l’autre côté du chemin, est située une maison. Il fait un beau clair de lune ce qui nous permet de mieux situer les lieux. Une large porte métallique munie d’une serrure ferme l’entrée de l’usine. Nous constatons qu’il y a un espace entre le sol cimenté et le bas de la porte. De petite taille et très mince, Roger DUBROCA se glisse entre le bas de la porte et le sol et réussit avec difficulté et quelques contorsions à s’introduire à l’intérieur. Aussitôt, il ouvre la porte pour me permettre de rentrer.

 Nous avons l’impression que l’usine est éclairée. Après quelques hésitations, nous avançons avec prudence. Après avoir tout contrôlé, nous constatons que c’est bien le clair de lune qui est à l’origine de cette illumination.

Nous inspectons les installations pour étudier les éventuelles possibilités d’une mise à feu de l’intérieur même. C’est ainsi qu’en empruntant un escalier, nous découvrons, à 3 mètres de hauteur, les chaudières où est distillée la gemme. Nous enlevons un couvercle. Cela provoque une chaleur difficilement supportable mais l’essentiel est fait.

Nous retournons près de la porte d’entrée où se trouve un moteur dont le réservoir est plein. Nous fixons des chiffons imbibés d’essence à l’extrémité d’un long bâton.

Il est 23 h. Il nous reste une demi-heure à attendre. Ayant aperçu un autre bâtiment en face, nous décidons d’aller voir. Ce sont certainement les bureaux de l’usine. En ouvrant les tiroirs, nous trouvons des paquets de fiches, portant, sans nul doute, les relevés des rentrées de gemme. Nous les récupérons pour les jeter dans la chaudière.

Enfin l’heure H arrive ! Après avoir enflammé les chiffons imbibés d’essence, nous les jetons à l’intérieur de la première chaudière. Mais quelle surprise et quelle peur ! Une flamme gigantesque jaillit et nous nous retrouvons sous cette flamme. Nous avons eu tort de ne point prévoir une telle chose. Pris de panique, nous ne prenons pas le temps d’emprunter l’escalier qui nous a conduits aux chaudières, sautons droit devant nous et retombons 3 mètres plus bas sur le ciment. Je ressens une violente douleur au pied gauche. Roger DUBROCA, bien décidé à achever la tâche commencée, me conseille de repartir pendant qu’il va incendier des dérivés de gemme (Colophane) entreposés non loin de la porte d’entrée.

Avec difficulté, je me dirige vers l’endroit où sont cachées nos bicyclettes. Peu de temps après, DUBROCA me rejoint et, ensemble, prenons le chemin du retour. Nous nous engageons dans le chemin dit de « Mariterre », afin d’éviter les routes. Je pédale avec difficulté. La douleur est dure à supporter et je serre les dents. A mi-chemin, nous entendons le hurlement les sirènes de Tartas.

Après une nuit blanche causée par la souffrance, je consulte le lendemain un rebouteux qui constate une fracture du pied. Lorsque mes parents me questionnent pour savoir comment cela est arrivé, je leur réponds que c’est en jouant au basket-ball car ils ignorent mon activité dans la Résistance. »

Le 1er mai, à 0h15, deux incendies embrasent le ciel. Les sirènes hurlent. Alors que pompiers et la police se dirigent vers l’un des incendies, ils constatent qu’une deuxième usine est en feu. »

  •  Arrestations entre le 29 mai et le 3 juin

Le 29 mai 1942, Marcel LABIDALLE est arrêté à Lugaut Retjons en zone libre et incarcéré à Pau, Jean LASSALLE est arrêté à Lencouacq. Le 30 mai Edouard GREGOIRE est arrêté à Saint Paul les Dax. Le 1er juin Georges RANDE est arrêté à Mont de Marsan. Tous les trois son incarcérés à la prison de Mont de Marsan   Je suis arrêté le 3 juin et après un premier interrogatoire à la gendarmerie de Tartas, je suis transféré à Mont de marsan. Nous sommes accusés de propagande communiste.

Avec Jean Lasalle, Edouard GREGOIRE et Georges RANDE, je suis transféré au Fort du Hâ avec les pièces à conviction, les tracts et journaux découverts chez Jean Lassalle.

Nous comparaissons le 19 juin 1942 devant la Cour Spéciale de Bordeaux, accusés de réorganisation de ligue dissoute, d’infraction au décret du 26-09-1939, et à la loi du 14-08-1941, de transport et de distribution de presse clandestine.

La cour spéciale se déclare incompétente pour nous juger. Les dossiers sont communiqués aux autorités allemandes. Le soir même nous sommes transférés au quartier allemand du Fort de Hâ, et incarcérés dans quatre cellules différentes. De nouveaux chefs d’inculpation sont retenus contre nous : détention d’armes pour Edouard GREGOIRE ; aide et fourniture de fausses cartes d’identité à des militants communistes vivant dans l’illégalité et en fuite pour Georges RANDE ; sabotages des usines de Carcen-Ponson et Tartas pour moi.

Edouard GREGOIRE comparaît fin juillet 1942 devant le Tribunal Militaire allemand pour détention d’armes. Il explique qu’il est collectionneur de revolvers et de pistolets, ce qui est confirmé par le maire de Saint-Paul-Lès-Dax. Il est relaxé. Libéré le soir même, il passe chez mes parents pour donner de mes nouvelles et entre aussitôt dans l’illégalité. »

Extrait de la note du cabinet du préfet du 27 juin 1942 à la suite d’informations communiquées par   Mme de GUILLOUTET représentante de la Croix Rouge. Source AD des Landes cote 283W 54 :

Préfecture des Landes

Etat Français

 

Cabinet du Préfet

                                                                     Mont de Marsan le 27 juin 1942

                                                   

NOTE

   «  DUPAU Gilbert a été arrêté le 8 juin par la Police Mobile, parce qu’il était mêlé à une affaire de tracts communistes, en même temps que les nommés : LASSALLE, de Lencouacq, GREGOIRE, de Saint Paul les Dax, et RANDE, de Mont de Marsan.

     Les autorités allemandes ont exigé que les inculpés leur fussent remis pour être jugés par un tribunal allemand… Le tribunal allemand de Bordeaux doit se prononcer sur cette affaire lundi prochain. Madame de GUILLOUTET se tient à la disposition de M. le Préfet pour lui donner de plus amples renseignements.

Signature illisible

 

   A la fin août, je suis transféré de la cellule 68 à la cellule 73. Au cours de la première semaine du mois de septembre, les interrogatoires reprennent, plus durs, accompagnés de tortures (gifles, coups…). Un matin, le fourgon cellulaire nous conduit, Georges RANDE et moi, au siège de la SAP. Les policiers commencent par l’interrogatoire de Georges RANDE.

J’attends, attaché au pied d’une table et menotté, dans une pièce attenante. Je suppose que je suis là dans l’éventualité d’une confrontation. A midi, le fourgon cellulaire nous ramène à la prison. Le visage de RANDE est tuméfié. Il souffre. Dans ses yeux se lisent la colère et la détermination. Il ne parle pas. Je respecte son silence. Je sais qu’il a tenu bon.

   L’après-midi, le fourgon cellulaire me ramène seul au siège de la S A P. A mon tour de subir la torture ! Je suis torse nu, les bras dans le dos, menottes aux poignets. Les policiers ne me posent pas de questions. L’inspecteur Célérier, assis sur une table, m’enserre la tête entre ses cuisses tandis que l’inspecteur Tournadour flagelle mon dos à l’aide d’un nerf de bœuf. Il compte les coups. Une série de dix, une pause, une série de vingt, trente, puis quarante, puis cinquante à la file. Je serre les dents. J’essaie de contrôler la douleur. Je pense à ce qu’a subi RANDE le matin. Je pense à la promesse faite à l’un des chefs de groupe placés sous ma responsabilité, Gaston MADRAY, qui a conduit le sabotage de l’usine de Tartas le 1er mai :

« Si je suis arrêté, même sous la torture, je ne parlerai pas ».

Ce serment, je veux le tenir.

Célérier desserre l’étreinte de ses cuisses et dégage ma tête. Je tiens difficilement debout. Les inspecteurs Célérier, Tournadour, Evrard m’entourent. Les questions se succèdent :

-Tu vas avouer, ta mère a été interrogée et nous a tout raconté,

Je me tais.

-Tu es un saboteur.

Je me tais.

Célérier m’envoie deux coups de poing en pleine figure. Je tombe à terre. Je reçois dans l’aine gauche un coup de pied qui déchire mon pantalon. Tournadour agrippe   mes cheveux et me force à me relever.

-Vas-tu enfin parler !

Je me tais.

De nouveau, j’ai la tête enserrée entre les cuisses de l’inspecteur Célerier. Mon dos courbé est une cible idéale. Les inspecteurs Tournadour et Evrard se relaient pour manier le nerf de boeuf. Je ne crie pas. Ma tête est vide. Je ne veux plus penser. Je ne veux pas parler. Je ne parlerai pas. Je sais que ma mère n’a rien révélé.

Ce que les policiers ignorent, c’est que je reçois clandestinement des lettres de ma mère, par l’intermédiaire d’un sous-officier allemand et de Mlle JACQUELOT, interprète auprès des Autorités allemandes, dont le père, le docteur JACQUELOT, se trouve dans la même cellule que moi.

Commencée à 14 h, la séance se termine à 18 h. Tout mon corps n’est que douleur. Un policier enlève les menottes afin que je me rhabille. Je suis ramené à la prison alors que j’ai toujours les poignets menottés dans le dos.

J’arrive difficilement jusqu’à la porte de la cellule. Je m’effondre dans les bras de mes compagnons. Ils me déshabillent, m’allongent sur l’unique lit. Sur leur visage se lit la stupeur, puis la colère. Mon dos, mes bras, mon visage, sont tuméfiés, enflés. Toute la nuit, ils se relaient pour maintenir une serviette humide sur mon dos, sur les conseils du docteur JACQUELOT.

C’est aux environs du 15 septembre que recommencent les confrontations. Ce matin là, un gardien me conduit dans la cour de la prison où stationne le fourgon cellulaire. Un policier en uniforme me passe les menottes. Lorsque la porte du fourgon s’ouvre j’aperçois Georges RANDE. Le policier nous enchaîne l’un à l’autre et nous sommes conduits au siège de la S.A.P.. J’attends dans une pièce attenante alors que RANDE est interrogé et à nouveau torturé durant toute la matinée. Je ne suis pas interrogé. Dans le fourgon cellulaire qui nous ramène à la prison, RANDE me confie : « Ils détiennent les preuves que j’ai procuré de faux papiers à Louis GIRET. Ils ne savent rien d’autre. »

    Les 22 et 23 septembre1942, je suis confronté à René DUPAU et Robert MESPLEDE

     Les policiers m’installent dans une pièce attenante à celle où sont interrogés René DUPAU et Robert MESPLEDE. Les policiers informent Robert MESPLEDE que son beau-frère Gaston BIREMON qui a quitté son domicile le 29 août a été signalé à Sabres et qu’il ne tardera pas à être arrêté. René fait face avec courage aux accusations portées contre lui. Conscient de son devoir, il ne parle pas. Un policier me présente les photos des agents interrégionaux, Jean RIEU, BRAZZANI, « Jean », « Marcel » et Jean Claude. Je déclare ne pas les connaître.

Témoignage de René DUPAU

     « Les interrogatoires continuent. Je suis confronté à Robert MESPLEDE qui a dit tout ce qu’il savait, sur mon compte, et sur Gilbert DUPAU, que j’ai remplacé à la tête du groupe FTP après son arrestation trois mois plus tôt. Gilbert, me glisse discrètement en patois: « Ils savent pas mal de choses mais pas l’essentiel ». Devant mon obstination à ne pas répondre, les inspecteurs Célérier et Evrard se relaient pour me torturer. Je reçois des coups de pied dans l’estomac et l’abdomen suivis de coups de poing dans la figure alors que je suis à genoux sur une règle, les mains liées dans le dos. Toujours agenouillé sur une règle, ils mettent un masque à gaz sur mon visage et plongent ma tête dans un seau d’eau, afin que j’aspire de l’eau par le nez. Je dois lever le doigt si je décide de parler. C’est épouvantable ! Je tiens jusqu’à la limite du possible et je lève le doigt. Je n’avoue pas, et les séances se succèdent.

     Le 23 septembre vers 18 heures, je reçois la plus terrible des corrections : des coups de pied dans les côtes, des coups de nerf de bœuf sur les épaules et sur le dos ! Je reste à terre, inerte. Les policiers tentent de m’obliger à me relever en m’assénant des coups de pied. Je suis épuisé. Péniblement, je me relève, et je vois devant moi un homme assez jeune, le visage ensanglanté, auquel je suis confronté. Si j’en juge par les questions qui lui sont posées, il s’agit d’un agent de liaison. Je remarque que cet homme, dont les mains sont menottées dans le dos, a les pieds entravés. Les inspecteurs demandent à l’homme s’il me reconnaît et s’il a été hébergé chez moi. Il fait un signe négatif de la tête. Ils me questionnent à mon tour pour savoir si c’est bien lui qui a été hébergé chez moi. Je réponds que je n’ai jamais vu cet homme, ce qui me vaut à nouveau des coups de nerf de bœuf, et je reste à terre.

Allongé sur un brancard, une ambulance me ramène au Fort du Hâ, sous la surveillance de l’inspecteur Célérier. A cause de mon état, le soldat allemand préposé au bureau des entrées refuse de signer le bon de décharge présenté par l’inspecteur, qui le menace d’en faire part à la Gestapo. Après une vive discussion et certainement par crainte de sanctions, le soldat signe la décharge.

L’inspecteur repart en me disant à demain. Le lendemain, personne ne vient me chercher pour me conduire à la SAP. Je n’ai pas subi d’autres interrogatoires. »

  • La déportation

J’ai été déporté le 24 janvier 1943 au camp de concentration de Sachsenhausen et affecté au kommando Heinkel.

Transféré le 4 avril 1944 au camp de Schwarzheide j’ai effectué la marche de la mort de Schwarzheide à Languenau où j’ai été libéré le 9 mai 1944. »