Gonard Charles "Morlot"

Auteur de la fiche : Benoit Hopquin : Journal LE MONDE | 13.06.2016

Charles Gonard

Quand on rencontrait Charles Gonard, mort dimanche 12 juin 2016 à Vence (Alpes-Maritimes), à 94 ans, le résistant aimait parler de l’action dont il était le plus fier : l’évasion, un autre 12 juin, en 1944, de Jean-Pierre Lévy, responsable du mouvement Franc-tireur. Dans une rue de Villejuif (Val-de-Marne), lors d’un transfert dont il avait été informé, son groupe avait intercepté le fourgon cellulaire, neutralisé les gardiens et l’escorte allemande puis libéré celui qui était un des chefs de file du Conseil national de la Résistance.

Il y en eut tant d’autres, des coups d’éclat en presque quatre ans de combat. Mais Charles Gonard, alias « Morlot », ne se faisait pas d’illusions. Il savait bien qu’il resterait dans l’histoire de cette époque pour une autre action spectaculaire : l’exécution, le 28 juin 1944, de Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’information et à la propagande du gouvernement Laval. Et, poliment, quand ce passage de sa biographie était évoqué, il racontait. L’ordre reçu d’éliminer ce collaborateur dont les interventions à Radio-Paris étaient encore très écoutées. Les longs repérages devant le 10 rue de Solférino, où il résidait à Paris, l’occasion enfin. Seize hommes avaient au petit matin investi les locaux et neutralisé la garde. Charles Gonard et un complice avaient trouvé Philippe Henriot en pyjama, avec sa femme. Il se serait débattu, tandis qu’elle hurlait. Les coups de feu. Le coup de grâce…

Il s’engage contre l’occupant dès 1941

Bien que né à Paris, le 11 octobre 1921, Charles Gonard est issu d’une vieille famille de la bourgeoisie protestante de Lyon. Après la débâcle, il enrage du défaitisme ambiant, essaye de rejoindre Londres sans y parvenir. Il s’engage contre l’occupant dès 1941, dans les rangs gaullistes. Cela commence par des actions symboliques qui le laissent insatisfait. Ecrire des slogans sur les murs, distribuer des tracts, porter des valises, est-ce cela résister ? Charles Gonard est enfin présenté à Serge Ravanel, membre important de Libération-Sud.

Entre tant d’autres actions, son groupe détruit par le feu les fichiers des hommes devant être envoyés en Allemagne pour le STO

Le jeune homme est envoyé dans le sud de la France. C’est le temps des premiers coups de main à Nice et à Marseille : sabotages, exécutions de traîtres, attaques contre la milice. Le petit-bourgeois en impose à ses aînés par sa détermination et sa méticulosité. En février 1944, il intègre à Paris le Comité d’action militaire (Comac), où il est chargé de former les groupes francs des FFI. A 23 ans, il réorganise et structure un réseau malmené par les arrestations. Se méfiant des matamores, il s’entoure d’une équipe d’hommes déterminés, en partie formée d’experts dans l’art de la clandestinité, qu’ils soient policiers ou truands…

Entre tant d’autres actions, son groupe détruit par le feu les fichiers des hommes devant être envoyés en Allemagne pour le STO, le service du travail obligatoire, documents entreposés dans des bureaux qui jouxtaient pourtant une caserne de la Légion des volontaires français (LVF) à Versailles. A Pigalle, il liquide dans un bar des membres français de la Gestapo. Il doit renoncer au dernier moment à exécuter Joseph Darnand, le chef de la milice, gare de Lyon, par crainte de faire des victimes dans la foule.

Très critique sur la colonisation

Après la mort d’Henriot, la milice se déchaîna pour retrouver les coupables : arrestations, torture, représailles, sans jamais pouvoir remonter jusqu’à Morlot. Lors de l’insurrection de Paris, en août, Charles Gonard participa encore aux combats, fut blessé à la tête et resta cloué sur un lit d’hôpital tandis que la capitale fêtait sa libération. Ce qui lui évitera de voir les exactions de l’épuration, les femmes qu’on tondait, scènes qui le révoltaient toujours tant d’années après.

Lui qui rêvait d’outre-mer avant la guerre, il partit en Indochine pour combattre les Japonais, arriva après leur capitulation, puis refusa de participer à la lutte contre le mouvement d’indépendance naissant. Il écrivit même un article très critique sur la colonisation dans Franc-Tireur. Il travailla ensuite dans une entreprise privée au Maroc avant de revenir en France. Longtemps, celui qui avait été admis dans l’ordre de la Libération se mura dans le silence.

Mais, des années plus tard, quand la France oublieuse se mit à mégoter ses héros, des voix s’élevèrent, notamment d’historiens, pour critiquer l’« assassinat » d’Henriot. Charles Gonard fut profondément affecté d’être ainsi devenu un « affreux », selon ses propres termes. Il lui fallut se défendre des attaques et des coups bas. Ce fut peut-être là son plus douloureux combat.


Charles Gonard en sept dates

11 octobre 1921 : Naissance à paris

1941 : Entrée dans la Résistance

Février 1944 : Intègre le Comité d’action militaire

12 juin 1944 : Evasion de Jean-Pierre Lévy

28 juin 1944 : Exécution de Philippe Henriot

17 novembre 1945 : Fait compagnon de la Libération

12 juin 2016 : Mort à Vence.