L’épuration à Alger par Mme Levisse-Touzé
Rencontre prévu le 15/05/2003
Introduction
La création du Comité français de libération nationale le 3 juin 1943 à Alger sous la double présidence du général Giraud et du général de Gaulle est un tournant dans l’histoire de la France au combat[1]. De Gaulle a obtenu que Marcel Peyrouton, gouverneur général de l’Algérie et le général Noguès, résident général du Maroc jugés trop proches du gouvernement de Vichy soient écartés. Il a, le 8 août 1943, d’une formule lapidaire annoncé l’épuration : « Le pays, un jour, connaîtra qu’il est vengé. »
Jean-Pierre-Bloch, adjoint d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, au Commissariat à l’Intérieurr, se fait l’écho des représentants de la Consultative, car « L’épuration manquée en Algérie permettrait aux collaborateurs de redresser immédiatement la tête en France après la libération ».[2]
Par une ordonnance du 3 septembre, le CFLN s’est engagé à assurer au plus tôt l’action de la justice contre « ceux qui ont capitulé ou collaboré avec l’ennemi (..) qui ont livré les travailleurs français à l’ennemi et fait combattre des forces françaises contre les alliés ou contre ceux des Français qui continuaient la lutte ». La collaboration avec l’ennemi et « l’abdication de la souveraineté nationale » sont qualifiées d’actes de trahison. Pétain est directement visé.
Des mesures sont prises concernant l’épuration : procédures sommaires ou judiciaires auxquelles sont soumis des Français accusés de trahison, de collaboration, de crimes et de comportements liés à l’occupation et à la collaboration avec l’ennemi.
Une commission d’épuration de cinq membres présidée par le syndicaliste Charles Laurent, délégué à l’Assemblée consultative doit effectuer en Afrique du nord « le criblage des dossiers des élus, fonctionnaires et agents publics qui, depuis le 16 juin 1940, ont, par leurs actes, leurs écrits ou leur attitude personnelle, soit favorisé les entreprises de l’ennemi, soit nui à l’action des Nations unies et des Français résistants, soit porté atteinte aux institutions constitutionnelles, et aux libertés publiques fondamentales. »
- LES AUTORITES MILITAIRES LES PREMIERS PROCESLe tribunal d’armée juge au début de l’année 1944, les tortionnaires du camp d’Hadjerat M’Guil, responsables de la mort de 9 internés, puis ceux du camp de Djenien-Bou-Rezg. Il existait encore au premier trimestre 1943, une vingtaine de camps où étaient détenus encore quelques 15 000 détenus dont 7 000 Français. Les prisonniers appartiennent aux catégories pourchassées depuis novembre 1938 : communistes français et autochtones, nationalistes algériens, républicains espagnols, anciens des Brigades internationales, Allemands, Autrichiens, « indésirables » suivant l’expression du gouvernement de Vichy, envoyés par lui en Afrique du Nord afin de limiter « l’effort » de la métropole qui ne veut pas subvenir aux besoins pourtant réduits de ces apatrides. Il y eut des morts d’hommes dans ces camps, causées soit par des retards d’hospitalisation, soit à la suite de mauvais traitements comme ce fut le cas pour les deux camps précédemment cités. Des membres de la Phalange africaine engagée aux côtés des forces de l’Axe pendant la campagne de Tunisie sont jugés : quatre sont condamnés à mort, deux aux travaux forcés à perpétuité et deux à dix ans de travaux forcés. Le procès est largement couvert par La Dépêche algérienne jusqu’à ce que le procès Pucheu lui enlève la Une.
- 2.1. Les tortionnaires des camps
- L’épuration commence dans l’armée avec la création le 15 août 1943 de la Commission spéciale d’enquête de Tunisie, présidée par le doyen de la faculté de droit d’Alger, le professeur Viard, membre du mouvement Combat créé début 1942 par René Capitant. Elle doit établir les « conditions dans lesquelles les forces armées de l’Axe ont pu pénétrer en Tunisie en novembre 1942 et déterminer les responsabilités encourues par les autorités civiles et militaires au cours de ces événements »[3]. Sont examinés les rôles de Darlan et du général Noguès, du général Barré, commandant supérieur des troupes de Tunisie, de l’amiral Moreau, préfet maritime de la IVème région d’Alger, du général Mendigal, chef des forces aériennes, de l’amiral Esteva résident général en Tunisie. Les responsabilités du général Juin sont établies mais vite étouffées car de Gaulle n’y donne pas suite. Les raisons de sa clémence s’expliquent probablement dans l’esprit de corps à l’égard du camarade de à Saint-Cyr, major de la promotion « Fez ». Il lui reconnaît des qualités de meneur d’hommes et de stratège au moment où il a tant besoin de chef de valeur pour réunifier l’armée jusque-là divisée entre l’Armée d’Afrique et les Forces Françaises libres. Ces mesures de clémence ne concernent pas l’amiral Esteva, ancien résident général en Tunisie, arrêté le 22 septembre, le général Bergeret, adjoint de Darlan, arrêté le 20 octobre, Marcel Peyrouton, ancien gouverneur de l’Algérie, le général Boisson, gouverneur général en Afrique-Occidentale française et Flandin le 11 décembre. Les amiraux Michelier et Derrien respectivement commandant la Marine au Maroc et en Tunisie sont déjà incarcérés.
- Le procès Pucheu Conclusion,
- Jean-Louis Crémieux-Brilhac souligne très justement que « l’épuration en Afrique du Nord, dans la mesure où elle dépend de De Gaulle, combine la mansuétude et les grands exemples »[5] L’expérience nord-africaine de l’épuration n’est qu’un prélude sur un terrain particulier. La population n’a connu, ni fusillades, ni prise d’otages, ni déportations de masse sauf la Tunisie qui pendant six mois a été occupée par les forces germano-italiennes. Frenay qui rêve de créer un grand parti de la Résistance souhaite ce qu’écrivait Simone Weil « que les défaillances des hommes de second plan et au-dessous, survenues après la défaite soient oubliées. Autrement la France vivrait des années dans une atmosphère atroce, dégradante, de haine et de peur. »
- Minsitre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy de février 1941 à avril 1942, son nom est associé à la mise en place des juridictions d’exception, les Sections Spéciales, après l’attentat du 21 août 1941 à Paris. Les Allemands ont menacé alors de prendre cent otages, sauf si le gouvernement de Vichy institue un tribunal spécial réprimant les menées communistes. Le point de vue de Pucheu a prévalu au détriment de celui du ministre de la Justice Barthélémy. Il préfère sélectionner les otages et envoyer des communistes au poteau. Il reste au pouvoir jusqu’au retour de Laval en avril. Peu après le débarquement anglo-américain au Maroc et en Algérie, le 8 novembre 1942, il tente de changer de camp, passe en Espagne et adresse à Giraud plusieurs demandes d’engagement militaire. Celui-ci lui répond favorablement le 15 février 1943. Pucheu arrive à Casablanca au début de mai. Giraud arguant d’impératifs de sécurité liés à la campagne de Tunisie, donne presque aussitôt l’ordre de l’interner à Ksar es-Souk dans le sud-marocain pour agitation politique. Mais il est officiellement arrêté le 14 août 1943 sur ordre du Comité français de libération nationale. Giraud, en tant que commandant en chef, aurait pu refuser de signer l’ordre d’incarcération ; il ne le fait pas. Il est favorable à un jugement ultérieur lorsque la nation indépendante et souveraine aura librement choisi de déterminer les responsabilités et de prendre des sanctions. Le procès s’ouvre le 4 mars 1944. Les débats sont passionnés. Les chefs d’accusation portent sur l’instauration des sections spéciales, la collaboration, la police au service de l’armée d’occupation. En dépit de l’intervention de Fernand Grenier, député communiste évadé du camp de Châteaubriant, qui a rejoint Londres le 11 janvier 1943 porteur d’un mandat officiel du PCF pour le général de Gaulle, l’affaire des otages exécutés le 22 octobre 1941 n’est pas retenue faute de preuves écrites. Giraud, à la barre, déclare tout ignorer des activités de Pucheu mais sous le choc de la mort de sa fille en déportation les jours précédents, ne le défend pas. Le 11 mars, Pucheu est condamné à mort à la majorité. Le 17 mars Giraud demande au général de Gaulle une commutation de peine qui la refuse. Le Chef de la France libre estime avoir des devoirs à l’égard de la Résistance dont le sacrifice est important. Il déclare « Je le dois à la France »[4] Une tendance favorable à l’exécution s’est manifestée dans la Résistance métropolitaine et de Gaulle s’incline devant une intervention qu’il estime justifiée par les sacrifices consentis dans la clandestinité. Pucheu est exécuté le 22 mars 1944.
[1] Cette communication s’appuie essentiellement sur l’ouvrage de Christine Levisse-Touzé L’Afrique du Nord dans la guerre 1939 – 1945, Albin Michel, 1998. Version abrégée et amendée de sa thèse de Doctorat d’Etat.
[2] Jean Pierre-Bloch,Alger, capitale de la France en guerre 1942 – 1944, Editions Universal, 1989, p. 39.
[3] Christine Levisse-Touzé, op. Cit. p. 327. SHAT, fonds privé Juin, 1K238 et 5P2, état-major de Giraud rapport de la commission spéciale d’enquête de Tunisie.
[4] Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre, de l’appel du 18 juin à la Libération, Gallimard, 1996, p.605.
[5] Jean-Louis Crémieux-Brilhac, op. cit.p. 603.