La Résistance en Pologne – Polska Walczaca
Rencontre prévu le 10/11/2004
Conférence des professeurs Jean Médrale et Bruno Drweski
Dans le cadre de l’année polonaise en France et du 60ème anniversaire de la Libération de la France, M.E.R., la Société Historique et Littéraire Polonaise, la Communauté Franco-Polonaise et Libération Nord ont proposé un colloque révélant les aspects méconnus de la Résistance Polonaise en France et de l’Insurrection de Varsovie.
Nous vous proposons, sur cette page, quelques clefs pour mieux comprendre ainsi que certaines interventions présentées salle Liard.
Quelques repères pour comprendre
Depuis septembre 1939, la Pologne subie de la part des Allemands une occupation féroce, qui pratiquent une destruction massive et systématique des élites. Très tôt, la Résistance polonaise forme un véritable Etat clandestin, avec son pouvoir exécutif, ses partis politiques, son administration et son » Armée de l’Intérieur – Armia Krajowa – (AK) » forte de près de 150 000 hommes aux ordres du gouvernement polonais du général Sikorski en exil à Londres. Ce gouvernement est reconnu par une majorité de Polonais, par les alliés et même quelques temps par les soviétiques.
La découverte des charniers de Katyn va mettre fin aux tentatives de rapprochement entre Sikorski et les soviétiques. Les premiers contacts en Pologne orientale entre la Résistance polonaise et les Russes sont difficiles.
En juillet 1944, les occidentaux ont pris solidement pied en France. A l’est, les soviétiques avancent à toute vitesse et en janvier le groupe d’armée du front central est entré sur le territoire polonais à la poursuite des armées allemandes en retraite. Fin juillet l’Armée rouge approche de Varsovie où une bataille de chars se termine par son échec.
Radio-Moscou diffuse pourtant des appels à l’insurrection et le Comité polonais de la libération nationale de Lublin – gouvernement provisoire installé par Staline et formé de communistes polonais fidèles à l’U.R.S.S. – lance aussi un appel aux armes.
Le 26 juillet 1944, le Gouvernement Polonais en exil autorise le Général Bór-Komorowski commandant l’AK à commencer l’action armée pour libérer Varsovie.
Le 31 juillet, le général Bór-Komorowski lance l’ordre d’insurrection pour le lendemain à 17 heures.
Le 1er août à 17 heures, une grêle de balles s’abattit, à partir de certaines fenêtres, sur les Allemands circulant dans les rues « . Les forces de l’AK du District de Varsovie comptent environ 40 000 combattants faiblement équipés. Les forces allemandes sont fortes d’environ 16 000 hommes qui seront renforcées après les premiers combats. Les Allemands disposent d’artillerie, de chars et d’avions. » A partir du 1er août, les Polonais réussissent à prendre une partie considérable de la rive gauche de Varsovie mais leurs tentatives pour prendre les ponts échouent. Leur avancée maximale fut atteinte le 5 août 1944.
Dès le 5 août, une division SS reprend le contrôle du quartier Wola, massacre en une seule journée 35 000 hommes femmes et enfants, appliquant à la lettre l’ordre d’Hitler : » Tuer tous les habitants, il est interdit de prendre des otages.. Varsovie doit être complètement rasée, afin de servir d’exemple à toute l’Europe. « .
Les combats vont se dérouler pendant soixante-trois jours. Ce fut la plus grande bataille urbaine livrée par des insurgés contre l’armée allemande. La bataille fit rage avec une sauvagerie sans pareil, tandis que l’armée rouge retranchée à 1 500 mètre au-delà de la Vistule resta pratiquement passive. Les insurgés remportèrent quelques succès, les premiers jours, comme la prise de la forteresse allemande retranchée dans le bâtiment de la compagnie de téléphone polonaise et le quartier général de la police situé en centre-ville. Les insurgés exploitèrent largement les réseaux d’égout pour passer d’un quartier à un autre. Les égouts devinrent de merveilleux chemins de fuite et de communication sous les zones contrôlées par les Allemands.
A partir du 10 août les Allemands donne l’assaut dans la vieille ville, le centre historique de Varsovie , qu’ils réduisent en ruine. Durant les combats l’aviation anglo-américaine opère à grands risques quelques parachutages sporadiques pour ravitailler les insurgés (Staline à rejeter une demande d’autorisation d’escale pour les avions alliés dans les zones contrôlés par les soviétiques).
Le 16 septembre la division polonaise, qui combat aux côtes des armées soviétiques, tente de venir au secours des insurgés, franchit la Vistule, mais sans le soutien de l’aviation et de l’artillerie russe échoue, perdant près de 3 500 hommes. » Fin septembre les conditions de vie et la situation militaire des insurgés deviennent insoutenables, la défaite inéluctable. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1944 les représentants l’état-major de » l’AK » signent l’acte de reddition avec les honneurs militaires.
Cette capitulation ne signifia malheureusement pas la fin du calvaire de Varsovie. Les Allemands continuèrent à détruire systématiquement la ville. A la fin de 44 Varsovie » n’était plus qu’un point géographique « . Les Allemands exigèrent que toute la population civile évacuât la ville. Le prix payé pour cette insurrection fut particulièrement lourd. 40 000 insurgés tués ou blessés, 15 000 insurgés dont le Général Bór-Komorowski envoyés en captivité, 60 000 civils déportés dans des camps de concentration et 150 000 condamnés aux travaux forcés en Allemagne ou à l’errance dans leur pays. Les Allemands perdirent 26 000 hommes tués ou blessés.
17 janvier 1945, la 1ère Armée polonaise et l’armée soviétique entrent dans Varsovie. Le soulèvement de Varsovie tragique et coûteux échec ? Les débats sur l’opportunité de cette insurrection durent depuis soixante ans. Pour l’écrivain polonais Czeslaw Milosz prix Nobel de littérature : » On ne voit pas pour quelle raison logique les Russes auraient aidé Varsovie. Les gens qui mouraient dans les combats de rue étaient précisément ceux qui pouvaient le plus gêner les nouveaux maîtres du pays, la jeune intelligentsia mûrie par la lutte clandestine et fanatisée par son patriotisme. Cette capitale traditionnelle des révoltes et des insurrections risquait d’être la ville plus insoumise du territoire. « Il n’y a pas de place pour la pitié lorsque l’histoire parle « .
*Sources : » Le Monde 2 » du 18-19 juillet 2004 Mensuel » Histoire » n° 290 septembre 2004 In Histoire de la Pologne – Norman Davies – Ed. Fayard 1984
LA RESISTANCE POLONAISE EN FRANCE LES RESEAUX DE RENSEIGNEMENTS FRANCO-POLONAIS
Préambule Le thème abordé par ce sujet concerne les réseaux de renseignements qui furent rattachés au 2° Bureau de l’Etat-Major Général polonais. Cet Etat-Major dépendait du Gouvernement de la Pologne libre réfugié à Londres.
C’est un très vaste sujet, car pas moins de 8 réseaux furent organisés par les Polonais à partir de l’été 1940. Ils agirent en France métropolitaine, en Afrique du Nord et possédèrent de nombreuses agences implantées en Belgique, en Italie et en Suisse.
A la Libération, 6 de ces réseaux, notamment celui appelé F et qui devint ensuite F2, furent homologués par la France Combattante. Le Réseau Afrique, quant à lui, fit l’objet d’une homologation distincte, par ces mêmes Forces Françaises Combattantes. Concernant la liquidation administrative du Réseau Enigma-Equipe 300, l’auteur ne dispose d’aucune donnée à ce jour. Je vous propose d’organiser cette présentation autour des 3 thèmes suivants :
Le fondement de la Résistance polonaise en France (les raisons).
La légalité juridique pour l’implantation de réseaux polonais sur le sol français.
Faits particuliers pour chacun de ces réseaux.
1-Les raisons de la Résistance polonaise en France. En octobre 1939, la France accueillait le Gouvernement polonais en exil, lui permettant ainsi de reconstituer sa légalité. Le général Sikorski en devint le chef et travailla à reconstituer une armée de 80.000 hommes. Les troupes polonaises combattirent sans faille durant la campagne de 1940 sur le sol français.
A l’annonce de la demande d’Armistice, le Gouvernement polonais manifesta clairement son refus de déposer les armes et de voir ses troupes intégrées dans les clauses d’armistice.
Constatant alors qu’il était livré aux Allemands, le Gouvernement de Sikorski rompit avec la France du Maréchal Pétain et partit se réfugier à Londres pour y continuer la lutte contre l’Allemagne nazie.
Avec ses forces armées, la Pologne libre devint alors le premier allié de l’Angleterre. Un accord militaire fut signé le 20 juillet avec les Britanniques, et sur proposition polonaise, l’une des premières initiatives prises, a été l’organisation d’une Résistance sur le territoire français.
Pourquoi une Résistance polonaise en France : Ce type de combat clandestin était très familier aux Polonais, eux dont le territoire national avait été occupé durant 123 ans par trois puissances étrangères, il y avait encore 20 ans à peine. -Il fallait obtenir des renseignements sur le comportement de l’armée allemande. En effet, en ce mois de juillet 1940, les Britanniques s’attendaient à une invasion imminente de leur territoire. Ils constatèrent alors qu’ils étaient totalement aveugles sur les préparatifs allemands à leur encontre, car après le repli précipité de leurs troupes du Continent, les Anglais n’avaient plus aucun service de renseignement organisé qui aurait pu les informer. -Pour développer des réseaux de renseignements, les dirigeants polonais comptaient s’appuyer sur leurs militaires qui étaient encore immobilisés en France, pour n’avoir pu se faire embarquer vers Londres, ainsi que sur la diaspora polonaise.
5 officiers polonais furent identifiés par les Services Spéciaux, puis formés à la hâte aux techniques de recherches du renseignement ainsi qu’à la manipulation des postes radio-émetteurs : le Lt de réserve Ladislas Potocki (Calixte), l’ingénieur de Marine Thaddée Jekiel (Doctor), les majors Albinski et Stefan Korwin-Szymanowski (Rab) ainsi que le Lt de réserve Stanislas Appenzeller (Etienne). Les premiers quittèrent Londres le 20 août 1940 à destination de Lisbonne puis de la France, quant au Lt Appenzeller, il partit de Suisse.
Dans le même intervalle de temps, en zone libre, des officiers polonais ne restèrent pas inactifs à se morfondre dans leurs résidences surveillées. Les majors Zarembski (Tudor), Slowikowski (Ptak) et le capitaine d’aviation Czerniawski (Armand), s’employaient à faire évacuer des centaines de militaires vers l’Espagne et l’Afrique du Nord. Ils étaient tous trois des officiers des Services de renseignement de l’Armée et décidèrent de tirer avantage de leur présence en zone sud pour combattre l’envahisseur allemand sur ses arrières.
Avec l’accord des autorités polonaises locales, Zarembski et Czerniawski, commencèrent à organiser à partir de Toulouse un réseau de renseignement, en rassemblant autour d’eux d’autres officiers. Conscients du rôle prépondérant qu’allait prendre l’aviation dans la suite du conflit contre l’Angleterre, notamment par des attaques aériennes contre son territoire, Zarembski et Czerniawski commencèrent à recueillir des informations sur l’industrie aéronautique ainsi que sur l’activité des terrains d’aviation de la zone sud.
Ils proposèrent à des patriotes français, qui se montraient particulièrement révoltés par la défaite, de partager leur combat contre l’occupant. Ces premiers français qui, en juillet 1940, leur répondirent oui sans hésitation pour des raisons morales avaient pour noms : Gilbert Devèze, Pierre Fraysse, Georges Benoit et Marthe Viennot. Ils furent rejoints en août par Raymond Camille, Philippe Autier et Yvonne Valbousquet. Ces jeunes gens qui avaient refusé de se résigner, dans une France à la population généralement attentiste et soulagée par l’Armistice, allaient constituer la première cohorte des Résistants français de la toute première heure.
2-légalité juridique d’implantation de réseaux de renseignements étrangers sur le sol français.
Pour les Polonais, la logique de cette action se référait au traité d’alliance franco-polonais signé le 4 janvier 1940. Il fut ratifié par les Présidents Daladier et Sikorski, et avait pour but de reconstituer une armée polonaise en France. Dans ce cadre, il autorisait l’Etat-Major à posséder son propre réseau de renseignement afin de protéger son armée. Ces accords n’avaient pas été dénoncés par les Polonais car ils n’avaient pas signé l’Armistice du 22 juin 1940. Un officier du SR polonais pouvait donc effectuer une recherche d’information contre l’ennemi sur le territoire français et, coopérer avec des citoyens français pour cette action.
La validité de ce traité entre la France et la Pologne fut confirmée à Londres, entre les généraux Sikorski et de Gaulle, par la signature d’un protocole confidentiel d’alliance, au mois d’octobre 1941.
Au début de l’occupation, les Français qui étaient recrutés, savaient dans la majorité des cas, que le réseau dans lequel ils s’engageaient était polonais. Dans le contexte des années 1940 et 1941, ce n’était pas l’appartenance du réseau qui comptait. Ce qui était primordial était de pouvoir continuer à se battre contre les Allemands. Toute occasion qui leur procurait cette opportunité était acceptée sans hésitation, car il leur importait en priorité de ne pas accepter l’humiliation de la défaite et la partition de la France.
Ces Français se rendirent compte aussi que Londres était la dernière capitale libre d’une Europe asservie par l’Allemagne nazie et le fascisme, et qu’il fallait aider les Anglais à tenir. Les résistants polonais leur disaient qu’ils dépendaient du » War Office britannique » et cela suffisait, car c’était bien l’Angleterre qui menait seule la Guerre pour la liberté à cette époque.
Avec l’avancement du conflit, cette référence à l’appartenance polonaise du réseau s’estompa peu à peu, car les Français étaient de plus en plus nombreux à occuper des postes de responsabilité dans son organigramme. Pour le postulant au combat clandestin, il était plus important d’obtenir des garanties sur l’assistance qui allait être donnée à sa famille en cas d’arrestation ainsi que la prise en compte de son temps d’engagement comme service actif dans l’armée française.
A partir de l’invasion de la zone sud par les Allemands, l’appartenance polonaise du réseau fut volontairement dissimulée par les chefs polonais et français, notamment par le lieutenant-colonel Gilbert Foury (Edwin). Cette mesure a été prise pour des raisons de sécurité élémentaire, car la connaissance de cette appartenance le rendait très vulnérable face aux investigations de la Gestapo. Par ricochet, de très violentes représailles étaient menées par cette même Gestapo contre les milieux de réfugiés polonais. A cette date, 77% des résistants polonais avaient déjà été mis hors de combat. Face à cette hécatombe, provoquée par un manque d’enracinement social, il fut décidé aussi de ne plus recruter de Polonais.
Après le débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les citoyens français, dans leur ensemble, reprirent confiance dans l’avenir en constatant que le fléau de la balance du conflit penchait maintenant favorablement du côté des Alliés. Avec la victoire de Stalingrad, ils remarquèrent que le tournant de la guerre était atteint et qu’il fallait maintenant se déterminer entre collaboration avec l’acceptation du STO (Service du Travail Obligatoire) et résistance. Les Français entrèrent alors en nombre dans le réseau. La courbe de progression des effectifs qui jusqu’en 1942 était linéaire (taux d’admission entre 27 et 34 H/mois), devint ensuite subitement exponentielle (passant de 41 à 102 H/mois). Les Français qui s’engagèrent maintenant au réseau demandaient des garanties concernant la reconnaissance de leur implication, car ils souhaitaient se battre au service de la France. Il leur fut effectivement assuré que tel était le cas, car ils étaient intégrés de fait dans l’Armée française d’Afrique.
Avec l’approche du dénouement du conflit, et de l’affermissement de la France Combattante avec la création du Comité Français de Libération Nationale (C.F.N.L.) à Alger, le processus de la reconnaissance du réseau polonais par les instances française franchit une nouvelle étape. Un hommage explicite fut rendu à l’action des combattants français par la radio d’Alger les 16 et 22 novembre 1943. Cette radio transmit en effet, avec 6 vacations par jour : » Message pour Jaquette, Vox, Ire, Magotte, Xagerdine, Carcial, Lorette, Colobatte et pour leurs collaborateurs ; La France sait que vous travaillez pour elle et vous remercie « .
A cette date, le général de Gaulle était le seul Président du CFNL et de par sa volonté, tous les Services Spéciaux français étaient maintenant réunis sous l’autorité de Jacques Soustelle (la DGSS).
Derrière les pseudonymes cités l’on peut identifier les noms notamment de l’amiral Trolley de Prévaux (Vox) ainsi que ceux de Jérôme Stroweis et de Lucien Duval qui se battaient sous le pseudo de Carcial.
A la Libération de Paris, de nombreux français furent désappointés d’apprendre que le réseau dans lequel ils s’étaient battus était polonais. A l’époque du triomphe des réseaux de la France Libre cette appartenance ne leur sembla pas très gratifiante.
De plus, en dépit du drame qui se déroulait à Varsovie, chacun pressentait que la Pologne libre n’allait pas faire partie du camp des vainqueurs.
En effet L’opinion publique en générale et la Résistance en particulier, étaient favorables aux thèses de la Russie soviétique concernant le devenir politique et frontalier de la future Pologne.
Les chefs polonais et français du réseau essuyèrent de nombreux reproches, pour le cloisonnement qui y était instauré ainsi que pour l’absence de transparence, qui auraient pu leur révéler cette identité.
Une distorsion fut ainsi mise en évidence entre les aspirations des hommes de terrain qui vivaient alors une frustration de reconnaissance, et la stratégie des 2° Bureaux français et polonais de Londres et d’Alger qui organisaient depuis plusieurs mois une convergence de combat.
Finalement cette convergence trouva son aboutissement le 30 septembre 1944 à Paris avec la reprise de tout le Service de Renseignements polonais par les Services Spéciaux français. Les Combattants français du réseau apprirent alors qu’ils bénéficiaient du même statut que leurs camarades du BCRA.
Cette nouvelle organisation reçut le même nom de Réseau F2 et travailla à la restauration d’une France légale et républicaine (des Polonais participèrent à cette action).
3-Faits particuliers à relever pour ces réseaux. Le Réseau F. Le premier réseau polonais organisé fut le Réseau F du major Zarembski (Tudor). Il a été très précoce dans son action résistante, avec une date officielle de démarrage reconnue au 15 juillet 1940 par la FFC. Il débuta en zone libre, puis à partir de novembre 1940, s’implanta en zone occupée. Ce réseau procura à de nombreux Français l’opportunité de se battre contre l’Allemagne. Il servit ainsi de véritable catalyseur de résistance auprès de Français qui cherchaient à dirent » non » à la défaite et qui refusaient de subir. En décembre 1940, ce réseau polonais comptait déjà 162 Résistants, dont 95 Français… A la lumière de ces chiffres, on n’est plus dans le scénario habituellement décrit dans les ouvrages spécialisés mentionnant » qu’en 1940, la Résistance ne se borna qu’à quelques actes isolés « … Ce réseau construisit ses propres postes radio-émetteurs, et établit le 22 août 1940, depuis Toulouse, un contact radio en clair avec les Alliés. La première liaison radio officielle avec Londres fut réalisée ensuite le 15 septembre 1940 depuis Marseille. En mai 1941, 5 postes radio émettaient depuis Paris.
Les premières actions dans la recherche de renseignements, portèrent sur l’observation des forces aériennes allemandes de la zone libre puis de la zone occupée à partir de novembre 1940. Il faut rappeler qu’à cette date la Bataille d’Angleterre (puis celle du Blitz) faisait rage dans le ciel anglais. Les Britanniques livraient la bataille décisive pour leur survie et celle de l’Europe libre. Tous les renseignements concernant les forces allemandes d’invasion qui se mettaient en place en France, et pouvant être transmis aux Britanniques allaient leur donner un avantage indéniable. De par leurs actions les Résistants français étaient solidaires du combat qu’elle menait. Ces Résistants s’appliquèrent avec dévouement et acharnement dans la seule activité qu’il leur était possible d’exercer sur le territoire français : l’observation quotidienne des mouvements d’avions, sur un maximum d’aérodromes ainsi que la localisation des différentes unités aéronautiques avec leurs caractéristiques. Tudor légua à ses successeurs une organisation qui allait perdurer durant toute la durée du conflit. Les terribles coups de butoir des polices françaises, allemandes et italiennes n’arrivèrent pas à le détruire. Pour un Résistant qui tombait, 3 nouveaux Combattants se portaient volontaires pour le remplacer. Le réservoir humain s’avéra constamment renouvelé et inépuisable. A la Libération le réseau polonais comptait 2658 combattants (dont 2513 homologués F2). Les Polonais représentèrent 12,3% des combattants dont 21% de l’effectif des agents P2.
A signaler que 23% des Résistants étaient des femmes.
Dès le début de son activité, le réseau polonais chercha à coopérer avec les organisations françaises de résistance et mit à leur disposition ses ressources, dont celles de ses moyens radio. Ainsi à l’automne 1941, les dépêches du capitaine Frenay étaient expédiées par les radios polonais. Les messages radio du réseau B.D.L.M. (Bataillon de la Mort ), étaient également transmis par l’intermédiaire de ces mêmes radios polonais. En 1942, le colonel Romeyko (Mak) procura également une liaison radio directe avec Londres au colonel Ronin, chef du SR Air. Cette liaison appelée » Omega » fonctionna jusqu’à l’invasion de la zone libre.
Le réseau polonais apporta son aide à l’évacuation des Résistants français en assurant la logistique au sol d’une liaison maritime polonaise clandestine entre la côte méditerranéenne et Gibraltar. Cette liaison, assurée par la marine de guerre polonaise, fut opérationnelle à partir du mois d’août 1941, et les bateaux utilisés étaient appelés des felouques.
Grâce à ces felouques, de nombreux résistants français purent être acheminés sur Gibraltar puis Londres. Le 17 septembre 1942 Henri Frenay (Combat) accompagné de d’Astier du Mouvement Libération bénéficièrent de cette liaison.
Citons également, Gilberte Brossolette qui accompagnée de ses deux enfants, s’embarqua sur l’une de ces felouques à partir d’une calanque de Cassis. Ce fut le cas aussi pour : Louis et Suzon Vallon, Jean Moulin, le major Fourcaud, …ainsi que beaucoup d’autres.
Réseau Afrique. Un réseau polonais intitulé » Afrique « , s’implanta en Afrique du Nord, sur la demande des Alliés, à partir du mois d’août 1941. Il fut organisé et commandé par le major Slowikowski (Rygor). Ce réseau permit à 232 Résistants français de reprendre l’action aux côtés des Alliés sur les territoires de l’Afrique du Nord. Ceci fut d’autant plus méritoire que de nombreux militaires français s’impliquèrent dans cette lutte clandestine (43% de l’effectif), ainsi que plusieurs inspecteurs de police dont 4 commissaires de la B.S.T. (commissaires Achiary, Dubois, etc.). Le réseau combattit les facilités que procura Vichy aux forces de l’Axe, avec l’ouverture de ports d’Algérie et de Tunisie pour alimenter en matériel l’Afrika Korps ainsi que pour ravitailler des sous-marins allemands. Le réseau permit également de combattre les incursions des réseaux allemands de l’Abwher sur ces mêmes territoires.
A partir de décembre 1941, le réseau Afrique travailla en étroite coopération avec le consulat américain d’Alger, et son Ministre Robert Murphy, à préparer le Débarquement du 8 novembre 1942 des Alliés en Afrique du Nord.
Le Réseau Enigma-Equipe 300. Enigma était la machine militaire qui servait à coder tous les messages radio de l’armée allemande.
Les officiers et mathématiciens polonais qui avaient percé le secret du chiffrage de cette machine furent réquisitionnés par le Bureau des Menées Antinationales, et installés clandestinement à Uzès dans le Gard. Contraints de travailler pour Vichy, les Polonais organisèrent, à l’insu des responsables des B.M.A. un réseau de renseignement clandestin qu’ils mirent au service de la Pologne libre et de ses Alliés.
Près de 50% des messages allemands écoutés et décodés ne furent pas communiqués aux Services spéciaux de Vichy mais envoyés directement à Londres (dont ceux en provenance du front Est, Allemands et Russes).
Les messages qui étaient destinés à Vichy étaient transmis aux services du colonel Rivet (5° Bureau camouflé, au colonel Baril du 2° Bureau et au capitaine Paillole du Contre-Espionnage.
Jean Medrala Paris le 10 novembre 2004
La POWN : ORIENTATIONS NATIONALES ET POLITIQUES
La POWN (Organisation polonaise de combat pour l’indépendance ’ cryptonyme : » Monika « ) se constitua sur le territoire français après la débâcle de juin 1940. Elle regroupa à la fin de 1941 un millier d’émigrés polonais pour finalement compter quelques 14 000 membres au moment de la Libération en avril 1944. Elle recruta en particulier parmi les mineurs du Nord-Pas de Calais, des civils devenus les soldats anonymes de la Pologne émigrée combattante. Tels des fourmis, ils fournirent un travail patient, héroÏque, systématique, considérable et dangeureux. Les rares documents épargnés écrits par les résistants polonais constituent aujourd’hui le témoignage concret de la multitude des petites activités qui, coordonnées entre 1941 et 1944, ont permis à la POWN de jouer un rôle notable dans l’effort de guerre allié. On sait que la POWN informa Londres tout au long de la guerre de la localisation des bases militaires allemandes, des concentrations d’effectifs ennemis, des effets des bombardements alliés, des déplacements de troupes à l’ouest de l’Europe, des activités économiques de l’occupant, etc. En 1944, elle joua un rôle important dans le repérage et la destruction des bases de V1. Sur les 162 bases de lancement découvertes et décrites grâce à la POWN, la moitié environ fut ensuite bombardée et détruite par l’aviation anglaise [1]. Parfois, comme à Beauval, ce sont des commandos de la POWN qui purent eux-mêmes saboter les installations des rampes de lancement. Les membres de la POWN ont joué également un rôle dans l’évacuation vers l’Angleterre de soldats polonais ou de prisonniers évadés, britanniques, canadiens, français, etc… Elle a organisé le « petit sabotage » presque dès le début de son existence (vols de machines ou d’explosifs dans les usines, sabotage de moteurs ou de machines, propagande visant à ralentir le travail ou à en annuler les effets, grèves, etc.). Elle se lança ensuite dans le « grand sabotage » (démontage de voies ferrées, dynamitage de ponts ou des liaisons ferroviaires, coupures de cables téléphoniques). Les tracts et bulletins publiés par la POWN, en langues polonaise, française, allemande ont atteint les masses polonaises et françaises mais aussi les soldats alsaciens, autrichiens, polonais, allemands, etc. en particulier ceux enrôlés de force dans la Wehrmacht. On doit à tous ces efforts un nombre important de désertions de soldats mais d’ouvriers réquisitionnés qui trouvèrent, grâce à elle, une « planque ». À la Libération, les membres de la POWN empêchèrent la destruction par les occupants en fuite de plusieurs usines ou centrales électriques. Les clandestins de la POWN jetèrent aussi sur les routes des « Poznanianki », engins pointus de fabrication artisanale qui crevaient les pneus des véhicules militaires, ce qui ralentit l’exode des troupes et permit de faire prisonnier de nombreux militaires allemands. Parmi les multiples actions de la POWN, citons par exemple son rôle dans l’organisation de grèves dans les usines, la fabrication de faux papiers d’identité pour des Juifs cachés et la fourniture clandestine de nourriture pour les Juifs internés à Malines (Belgique) [2]. Si la somme des activités militaires de la POWN reste aujourd’hui difficile à établir à cause de la disparition de la plupart des témoins, de la destruction au cours même de la guerre de la plupart des documents et du faible intérêt que la POWN rencontra après la guerre en France, car c’était un réseau polonais, et en Pologne, car c’était un réseau opérant à l’étranger et lié au gouvernement concurrent de celui établi à Varsovie, on ne peut pas nier que ce mouvement a joué un rôle militaire et politique important. Son histoire intéresse tous ceux qui veulent étudier la stratégie politique du gouvernement polonais en exil à Londres, l’évolution des courants politiques chez les émigrés polonais et le processus de rapprochement entre les Polonais et les Français ou les autres populations occupées.
Les objectifs politiques des dirigeants de la POWN
Comme le soulignaient déjà à l’époque les communistes, il est indéniable que la POWN représentait non seulement les orientations générales du gouvernement de coalition polonais en exil à Londres, mais que les milieux issus du régime au pouvoir avant 1939 jouaient dans cette organisation au départ militaire un rôle important. Un article paru dans la revue de la POWN Walka le 16 janvier 1942 reconnaissait d’ailleurs en ces termes la génèse de la POWN : « …Nous avons quitté le pays… Nous nous sommes dirigés vers la France pour créer un encadrement militaire, technique et gouvernemental…Nous avons rencontré ici des compatriotes de la vieille émigration et nous avons trouvé avec eux un langage commun [3]. » L’objectif affirmé de la POWN était de constituer une force strictement polonaise, distincte de la résistance française et utilisable pour contrebalancer le plus possible, après la guerre, le poids de l’URSS en Europe. C’est d’abord dans le sud de la France où s’étaient repliés, après la débâcle de juin 1940, de nombreux militaires et cadres polonais liés au régime d’avant 1939, que se rassembla le noyau autour duquel se constitua la POWN. Peu à peu, avec le désir grandissant de lutte immédiate de la population polonaise émigrée et pour contrebalancer le recrutement communiste, la POWN se transforma en une organisation de masse qui, à l’image du gouvernement polonais de Londres, se présentait comme l’unique représentation légale de la population polonaise de France, de Belgique et des Pays-Bas. Cette organisation prévue au départ pour encadrer, faire du renseignement et préparer à la mobilisation générale lors de l’offensive finale fut amenée à recruter plus massivement que prévu des membres parmi les couches populaires, en particulier chez les ouvriers et les mineurs du nord de la France et de Belgique. Cette évolution apparaît nettement au regard de la liste, incomplète, constituée après la guerre des membres de la POWN tués, fusillés ou morts en déportation. Les morts issus des couches populaires (ouvriers, mineurs, métayers, artisans) représentent un minimum de 60% du total contre seuls 27% pour les représentants des élites sociales (militaires, intelligentsia, prêtres) d’avant 1939 [4]. La masse des membres de la POWN issue des milieux populaires a ainsi pu contribuer à influencer l’évolution de l’organisation tant sur le plan des comportements que sur celui des orientations socio-politiques. Avant 1939, les émigrés polonais en France et dans les pays voisins ont souvent manifesté un fort patriotisme qui se renforça à la suite des difficultés qu’ils avaient connues après leur arrivée (isolement, pauvreté, discriminations, etc…) en particulier après la crise de 1929 qui contribua à renforcer l’égoÏsme et la xénophobie en France, comme dans toutes les autres sociétés. Certains Polonais restaient donc très liés aux structures officielles de l’Etat polonais en exil. D’autres manifestaient un attachement aux coutumes et traditions polonaises ce qui contribuait à renforcer le rôle des prêtres et des milieux politiques polonais liés à la droite populiste et nationaliste. Un grand nombre d’émigrés polonais éprouvaient à la fois un sentiment de frustration face aux comportements arrogants du patronat français et une déception face à la pauvreté de la Pologne, cause de leur émigration. Ces sentiments les avaient poussés à se montrer critiques envers le régime politique au pouvoir en Pologne avant la guerre, jugé à la fois responsable de la faiblesse économique de leur pays et de la défaite de septembre 1939. Certains émigrés se sentaient proches du socialisme polonais, d’autres furent attirés par le communisme, en grande partie à cause de son radicalisme social et de son internationalisme. Toutes ces tendances politiques, rivales mais dans une certaine mesure complémentaires, ont exercé une influence au sein de l’émigration polonaise d’origine populaire, ce qui a eu des conséquences pendant la guerre dans l’évolution de tous les camps politiques.
L’évolution de la POWN suite à son implantation dans le nord de la France, en Belgique et aux Pays-Bas
On constate que la rivalité entre la POWN et le mouvement communiste, tous deux solidement implantés au sein de la communauté ouvrière polonaise immigrée, a contribué en fait à faire évoluer l’attitude de chacun des deux courants. Partie d’un programme strictement national, la POWN fut amenée, au cours de l’occupation, à inclure dans son programme de plus en plus d’éléments socialement radicaux tandis que les communistes, au départ strictement internationalistes et socialement radicaux, acceptèrent avec de plus en plus d’ardeur de légitimer les sentiments patriotiques de la classe ouvrière, française comme polonaise. Au cours de ce processus, la POWN, organisation au départ strictement polonaise, fut aussi amenée, pour démontrer qu’elle n’était pas dirigée contre la France, à mener une propagande au sein des milieux populaires français et à recruter une centaine de membres français. Le parti communiste de son côté voulait au départ mener un combat antifasciste ignorant les différences nationales mais il fut amené à créer une structure polonaise, « l’Organisation d’Aide à la Patrie (OPO), pour démontrer que son combat allait permettre l’instauration d’un régime de justice sociale et de liberté nationale, en France comme en Pologne. Il est indéniable que la rivalité existant entre la POWN et le Parti communiste en France a toujours été très forte et qu’elle a même parfois contribué à freiner le combat commun contre l’occupant. Les deux organisations ont cherché à s’affaiblir mutuellement en utilisant parfois des moyens douteux moralement, ce qui eut aussi des conséquences néfastes. Cette rivalité a cependant aussi été un moteur contribuant à faire évoluer sur plusieurs points, les conceptions des cadres dirigeants comme de la masse des travailleurs. À la base de la société, chez les milieux ouvriers, là où prédominait le radicalisme social et où la perception des différences politiques était dans l’ensemble moindres, des convergences ont cependant pu parfois se développer. Dans un témoignage qui nous est parvenu par le biais des archives de la POWN, on rapporte, par exemple, que le 16 mai 1944, la section de la POWN de la ville de Wallers et dirigée par Jackowski a participé à une opération lancée par les FTP communistes. À cette occasion les résistants firent dérailler un train de permissionnaires allemands entre Raismes et Wallers, ce qui entraîna la mort de plusieurs soldats et en blessa d’autres [5]. Pour concurrencer le recrutement communiste, la POWN a aussi dû se transformer en une organisation de masse, ce qui, malgré son fonctionnement hiérarchique, la poussa à radicaliser son programme social. Cette évolution contribua même à influencer dans le même sens les secteurs les plus traditionalistes de la société polonaise immigrée et à se rapprocher de la société française. Un des paradoxes apparent de cette rivalité-émulation réside dans le fait que la POWN contribua, par ses activités, à enraciner peu à peu les émigrés polonais dans la réalité française, tandis que l’on observe que des militants communistes polonais se sont « repolonisé » pendant la guerre. Après la guerre, certains communistes rentrèrent au pays, tandis que des anciens de la POWN demandèrent leur naturalisation française. C’est d’ailleurs avec une certaine émotion que l’on peut lire le rapport d’un mineur polonais résistant de la POWN, Piotr Ukleja, écrit dans un français encore hésitant mais qui montre combien l’attachement à la France ne dépendait pas toujours de l’origine ethnique : « …Le 15 avril 1942, j’ai coupé deux courroies circulaires et une courroie de caoutchouc sur laquelle j’ai découpé la Croix de Lorraine. Résultat : le travail fut arrêté pendant neuf heures. Cette affaire a été envoyée par la direction de la Compagnie des Mines de Courrières au Gestapo… » [6]. L’évolution que connut la POWN était due surtout à l’impact particulier que les questions sociales jouaient dans les milieux ouvriers qui avaient rejoint la POWN et qui voulaient savoir pour quelle Pologne ils combattaient. La position contenue dans l’ordre n°4 du chef de l’organisation, Alekander Kawalkowski, datant du 22 juillet 1943 : « …jusqu’à ce que la maison ne soit pas reconstruite, il est trop tôt pour parler de la couleur des murs et de la disposition intérieure… » [7] devint intenable à long terme au sein des masses polonaises du nord de la France et de Belgique. Dans un article publié le 8 juillet 1942 par Komunikat, « Pour un meilleur avenir de la Pologne », on posait déjà le problème : « De nombreux Polonais réfléchissent pour savoir quel sera le régime de la future Pologne ». L’auteur de l’article se bornait encore à formuler des généralités qui rappelaient les théories politiques officielles en vigueur avant 1939 (démocratie, mais avec « limitation » de la puissance des partis, pouvoir aux mains des masses, mais avec un gouvernement fort, etc…). On perçoit cependant la force des pressions constantes provenant de la base ouvrière et l’influence de la concurrence communiste dans de nombreuses publications de la POWN. Sztandar avait pour en-tête : « Notre objectif : Une Pologne Libre, Puissante, Réellement indépendante appartenant aux Masses Travailleuses ». D’autres publications spécialisées se concentraient particulièrement sur ces questions. La création du Comité Central de Combat (CKW) comme représentation politique de l’émigration polonaise faisait, dans son sigle comme dans son programme, ouvertement référence aux traditions socialistes (du PPS polonais). Le 11 novembre 1943, le CKW publiait ainsi un texte dont le titre avait le mérite de poser la question qui agitait les milieux populaires polonais : « Est-ce que le gouvernement de la République de Pologne est réactionnaire ? » Dans sa réponse, le CKW cherchait à démontrer que le gouvernement de Londres était une coalition ayant des objectifs progressistes et qu’il était aussi prêt à tendre la main » à la Russie « . En mai 1944, le CKW publiait « Sur le chemin menant à la Pologne populaire » qui reprenait le principe de grandes réformes sociales après la guerre : « Les deux plus grands partis du pays, socialiste et agrarien, regroupant dans leurs rangs l’énorme majorité des masses polonaises paysannes et ouvrières ont élaboré, il y a plus de 2 ans, un Programme pour une Pologne Populaire comportant des réformes qui devront être réalisées en Pologne après la guerre ». Suivaient une énumération des mesures progressistes à introduire. Elles allaient être reprises plus en détail le 9 septembre 1944, après la Libération, par le CKW, dans le manifeste « Pour une Grande Pologne Libre des Masses Travailleuses ». Le CKW, tout en se considérant comme l’unique représentant de l’émigration polonaise car il était reconnu par le gouvernement en exil à Londres, émettait un programme somme toute identique, voire parfois plus radical, que celui qui était, au même moment proclamé en Pologne, à Lublin, et en France par les communistes polonais émigrés du PKWN (Comité polonais de libération nationale). On y retrouvait l’exigence d’une réforme agraire radicale, de l’étatisation de la grande industrie, de la socialisation des établissements moyens, de l’avancement social et culturel des masses, du retour à la Pologne des territoires occidentaux anciennement allemands, de l’expulsion de la population allemande, la volonté de coopération avec les alliés occidentaux mais aussi avec l’URSS. Comme dans le programme du PKWN de Lublin, l’ambiguÏté du programme se trouvait en fait dans les sous-entendus et dans ce qui n’était pas clairement abordé. Il est intéressant de noter que, malgré une irritation certaine devant cette hégémonie des idées de gauche tant chez les communistes qu’à la POWN, les milieux nationalistes et catholiques polonais intégrés à la POWN ne se sont pas publiquement, dans un premier temps tout au moins, opposés à une évolution qui, officiellement, aboutissait à les marginaliser. Cela démontre la force de la radicalisation des milieux populaires à la fin de la guerre. Cela ne doit cependant pas nous empêcher de constater aussi l’ambiguÏté des intentions de la direction de la POWN, et plus largement de la majorité des autorités polonaises à Londres, à l’égard des réformes promises. Il est cependant indéniable que la POWN, au départ bien contrôlée par des cadres issus de la mouvance pilsudskiste liés au gouvernement polonais de coalition à Londres, a évolué en profondeur au cours de la guerre sous l’effet de sa propre base sociale. Cette évolution n’était sans doute pas aussi profonde dans les faits que dans les textes, mais on peut néanmoins la considérer comme réelle. Hormis l’utilisation du terme de « Grande Pologne », hérité d’avant1939, les objectifs de la POWN ont fait de plus en plus référence, superficiellement au moins, aux principes du socialisme. Cette évolution a été plus nette dans le nord de la France et en Belgique à partir de 1943. C’est en effet à partir de ce moment que Jerzy Paczkowski s’y installa pour diriger, entre autres, la publication de deux périodiques de la POWN (Sztandar et Walka). On peut émettre l’hypothèse que ses liens, datant d’avant 1939, avec les milieux de la « gauche patriotique », milieu politique pilsudskiste progressiste, ont facilité l’évolution politique de la POWN dans son bastion. Grâce à sa grande sensibilité humaniste, à sa simplicité et à son attachement au peuple de Pologne, il a contribué à créer dans les milieux polonais du nord de la France une atmosphère de combat et de mobilisation sociale, ce que reconnaissent tous les témoins qui l’ont connu. La radicalisation du programme social de la POWN semble donc due à la fois aux pressions, plus ou moins spontanées, de la base de cette organisation, mais aussi à la lucidité et à l’ouverture d’esprit d’une partie de ses dirigeants et de ses cadres. Cette organisation joua un rôle militaire évident mais elle ne put cependant remplir quasiment aucun des objectifs politiques qui lui avaient été assignés dès 1941 par le gouvernement polonais à Londres. Les rapports de forces, tant à l’est de l’Europe qu’à l’Ouest, avaient évolué entretemps en défaveur des courants polonais anticommunistes ou simplement non-communistes. Vu la marginalisation des milieux liés au gouvernement polonais en exil à Londres au sortir de la guerre et le fait que la POWN n’a pas pu confronter son programme à l’exercice du pouvoir, il est impossible de répondre complètement à la question de savoir dans quelle mesure la radicalisation du programme de la POWN a correspondu à une évolution profonde et dans quelle mesure ce processus n’était que conjoncturel. Il semble cependant que les éléments de réponse dont nous disposons permettent de penser qu’il y eut une radicalisation réelle mais incomplète, tant au niveau des militants de base que dans une partie au moins de la hiérarchie. Après 1945, la plupart des membres de la POWN sont restés en France. Certains ont rompu avec tout engagement social ou politique, d’autres ont continué à s’engager dans les questions polonaises, le plus souvent dans une direction anticommuniste mais pas forcément conservatrice, d’autres encore firent montre d’un engagement social ou syndical qui démontre qu’ils n’étaient pas des éléments réactionnaires. Le jugement doit donc être nuancé et on peut estimer que la POWN a permis à une génération d’émigrés de mûrir politiquement. Il est aussi intéressant de noter que, grâce à cette organisation, des personnes issues de milieux sociaux différents se sont côtoyés et ont confronté leurs sensibilités. Sans cette expérience, elles ne se seraient sans doute jamais rencontrées. C’est aussi grâce à la POWN que, en luttant contre l’occupant allemand sur un sol étranger, plusieurs milliers de Polonais ont, directement, et plusieurs dizaines de milliers, indirectement, découvert la France et la diversité de ses milieux sociaux, de ses courants et de ses traditions. Au début de juillet 1944, dans la dernière lettre qu’il envoya à son chef, Kawalkowski, Paczkowski écrivait : « …Qu’est-ce qui peut nous menacer, cher ami ? Même si nous devions mourir avant la DB, nous aurions dans un certain sens déjà fait ce qu’il fallait – et personne ne pourra plus nous reprendre cela. Quand on a créé des choses si belles, quand on a vécu des émotions si grandes, la mort, à laquelle nous n’avons pas le temps de penser, n’est en fait pas du tout terrible » [8]. Jerzy Paczkowski fut arrêté par la Gestapo à Loos le 28 juillet 1944 au moment où il envoyait un dernier message à Londres. Après de nombreux interrogatoires, affaibli par les tortures, il fut envoyé en Allemagne au camp de concentration de Neuengamme, où il mourut d’épuisement en février 1945. La POWN ne pu donc jouer, après la Libération, le rôle que ses chefs et fondateurs avaient prévu pour elle. Les alliés occidentaux ne laissèrent les autorités polonaises en exil mobiliser sous les drapeaux qu’une partie des Polonais de l’émigration prévus à l’origine. Même si elle a perdu son combat politique, elle a joué un rôle militaire important sous l’occupation. Elle a contribué également à renforcer la mobilisation de l’émigration polonaise dans le combat national, politique et social, ce qui a permis de répandre en son sein des valeurs civiques et de rapprocher les populations polonaises et françaises. Son combat a permis aux déracinés polonais d’avant-guerre et aux exilés de 1939 de retrouver leurs racines communes et d’en faire pousser de nouvelles.
Bruno DRWESKI