Résistance et Culture
Rencontre prévu le 15/06/2000
Texte de Claude Ducreux, Secrétaire Général du Comité d’action de la Résistance (C.A.R.), Résistant-Déporté, avocat……
Au colloque « Résistance et Culture » du 15 juin 2000 à l’Assemblée Nationale
SPIRITUALITÉ ET RÉSISTANCE
L’état de Résistance est un Etat de réaction plus ou moins immédiat qui fait suite à un choix ; le plus souvent, il est le refus de l’inadmissible, la révolte contre l’intolérable. Ce soulèvement de soi répond à des atteintes à la Justice et à la Liberté.
C’est un état « tensionnel » qui fait suite à une décision. Ce choix repose sur l’autonomie et la supériorité de l’esprit. L’homme du temps de THUCYDIDE savait déjà qu’il n’y a pas de bonheur sans liberté, et pas de liberté sans vaillance.
La conséquence est un engagement souvent total ; c’est un élément volontaire qui met en oeuvre des forces quelquefois insoupçonnées, un moteur comme l’évoque la définition de Paul RICOEUR sur la volonté ! « Quand l’esprit désigne de la main la fin à atteindre, il ne faut regarder que la main. »
Dans le cadre d’un humanisme ouvert qui vénère non pas l’homme d’une civilisation, mais l’homme tout court, dans la confiance en la vie, en l’avenir, dans les valeurs transmises et qu’il faut conserver pour qu’elles soient à nouveau léguées, le choix est une oeuvre de l’âme et l’engagement un dépassement de soi-même.
1940-1944, c’est historiquement la manifestation fondamentale d’une Résistance unique dans l’histoire et où beaucoup d’engagements allaient au-delà de la vie en considérant que la liberté était le bien suprême. Sans grandiloquence, on sait que l’homme qui tombe fusillé est plus libre que ses bourreaux.
La réaction affirmative déclenche l’intelligence, l’esprit et une éthique pouvant faire que le refus va jusqu’à la désobéissance. La résistance de l’âme va au-delà de la vie du corps. Comme celui du fusillé, le corps est détruit, pas la pensée. « Chaque homme dans sa nuit s’en va vers la lumière » disait Victor HUGO.
Pour aborder le double moment du choix et de l’engagement, la recherche spirituelle des femmes et dés hommes issus de milieux initiatiques confirmés et traditionnels s’exerce totalement.
D’abord l’analyse de soi-même et des autres est créatrice d’une formation pleinement humaine, mais qui repose sur un appel à un principe créateur fondamental et sur des sources ancestrales qui vont du « connais-toi toi-même » socratique à la raison cartésienne, à l’infini pascalien, aux lumières du XVIII° siècle jusqu’à RICŒUR et LEVINAS, et en faisant une place importante à la « caritas » des Epîtres de Saint Paul et à l’Évangile de Jean. Ces moyens de la pensée viennent d’en haut pour écouter un plus éclairé que certains Francs-Maçons appellent le Grand Architecte de l’Univers.
Issus de sociétés fraternelles initiatiques au travers des temps, les Francs-Maçons tentent de chercher la vérité en s’élevant sur des échelons légendaires et sacralisés, comme ceux de la mystique et mystérieuse échelle de JACOB, et sur les symbolismes des constructeurs. Bâtir la vie comme un temple.
C’est une quête, au sens fort de l’espagnol « querer » qui contient les idées de recherche et de demande d’une part, et de volonté et d’amour d’autre part.
Comme le disait Octavio PAZ, en tentant de définir sa propre recherche d’un centre des convergences des origines et des fins : « on recherche le jour d’avant le commencement et d’après la fin « . Le propre de l’homme est de poser la question de l’Etre, son essence, et d’être conscience et compréhension de soi et des autres dans le monde et au-dessus du monde, recherche d’une existence finie et contingente. Ce territoire sans cesse renouvelé et étendu crée une communication qui ne peut être que sacrée, hors du temps et dans un espace privilégié. On y voit le spectre de la mort d’une façon constante pour moins la redouter, mais aussi on y entend souvent des oiseaux avec un chant si clair qu’on dirait le premier matin du monde où l’on rencontrerait Saint François d’Assise.
La recherche maçonnique passe par des aspirations profondes, fruits d’échanges, de réflexions successives et d’intuitions. Cette convergence commande l’exemplarité et l’action dans la Cité, et au moment où il le faut, l’engagement du Résistant.
Le Maçon l’a été dans la période 1940-1945, idéologiquement d’abord par le rejet des tyrannies, des totalitarismes, des barbaries et ensuite au nom de la Liberté et des libertés un combattant engagé sur l’hexagone, à Londres près de de GAULLE, à Alger comme DUMENIL de GRAMMONT. La formation, la recherche de la Vérité, et sa sacralisation destinaient le F.M. au combat ouvert par le Général de GAULLE au-delà du défaitisme de WEYGAND et des trahisons du Maréchal.
Beaucoup d’engagements furent individuels dans les mouvements ou réseaux de toutes origines, ou en raison de la clandestinité. D’autres purent réunir des loges entières, en Dordogne, en Anjou, dans la région lyonnaise avec la loge « Le Coq Enchaîné », dans la région parisienne et à Paris « Patriam Recuperare ». Le premier parachutage anglais en 1941 est organisé près de Bergerac par des Maçons, Pierre BLOCH et Max HYMANS, et près de Lyon, ils sont mis en place par des sœurs du Droit Humain. « Le Coq Enchaîné » eut 16 morts et 23 déportés dont seuls 13 revinrent.
Jean MOULIN rendit compte au Général de GAULLE, par une note du 13 mai 1943, de l’action qualifiée de « très importante » du « Coq » en soulignant que ce groupe du « Coq Enchaîné » était principalement composé de Francs-Maçons.
Plus de 5.000 Francs-Maçons furent engagés dans la Résistance sur un total de 430.000 combattants volontaires répertoriés. Le lot des fusillés, déportés, morts au combat représente un pourcentage important pour le Grand Orient, la Grande Loge et le Droit Humain. Sans compter les sœurs combattantes et souvent déportées, n’est-ce pas, mur de Ravensbruck ? les Justes, les auxiliaires de planques, d’acheminement et aides diverses.
Ces hommes et ces femmes comme Louise WEISS, pour lesquels Liberté, Justice, Honneur, Dignité étaient des maîtres mots, ont été ainsi presque naturellement engagés, on pourrait dire automatiquement engagés, sans parler, de l’influence des interdits et des persécutions. C’est par leur foi qu’ils ont pu éviter les pièges, agir chaque jour ou presque, supporter les contraintes matérielles, les tortures, la volonté de ne pas parler, souvenez-vous de BROSSOLLETTE, la déportation, la mort.
Cette foi du Franc-Maçon, c’est d’ailleurs le titre d’un livre d’un ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, est une tension vers la vie, la connaissance, la fraternité, qui est mobilisante.
Cette foi est profonde, ancrée dans l’âme et agissante. Elle est partagée et ouverte. Un certains nombre de FM. sont croyants, catholiques malgré l’histoire, protestants, ‘ juifs, musulmans notamment autour de la Méditerranée. Comme le disait le théologien Nicolas de LUES « les murs des religions ne montent pas jusqu’au ciel ».
Grâce à cette foi qui leur disait que la liberté était plus que la vie, bien qu’il faille tenter de sauvegarder celle-ci le plus possible, les Francs-Maçons sont encore spirituellement devant des choix qui les font s’engager : les Droits de l’Homme, la dignité, une justice voisine de l’équité, mais surtout pour que les nouvelles tyrannies et les nouveaux massacres, les négationnismes de tous horizons soient jugés, et que RIEN ne soit oublié, que les hommes puissent vivre avec le pardon, mais pas l’oubli.
Le patrimoine universel est en jeu pour toutes les spiritualités. Il faut extérioriser la Mémoire, rendre visible et fort le lien spirituel qui nous unit à celle-ci. Garder Conscience et Foi dans la Mémoire, c’est écarter le voile qui recouvre la lumière, cachée ou pas, du miroir. C’est là l’étincelle toujours brillante de l’espérance des initiés.
Claude DUCREUX
Secrétaire Général du C.A.R.