Marie- Madeleine Fourcade, Chef du réseau Alliance par Michèle Cointet
Rencontre prévu le 25/06/2007
Conférence du Professeur Michèle Cointet sur Marie- Madeleine Fourcade, Chef du réseau Alliance
En écrivant la biographie de Marie- Madeleine Fourcade, « cette grande dame de la Résistance », suivant le mot du colonel Christian Méric, son fils, Michèle Cointet, s’est essayée aussi à décrire le parcours et l’action de tous ceux et de toutes celles qui l’ont entourée. Ces figures émouvantes ont marqué à la fois le réseau Alliance et la Résistance. Avec Georges Loustanau-Lacau, elle fut à l’origine de la création, avant de le diriger, du plus grand réseau de renseignement de la Résistance en France, qui comprendra jusqu’à 3 000 femmes et hommes. En importance, seul le Réseau de la Confrérie Notre-Dame du Colonel Rémy peut lui être comparé.
*L’entrée en Résistance :
L’entrée en Résistance de Marie-Madelaine Fourcade est particulièrement précoce : les premiers pas du futur réseau Alliance, appelé à l’origine « Croisade », ont lieu en octobre – novembre 1940 à un moment où la Résistance est encore très peu présente en France.
Marie-Madeleine est née en 1908 à Marseille, vit ses dix premières années à l’étranger, en Chine, où son père est le représentant de la Compagnie des Messageries Maritimes , tout en étant un agent du 2ème bureau français (elle-même ne l’apprendra que beaucoup plus tard). Elle connaît une enfance choyée et cosmopolite à l’ombre de la grande concession de Shanghai, où règnent en maître les Britanniques et où vraisemblablement naîtra sa grande admiration pour la Grande Bretagne.
A la mort de son père, toute la famille rentre en France, Marie-Madeleine y entreprend des études musicales pour devenir pianiste, puis épouse Edouard Jean Méric, un bel officier des Affaires indigènes. Elle le suivra au Maroc où ils vivront dans le souvenir de Lyautey, ce qui explique sans doute qu’elle ne sera jamais pétainiste. En effet en 1925, au moment de la guerre du Rif, le Général Pétain a remplacé « assez brutalement » Lyautey comme Résident général au Maroc.
Mais assez vite la mésentente s’installe dans le couple et elle rejoint, avec ses deux enfants Paris. Passionnée par les nouvelles technologies, elle travaille à Radio-Cité, fondée par Marcel Bleustein-Blanchet : en 1937, elle est la première radio commerciale à connaître un franc succès. C’est aux cours de ces années d’avant-guerre, qu’amenée à fréquenter à Paris le milieu des officiers, elle y fait la connaissance du Commandant Georges Loustanau-Lacau. Cet officier s’est comporté de manière héroïque sur les champs de bataille de la Grande Guerre. Il est à la fois un officier philosophe – très politique et marqué à droite – avec un esprit novateur. Dans les années 1930, il succède, comme officier de plume, au cabinet du maréchal Pétain, Inspecteur de la Défense nationale, à Charles de Gaulle. Le Commandant Loustanau-Lacau est durant ces années d’avant-guerre le créateur de petites revues, relativement confidentielles à usage des milieux d’affaires et des milieux militaires. Revues anticommunistes, voire antiparlementaires, qui avertissent du danger de la montée du nazisme et parallèlement de l’impréparation de l’armée française. Ces écrits sont peu appréciés par la haute hiérarchie militaire d’autant que le commandant est accusé de supposés complots. Il lui est demandé « de prendre du large par rapport aux fonctions qu’il occupe ».
C’est durant cette période que vont se nouer des relations de travail entre Marie-Madeleine et le Commandant, dont elle devient Secrétaire général de l’ensemble des publications, en y exerçant une certaine influence.
En 1940, Marie-Madeleine Fourcade est donc une jeune femme de 30 ans, éprise de liberté, indépendante, d’une certaine manière non-conformiste et qui manifeste un vif intérêt pour la vie politique de son pays.
Mai 1940, c’est la guerre, la percée des chars allemands à Sedan et l’exode qui marque profondément la future Résistante. Elle est révoltée et profondément troublée d’entendre,- dans les cafés de Dax, où elle apprend la signature, à Rethondes, de l’armistice,- des hommes « boire à la santé du vainqueur de Verdun ». Durant ce triste exode, ce sont des sentiments de honte et de révolte qui l’assaillent. Elle éprouve, suivant ses propres paroles : « une véritable vocation à la vue de l’armée en retraite, et sent monter en elle la notion de renversement des rôles… Si des officiers n’ont pas fait exactement le travail que l’on attendait d’eux, c’est aux civils de reprendre le flambeau…. ». Pendant ces quelques semaines, contrairement à nombre de ses compatriotes, elle n’est pas emportée par le découragement et par le renoncement : elle est loin d’apprécier « le confort des paroles du nouveau chef de l’Etat » ; dans ces circonstances, elle entend rester fidèle à un patriotisme exigeant.
C’est à Oloron-Sainte-Marie, aux pieds des Pyrénées que, retrouvant Georges Loustanau-Lacau blessé et évadé, elle lui fait part de son projet de rejoindre l’Angleterre par l’Espagne. Le commandant a en tête un autre projet : en effet il vient d’être nommé délégué général de la Légion des combattants. Sans beaucoup d’enthousiasme elle le suit à Vichy ne doutant pas qu’elle aura, sur cet homme qu’elle admire, une influence pour le conduire sur le chemin de la Résistance.
*Naissance du réseau de Renseignement Alliance :
C’est à partir de l’hôtel des sports, situé dans la nouvelle capitale de l’Etat français et baptisé Centre d’entraide pour les anciens combattants, que, suivant l’expression du Commandant Loustanau-Lacau ,« va se construire quelque chose de costaud », à l’ombre de la très vichyste Légion des combattants. Les premiers agents sont pêchés tout simplement dans la salle à manger du rez-de-chaussée de l’hôtel. Pendant ce temps, au premier étage, Marie-Madeleine « jouant discrètement les maîtresses de maison » reçoit, avec le Commandant, des visiteurs présentés par le général Batton, délégué de ce centre d’entraide ; celui-ci s’essaye à recruter dans les différents services du nouvel Etat français et chez les tout premiers déçus du pétainisme. Bien plus tard d’autres vagues de déçus suivront.
Parmi ces premiers recrutements, qui sont à la fois le fruit du hasard et de l’amitié, figurent deux officiers de marine Henri Schaerrer, et Jean Boutron : ce rescapé de Mers-el-Kébir – après quelques hésitations – il est sur l’échiquier politique plutôt à gauche – rencontrera Georges Loustanau-Lacau le 19 décembre 1940. Dès lors ce sont progressivement les premiers maillons d’une chaîne qui se crée, où Marie Madeleine Fourcade prend toute sa part. Le Commandant la présente comme son «…chef d’Etat-major qui a une mémoire d’éléphant, une prudence de serpent, un instinct de fouine, une persévérance de fauve : une véritable arche de Noé à elle toute seule… ». Ces quelques propos soulignent la confiance très grande qu’il lui témoigne.
C’est dans le sud, dans la région de Marseille, que se mettent en place les cellules d’un premier réseau, avec pour couverture une Amicale de la marine marchande. Puis grâce à l’appui de l’Amiral Auphan, Jean Boutron est nommé attaché naval à Madrid, où il prend contact avec Georges Charaudeau, un ancien du 2ème bureau, qui le met en relation avec le correspondant anglais de l’Intelligence Service. Ainsi le réseau encore embryonnaire à cette date va-t-il disposer d’une première « fenêtre extérieure ». Avantage supplémentaire pour Alliance, les premiers postes émetteurs et les premiers moyens financiers lui seront fournis, en toute discrétion, par cette valise diplomatique madrilène par laquelle ils transitent.
Parmi les premières recrues figurent aussi l’un des « As » du 2ème bureau de la première guerre mondiale, le Colonel Bernis qui sera en quelque sorte « l’instructeur » de Marie-Madeleine Fourcade et son conseiller pour l’organisation du réseau.
Parallèlement en novembre 1940, Jacques Bridou, journaliste marié à une Anglaise et frère de Marie-Madeleine, se rend à Londres, à la demande de sa sœur, pour s’informer de la situation en Angleterre. Il en revient quelques mois plus tard et juge que pour des raisons tant financières que militaires, il lui semble plus crédible de travailler directement pour les Anglais, jugement que partage sa sœur. Il apporte aussi à Georges Loustanau-Lacau un rendez- vous avec un agent anglais des services secrets : la rencontre aura lieu au Portugal où un accord est conclu avec les Britanniques au printemps de 1941.
*Les activités du réseau Alliance jusqu’à la fin de 1942 :
Au printemps 1941, les Britanniques sont engagés dans une bataille vitale pour eux, celle de l’Atlantique, où les sous-marins allemands mettent en péril son approvisionnement en coulant par mois plus de bateau que ses chantiers navals n’en produit. Pour gagner cette bataille, les Anglais vont donner au réseau Alliance tous les moyens nécessaires en argent, en postes émetteurs, afin que ses agents communiquent des renseignements sur les plans de bataille des «U-boots », permettant ainsi à la Royal Navy de les couler et de mieux protéger ses convois de ravitaillement dans l’Atlantique. En effet à cette époque, la majeure partie des sous-marins allemands sont basés dans les ports français du littoral Atlantique avec comme centre de commandement et comme base principale le port de Lorient. C’est Marie-Madeleine Fourcade qui depuis Paris, en zone occupée, va monter, puis diriger les agents du réseau engagés dans cette bataille de l’ombre. Quelques grandes figures vont s’y illustrer, comme celle de Jacques Stosskopf, polytechnicien et directeur adjoint de la base de Lorient, alsacien, bien considéré par les Allemands dont tout le monde croit qu’il collabore avec eux. Il n’en sera rien : il disparaît en 1943.Mais c’est en 1946, quand la base, redevenue française sera baptisée par le général de Gaulle de son nom, que l’on apprendra que ce « silencieux d’Alliance » est mort en déportation, à la suite des nombreux renseignements qu’il avait fournis aux Anglais pour gagner la bataille de l’Atlantique !
A partir de Mai 1941, le Commandant Loustanau-Lacau s’éloigne de la direction du réseau, attiré par la politique, et projette de soulever l’Afrique du Nord contre Vichy. Projet pour le moins très précoce à la suite duquel, dénoncé, il est arrêté, transféré en France et condamné à deux ans de prison avant que Vichy ne le livre aux Allemands qui le déporteront en octobre 1943 à Mauthausen, dont il reviendra très affaibli.
Tout naturellement que Marie-Madeleine Fourcade, après s’être interrogée sur le devenir du réseau à la suite de l’arrestation du Commandant, forte du soutien des jeunes civils et militaires qui l’entourent et qui lui répètent à l’envie : « …C’est à vous de nous diriger.. », prend la décision d’assurer la direction d’Alliance.
Les Anglais, avertis de l’arrestation de Loustanau-Lacau, demandent : « Qui va prendre sa succession ? »……
Réponse : « Moi, entourée de fidèles lieutenants » signé : POZ 55.
Ainsi c’est une jeune femme, qui sans vraiment l’avoir recherché, va assurer les plus hautes responsabilités, en devenant « le Chef » du réseau Alliance. Le choix du nom Alliance signifie l’égalité que ce réseau veut avoir avec les Britanniques et fait référence à la grande et traditionnelle alliance des Français et des Anglais d’avant 1940.
A ce réseau les Alliés confieront le transfert clandestin de France du général Giraud, qui venait de s’évader de la forteresse allemande de Könisgstein, vers l’Algérie au moment de leur débarquement en Afrique du Nord – Opération Torch – où ils avaient besoin d’un général au passé prestigieux, capable de leur rallier l’Armée française d’Afrique.
En décembre 1942 à la suite de l’évasion du général Giraud de France qui a exigé un très dense trafic radio, Marie-Madeleine est arrêtée par la surveillance du territoire de la police de Marseille et faussera heureusement compagnie à ces policiers marseillais aussi quelque peu complices de cette évasion.
*Le réseau Alliance après l’Occupation de la zone libre :
L’année 1943 est une année terrible pour la Résistance, les Allemands occupent entièrement la France. Leurs services de sécurité – la Gestapo avec la complicité de la police de Vichy – sont particulièrement efficaces en achetant et manipulant des agents doubles qui désorganisent bien des mouvements de Résistance et des réseaux de renseignement.
A cette époque, les Anglais estiment qu’un chef de réseau ne peut pas durer plus de huit mois : Marie-Madeleine Fourcade tiendra 31 mois grâce à l’excellence de la préparation du travail clandestin, de la complicité de plus en plus active de la population française, « des planques », de sa mobilité dans toute la France avec une équipe réduite à deux personnes – sa secrétaire « Hermine » et son radio « Pie » – et peut- être grâce aussi à une grande intuition.
En dépit de cette répression et de toutes les difficultés rencontrées, la recherche du renseignement continue comme au printemps 1943 où un membre du sous réseau des Druides, dirigé par Georges Lamarque, apprend de Jeanie Rousseau par une source familiale que des armes secrètes sont essayées en Allemagne. L’agent d’Alliance en Allemagne est averti, confirme l’existence de ces essais par un rapport qui est envoyé en juin 1943 aux Anglais. Plus tard, au printemps 1944, ce sont encore des membres du réseau Alliance qui communiqueront aux Britanniques les emplacements des bases de lancement des fusées V1 et les V2 qui bombarderont Londres.
Après plus de 31 mois de tension extrême, Marie-Madeleine Fourcade accepte enfin de partir pour l’Angleterre afin d’y rencontrer les responsables de l’Intelligence Service en juillet 1943.
Triste séjour pour le chef d’Alliance : en août elle apprend qu’à son retour d’Angleterre l’un de ses premiers et fidèles compagnons le Commandant Léon Faye a été arrêté, à la suite à la trahison de Jean-Paul Lien. 150 membres du réseau tombent à l’automne 1943. Une partie d’entre eux sera jugée par le Tribunal de guerre du Reich, au cours d’un procès spectaculaire à Fribourg-en-Brisgau le 28 juin 1944. Les condamnés à mort sont fusillés le 21 août ou, comme Léon Faye, assassinés. La répression fait des ravages dans les rangs du réseau et chaque mois apporte son lot d’agents de femmes et d’hommes arrêtés.
Eloignée, elle assiste ainsi impuissante à la destruction d’Alliance, au début de 1944 il ne reste plus que quatre-vingt agents actifs.
Les Britanniques le retiennent à Londres, pour sa sécurité et celle du réseau. Sa biographe se demande si le ralliement final de Marie-Madeleine Fourcade au B.C.R.A du colonel Passy, par ailleurs inévitable après la création du C.F.L.N. désormais maître des services spéciaux et le bailleur de fonds, n’a pas été favorisé par l’impression qu’il lui laisserait une plus grande liberté que les anglais et favoriser son retour en mission en France. C’est chose faite en juillet 1944 en Provence. Arrêtée par les Allemands elle réalise une extraordinaire évasion nocturne, se glissant grâce à sa minceur et avec beaucoup d’efforts à travers les barreaux d’une salle du rez-de-chaussée de la caserne Miollis d’Aix-en-Provence ce qui lui permet d’éviter à ses compagnons de tomber dans une souricière.
Elle refuse que le réseau devienne un mouvement ce qui lui semble dériver vers la politique et reste fidèle à la recherche du renseignement qu’elle continuera dans l’Est de la France, à l’avant les lignes de l’armée Patton, avec Georges Lamarque, futur Compagnon de la Libération, qui y laissera sa vie.
*Après la Victoire :
Cette femme patriote, intelligente « au cran à tout épreuve » – suivant l’expression de Jacques Baumel -, qui avait su insuffler la foi aux femmes et hommes de son réseau et dont la modestie et la souplesse lui avaient permis de s’adapter aux difficiles épreuves traversées par Alliance, va continuer, à s’investir dans le travail de mémoire de la Résistance et à servir au plan social toutes celles et ceux, survivants, qui sont dans le besoin.
A la Libération, Marie-Madeleine Fourcade, en tant qu’Officier liquidateur, « part » sur les traces des femmes et des hommes disparus reconstituant leur histoire et découvrant leur dépouille à laquelle elle assure une digne sépulture avec tous les honneurs qui leur sont dus, afin de les faire enterrer dignement avec les honneurs qui leur sont dus.
Le bilan est terrible : sur 1000 agents d’Alliance arrêtés 438 ont été exécutés. Ainsi l’ennemi, pour tous ces agents de renseignement, s’est montré intraitable : la victoire a été chèrement acquise.
Vis à vis des familles des disparus, c’est une action sociale importante qu’elle entreprend à la fois pour soulager leur chagrin et aussi afin les aider matériellement, en particulier dans l’éducation de leurs enfants, cette action d’amitié et de secours se prolongera jusqu’au milieu des années 80.
Parallèlement elle contribue à maintenir une mémoire vivante de la Résistance dans diverses associations en particulier au sein du C.A.R. (Comité d’Action pour la Résistance), dont elle secrétaire générale puis longtemps Présidence.
Bien que peu reconnue par le milieu politique elle a efficacement œuvré pour le retour au pouvoir du Général de Gaulle en 1958 et fut parmi les fondateurs de l’U.N.R. et elle a siégé au Parlement européen.
L’histoire de Marie-Madeleine Fourcade, cette grande dame de la Résistance, permet de mesurer à sa juste mesure la contribution des femmes dans la Résistance puisque .Alliance comprenait 25% de femmes. Enfin sa vie et l’histoire de son réseau autorisent une appréciation plus positive de la société de ce temps et ne donnent pas l’idée, trop souvent perçue, d’une France lamentable. Les cadres de la société assument leurs responsabilités. Plus de la moitié des membres du réseau appartiennent à la fonction publique. Ils rejoignent les cadres du privé, les professions libérales, les chefs d’entreprises, les milieux des employés, artisans, commerçants et surtout le groupe, en général oublié, des « inactifs », qui sont souvent des femmes au foyer ou sans emploi.
Marie-Madeleine appartient à la Résistance de droite mais a travaillé avec des compagnons issus de la gauche
Tout comme les Honoré d’Etienne d’Orves ou les Boris Vildé, Marie-Madeleine Fourcade est à placer dans la lignée des Résistants de la première heure dont « La précocité est remarquable, quand pour certains devenir résistant après novembre 1942 est de l’intelligence politique, et l’être dans l’été 44, de l’opportunisme ».
*Cette conférence de Madame Michèle Cointet s’est tenue en clôture de l’Assemblée Générale de l’association « Mémoire et Espoirs de la Résistance », dans les salons de la Fondation de la Résistance le lundi 25 juin 2007.
(Transcription Jean Novosseloff)