Raoul-Duval Claude
Auteur de la fiche : LE MONDE | 12.05.2018 à 12h07 |Par Benoît Hopquin
Claude Raoul-Duval
Ce pilote des Forces aériennes françaises libres, qui avait rejoint le général de Gaulle dès le 22 juin 1940, avait pris part au Débarquement de Normandie.
Jusqu’à sa mort, jeudi 10 mai à Saint-Mandé à l’âge de 98 ans, Claude Raoul-Duval aura porté beau. En 1940, à 21 ans, des photos le montrent déjà tel, avec sa fine moustache et son inamovible écharpe en soie. Dans ce port aristocratique, cette élégance naturelle, cette manière de tirer nonchalamment sur sa pipe puis sur sa cigarette anglaise, il avait quelque chose du capitaine de Boëldieu, l’aviateur incarné par Pierre Fresnay dans La Grande Illusion.
C’était là manières de jeune homme bien né : Claude Raoul-Duval était issu d’une illustre famille qui avait fourni à la IIIe République député, magistrat, banquier ou négociant. Cet héritier partage son temps entre un appartement cossu, rue du Faubourg Saint-Honoré, près de l’Elysée, et une grande propriété normande, où son père a installé une piste aérienne et lui transmet le virus de l’aviation.
L’orgueil fouaillé par le discours de Pétain
C’est dire si ce grand bourgeois a beaucoup à perdre en s’engageant en 1940 dans une cause désespérée, quand tout, à commencer par la plus élémentaire prudence, intimait d’attendre d’y voir plus clair. Il n’hésite pourtant pas, son orgueil fouaillé par le discours de défaite de Pétain, le 17 juin. Le lendemain, son père lui parle d’un appel, lancé par un général inconnu, qu’il a entendu à la BBC, invitant à le rejoindre à Londres.
Alors élève à l’école de l’air qui avait été évacué à Bordeaux, Claude Raoul-Duval embarque avec un ami sur le Nettie, un navire hollandais, juste avant l’arrivée des Allemands en Gironde. Il débarque en Angleterre le 22 juin et rejoint le croupion d’armée de l’air que la France libre tente de constituer. Le novice achève sa formation de pilote, enrageant de n’être pas encore assez aguerri pour participer à la bataille d’Angleterre, où la Royal Air Force (RAF) est en train de décider de l’issue du conflit européen.
Intégré à la Royal Air Force
En mai 1941, enfin opérationnel, il est envoyé au Moyen-Orient et intègre le Free French Flight n° 1. Les pilotes se divisent en septembre entre le groupe de chasse « Alsace » et les équipages de bombardiers du groupe « Lorraine », où figure un écrivain en herbe du nom de Romain Gary. Les débuts sont laborieux, frustrants. Ils se résument à convoyer des bateaux sur la Méditerranée. Le matériel de vol est obsolète, piteux face aux avions de la Luftwaffe. Les affrontements aériens, loin des interminables loopings des films, se résument à de brèves et inégales passes d’armes. Les pertes laissent un accablant sentiment d’impuissance.
En octobre 1942, Claude-Raoul Duval retourne en Angleterre et se place sous les ordres du commandant Mouchotte. Il apprend à piloter un Spitfire, avion peu rapide mais maniable, qui rétablit l’équilibre aérien. Il est intégré à la RAF qui mène désormais des incursions sur le sol français ou accompagne des raids de bombardiers. Les pertes sont lourdes et terribles, les hommes souvent brûlés vifs dans leur cockpit.
Pris en charge par les réseaux de Résistance
Le 17 avril 1943, son Spitfire est abattu au-dessus de la Normandie par un Messerschmitt. Des éclats de balle le blessent aux jambes. Il parvient par miracle à échapper aux flammes puis, ayant réussi à sauter et ouvrir son parachute, trompe les patrouilles allemandes qui le recherchent. Il est pris en charge par les réseaux de Résistance, se cache à Paris chez son père.
Fugitif dans cette France occupée, il constate la vie difficile de ses compatriotes, lui qui bénéficie de tout le confort réservé par privilège de caste aux pilotes. Il découvre également les risques pris par ceux qui se battent en France (une de ses tantes mourra en déportation). Muni de faux papiers, il est exfiltré, traverse dans un voyage rocambolesque la France puis l’Espagne, jusqu’à Gibraltar.
Revenu en Angleterre, il reprend le combat, bombarde des cibles en France puis s’enfonce plus loin sur le continent, jusqu’au cœur de l’Allemagne. Avec une bombe de 250 kilos sous le cockpit, il faut piquer à travers le rideau floconneux de DCA qui secoue l’appareil à le démantibuler puis larguer au milieu des balles traçantes sa charge sur l’objectif.
Refuge en Afrique
Le 6 juin 1944, il participe à la couverture aérienne du Débarquement et assiste du ciel, en spectateur fasciné, au titanesque affrontement. Il continue de mener des opérations de soutien aérien aux troupes au sol, mitraillant les colonnes allemandes. Les alliés sont désormais maîtres des airs. Claude Raoul-Duval est touché une seconde fois, par un obus, le 10 juin, parvient à se poser dans la zone normande libérée et revient par bateau en Angleterre, où sa base l’a déjà considéré comme disparu. En 1945, le pilote est retiré des opérations. Il est fait compagnon de la Libération la même année.
Effrayé par ses camarades qui, à 30 ans, s’avèrent incapables de reprendre pied dans une France enfin en paix et ne cessent de ressasser leurs souvenirs de combat, il se réfugie en Afrique. Il achète des produits coloniaux pour Unilever, continue de voler, pour le travail et le plaisir. Il devient par la suite représentant du constructeur automobile Berliet dans l’Algérie devenue indépendante, négociant de matières premières au Brésil, puis banquier au Danemark.
Il met fin à cette vie de bourlingue à l’âge de 60 ans, revient en France. Jusqu’à la fin de sa vie, les portiques de détection sonneront immanquablement à son passage, lui rappelant qu’il gardait dans sa chair les éclats de métal qui l’avaient atteint un 17 avril 1943.
Claude Raoul-Duval en quelques dates
22 octobre 1919 Naissance à Paris
22 juin 1940 Rejoint l’Angleterre
27 avril 1943 Son avion est abattu au-dessus de la Normandie
6 juin 1944 Participe au Débarquement
Octobre 1945 Devient compagnon de la Libération
10 mai 2018 Mort à Saint-Mandé (Val-de-Marne)