Le rôle du SOE « Special Operations Executive ».
Rencontre prévu le 09/12/2008
Conférence à l’Ambassade d’Angleterre
Dans les salons de sa résidence Sir Peter WESTMACOTT, Ambassadeur du Grande-Bretagne en France, recevait, en présence de son épouse Lady WESTMACOTT, la branche parisienne de la Royal British Legion présidée par Monsieur Roger THORN et l’association Mémoire et Espoirs de la Résistance présidée par Monsieur François Archambault, pour écouter témoins et historien évoquer le rôle du SOE Special Operations Executive. et plus largement l’engagement des Britanniques aux cotés de la France Libre et de la Résistance durant de la Seconde Guerre mondiale.
Devant une assistance nombreuse, réunie dans les magnifiques salons de la Résidence de l’Ambassade, étaient présents M. François PERROT, Président de l’UNADIF, Vice-président de l’ONACVG et administrateur de la Fondation de la Résistance, Mme Michèle BADAIRE, Présidente de l’AERI et veuve d’un Résistant-déporté ancien du SOE, M. Antoine DUPONT-FAUVILLE, Secrétaire Général de la Fondation de GAULLE, le Préfet Victor CONVERT, Directeur général de la Fondation de la Résistance, de nombreux membres des services britanniques et français du SOE et de divers Mouvements ou réseaux de Résistance, ainsi que des Professeurs et élèves de plusieurs Lycées ou Ecoles britanniques et françaises de l’Ile de France.
- François ARCHAMBAULT, en remerciant l’Ambassadeur de G.B.et Lady Westmacott, a rappelé le long historique de l’ « Entente Cordiale » et les convergences entre 2 hommes d’Etat de caractère, Sir Winston CHURCHILL et le Général de GAULLE, avant de présenter les orateurs.
Tous ont écouté avec émotion, Jean-Louis CREMIEUX-BRILHAC Français Libre et historien, Noreen RIOLS ancienne du SOE et Pierre MOREL Président du CAR, Vice-président de la Fondation de la Résistance et ancien du SOE, témoigner successivement sur le parcours héroïque qui fut le leur au cours de ces « années là ».
Jean-Louis CREMIEUX-BRILHAC, Français Libre, Historien…. Témoigne….
Il me faut donc revenir de 66 ans en arrière. Comment dire mon émotion en ce premier trimestre de 1942, jeune officier évadé d’Allemagne, sortant des camps soviétique, fraîchement débarqué d’Angleterre, lorsque, affecté au commissariat à l’intérieur de la France Libre, j’eus pour la première fois entre les mains un journal clandestin et pour la première fois en mains un rapport sur l’opinion publique en France qui, je le sus plus tard, avait pour auteur Pierre Brossolette.
Quelle émotion quand je me trouvai en présence du premier résistant politique exfiltré clandestinement de France, Philippe Roques, collaborateur et envoyé de Georges Mandel, qui quelques mois après son retour en France fut arrêté et abattu par la Gestapo. Et comment dire mon exaltation en revoyant deux camarades qui avaient été parachuté en France et qui revenus par l’Espagne, me racontèrent comment ils avaient fait sauter la grande antenne de Radio Paris à Allouis, en mars 1942.
Après 14 mois de camps et de prisons, n’ayant jamais entendu la BBC, il avait fallu que j’arrive à Londres pour comprendre pleinement tout ce que le monde libre, et nous Français, en premier, devions à Churchill et à l’Angleterre. Les fonctions qui me furent confiées le firent découvrir, d’abord le BCRA, le Bureau central de renseignement et d’action de la France Libre, c’est à dire de service secret issus du 2ème Bureau créé par le général de Gaulle dès juillet 1940, et qui avait la responsabilité, comme son nom l’indique, des missions de renseignements et de sabotage en France. Dans un deuxième temps, j’eus la révélation de l’extraordinaire ensemble d’organisations secrètes britannique qui faisaient déjà de Londres la base arrière et la plaque tournante des résistances européennes. Car rien n’aurait été possible dans ces services. Le colonel Passy, chef du BCRA, est un des quatre ou cinq hommes autour de De Gaulle sans lesquels la France Libre n’aurait pas été ce qu’elle a été. Mais la Résistance française n’aurait pas eu les moyens d’être ce qu’elle fut sans la formidable machinerie des services secrets britanniques. Il faut rappeler les chiffres, pour mesurer l’intensité des liaisons qui s’établir entre la plate-forme britannique et la Résistance intérieure :
819 agents parachutés d’Angleterre en France – 224 atterrissages clandestins réussis, à la faveur desquels 445 passagers furent déposés en France et 655 ramassés – 470 passagers embarqués de la côte méditerranéenne sur des felouques venues de Gibraltar et 211 débarqués – quant aux traversées au départ d’Angleterre, des vedettes britanniques qui n’hésitaient pas à pénétrer dans les « habers » proches de Brest ou en pleine baie de Saint-Brieuc, permirent d’embarquer de France 218 résistants ou aviateurs alliés rescapés, et d’en débarquer 88.
Au total de furent quelques 1800 agents ou missionnaires qui, grâce aux services secrets britanniques, furent ainsi infiltrés en France. Que les pertes aient été terribles, on le sait. Nous vivions au rythme des lunaisons, des départs et des arrivées, avec entre temps, des appels au secours ou des annonces d’arrestations.
C’est après tant d’années avec la même émotion que je revois les visages de Bruno Larat et de Fred Scamaroni qui, débarqué en Corse par un sous-marin anglais s’ouvrit la gorges pour ne pas risquer de parler, Larat qui parachuté, puis arrêté avec Jean Moulin à Caluire, ne revint pas de déportation. En ces mois de 1942 un opérateur radio ne durait guère plus de trois mois. Aucune unité combattante sauf l’aviation n’eut des pertes aussi lourdes. Sur 50 femmes formées en Angleterre et envoyées en France, 15 furent arrêtées dont 3 seulement survécurent.
Un des traits les plus remarquables de ces services secrets français et britanniques est qu’ils étaient partis de rien ou de presque rien. Pour le service secret français, c’est évident. Quant à la Grande-Bretagne, je rappelle qu’elle eut deux services opérationnels sur le terrain, dont la mission s’étendait seulement à la France, mais à tous les pays. Le plus connu, le plus ancien, le Secret Intelligence Service, était chargé des tâches de renseignement : or, nos deux pays étant alliés , l’Intelligence Service, n’avait en 1940 aucune organisation de renseignement en France, tout était à faire. Dans l’été de 1940, Churchill créa un second service intitulé le Special Operations Executive, auquel il donna mission de « mettre le feu à l’Europe », c’est à dire d’y développer toutes les formes d’action subversive et d’aide aux résistances. Ce service, couramment désigné par ses initiales, SOE, a joué un rôle capital dans le développement de l’action résistante à mesure que celle-ci s’est développée pour prendre finalement les formes d’une insurrection nationale. La contribution que les « organisateurs » anglais parachutés par SOE ont apportée dans la phase de libération, en particulier dans le Sud-ouest, a été capitale.
Je rappellerai que SOE avait constitué pour son action en France, deux sections, la section F et la section RF. La section F était purement britannique. Elle développa en France des réseaux de sabotage a recrutement local français, mais dirigé chacun par un Britannique et qui recevaient leurs instructions de la centrale britannique en dehors et à l’insu de la France Libre. La section RF de SOE, au contraire, était l’interlocutrice quotidienne et l’intermédiaire obligé des servies secrets français. C’est la section RF qui formait dans ses écoles les agents du BCRA, leur fournissait faux papiers, postes émetteurs et codes, qui se chargeait des parachutages et atterrissages clandestins à l’aide d’une escadrille spécialisée de la R.A.F., qui enfin, assurait l’expédition et la réception des radiogrammes chiffrés échangés avec la Résistance. SOE a donc fourni toute la logistique des services secrets français avant de fournir l’armement de la Résistance. De SOE dépendait l’intégralité des liaisons, communications et transmissions entre BCRA, d’une part, et, d’autre part, ses propres réseaux d’action, les mouvements de résistance et, lorsque Jean Moulin l’eut constituée, la délégation générale clandestine du Comité français.
Je n’oublierai jamais la petite maison de SOE à Dorset Square qui était l’étape avant les départs pour le terrain d’aviation. Le 15 août 1943, Jacques Bingen partit pour la France en qualité de délégué du CFLN en zone sud. C’était un ami très cher. Il était nerveux dans l’attente de ce départ. La jeune femme de Stéphane Hessel et moi n’avons pas voulu le laisser seul, nous avons marché deux heures avec lui dans Londres, par un merveilleux jour d’été, avant de l’accompagner à la petite maison de Dorset Square où il reçu ses nouveaux vêtements, ses papiers, la pilule de cyanure qu’il avala quelques mois plus tard.
On ne s’étonnera pas que le général de Gaulle ait pris ombrage de l’existence de la section britannique F et soit allé jusqu’à demander à Churchill de la supprimer ; de même, il trouva en plusieurs occasions insupportable et attentatoire à la Liberté française le contrôle que SOE exerçait sur l’activité de ses propres services secrets. Mais je puis attester que, si entre le BCRA et SOE, la coopération était concurrentielle, et parfois conflictuelle, les relations entre officiers des deux services, français et anglais, étaient mieux que cordiales. Nous pouvons rendre hommage à l’héroïque Yeo Thomas alias Shelley qui exigea de repartir pour la France afin de tenter de délivrer Pierre Brossolette récemment arrêté. Arrêté lui-même à son tour à Paris, il ne survécut que par miracle à la Déportation.
Du printemps 1943 au débarquement en Normandie, j’ai eu le privilège de participer à une réunion hebdomadaire franco-britannique à haut niveau avec la chef de la section F dont dépendaient tous les réseaux britanniques d’action en France, le colonel Buckmaster, qui s’était heurté plus d’une fois au colonel Passy.
Dans la dernière, il s’agissait de mettre au point les directives d’ensemble à donner notamment aux maquis, (aux jeunes susceptibles de prendre le maquis) et, par la voix de la BBC à l’ensemble de la population française pour les jours du débarquement. La Résistance (en particulier la Résistance communiste) s’en tenait à la phrase du général de Gaulle : «La Libération nationale est inséparable de l’insurrection nationale ». Or à l’approche du débarquement, SOE et le BCRA avaient pris conscience que les combats de libération de la France pouvaient durer six mois. Il ne fallait donc pas que le jour J du débarquement soit le signal d’un soulèvement massif de la Résistance qui aurait risqué d’être exterminée avant d’avoir pu agir efficacement et de Gaulle s’était prononcé dans ce sens. De vifs débats accompagnèrent la mise au point de ces directives, qu’il revenait au jeune officier que j’étais de mettre en forme.
A l’une de ces réunions, on discuta entre autres sujets de l’influence « démoralisante » qu’avait sur la population française le ministre de la Propagande de Vichy, Philippe Henriot. Excellent polémiste, très écouté, il jouait de la peur pour persuader le Français de rester inertes lors des opérations imminentes. « Kidnappez-le » nous dit le colonel Buckmaster, « Je me charge de l’amener en Angleterre ». Je restai le stylo en l’air. Il ne plaisantait pas. Six semaines plus tard, un commando du Mouvement de la Libération nationale tenta d’enlever Philippe Henriot, comme il se défendait, il fut abattu.
La coopération si efficace pendant ces années de guerre entre services français et anglais de même qu’entre la France libre et la BBC a prouvé quoi qu’en disent de mauvais esprit, que Français et Britanniques sont capables de travailler ensemble.
De cette coopération et de l’immense effort britannique j’ai voulu porter témoignages. Dans les années 1970, j’avais présidé à une grande édition en français des émissions de la BBC pendant la guerre.
Plus récemment, ayant été un témoin si proche de l’activité de SOE, sachant combien son rôle avait été méconnu, je me suis acharné à faire paraître en France le livre fondamental de l’historien Michael Foot, SOE en France, qui, publié à Londres en 1966, n’avait jamais été traduit. Je suis heureux d’avoir permis que soit porté à la connaissance de nos compatriotes tout un volet méconnu de l’action résistante.
Une thèse implicite sous-tend l’ouvrage de Foot : il y a dit-il, dans l’esprit des Français, deux ensembles d’acteurs qui ont animé la Résistance, la France Libre et ses envoyés d’un part, des formations de patriotes de l’intérieur, souvent encadrés ou influencés par le parti communiste d’autre part ; il faut, en réalité, rappelle Foot, y ajouter un troisième ensemble d’acteurs : les Anglais, et plus précisément le SOE, la BBC et la Royal Air Force ? Nous sommes unanimes ici à pourvoir le confirmer. Les liens entre Grande Bretagne et la France, scellés dans le sang en 1914-18, resserrés grâce à Churchill et à de Gaulle, grâce à l’héroïsme anglais, à la France Libre et à l’avant-garde combattante de notre peuple, sont pour nous inoubliables et indestructibles.
Noreen RIOLS, en 1940 jeune employée au siège du SOE Service Operations Executive à Dorset Square Londres, raconte….avec un merveilleux franglais….
« Dans le SOE était représentée l’élite de chaque pays. Tous, femmes ou hommes étaient des volontaires. Tous ceux que j’ai connus, recevaient strictement la même solde au même niveau de grade que s’ils avaient travaillé dans un ministère quelconque. Volontaires, ils savaient qu’une fois infiltrés derrière les lignes ennemies, ils seraient coupés de tout contact avec leur famille, qu’ils ne pourraient ni envoyer, ni recevoir de messages personnels. C’étaient des combattants, des « saboteurs » qui travaillaient seuls, sans uniforme, sous une fausse identité, une fausse profession et souvent traqués par la Gestapo. Avant de partir, ils savaient, qu’ils avaient, les pauvres, 50 % de chance de revenir. La durée de vie d’un radio était estimée à six semaines et on leur expliquait, que s’ils étaient pris par la Gestapo, de Londres on ne pourrait, malheureusement pas faire grand chose pour eux. Ils savaient tout ça,… ils avaient peur… parce que les hommes courageux ont toujours peur mais ils savaient faire taire à leur peur le jour de leur départ.
Nous les connaissions tous, le SOE était une grande famille et la section F une vraie entente cordiale.
Quand on les voyait partir on leur disait : Vous savez ce mot que l’on dit en Français qui commence par M….. Une fois parti, on attendait avec impatience leur premier appel radio. Chaque radio était obligé de se mettre en contact avec Londres à une heure précise tous les jours et si le jour prévu il n’y avait pas d’appel, anxieusement on attendait le lendemain… puis le surlendemain. Et si après 4 ou 5 jours il n’y avait toujours pas de nouvelle on supposait qu’ils étaient peut-être en train de se cacher, de fuir la Gestapo ou qu’ils avaient été arrêtés et que l’on aurait alors plus jamais d’eux des nouvelles…..Et l’on pleurait silencieusement, … car beaucoup… beaucoup…ne sont pas revenus.
La BBC émettait des programmes en français. Le programme principal passait à 8 heures du soir. A partir de 5 heures du soir, moi la petite employée, je courrais comme une folle vers les escaliers jusqu’au sous sol, où un vieux sergent, qui je crois était né avec une vieille cigarette éteinte au coin des lèvres, attendait que j’apporte les messages personnels que nous avions écrits pour qu’ils soient diffusés à la radio.
Comment arrivaient-ils ces messages à la BBC ? Je ne sais pas, vous savez on apprenait à ne jamais poser de question….
Big-Ben sonnait huit fois et à la BBC, après les toutes premières mesures de la 5ème de Beethoven on entendait : « Ici Londres… les Français parlent aux Français… voici le bulletin d’information ». Le BBC donnait toutes les nouvelles, même les plus mauvaises, et dans les premiers mois la radio n’avait pas beaucoup de succès à annoncer.
Les Français écoutait les émissions de la BBC au péril de leur vie. Les Allemands écoutaient aussi,… mais en essayant de les brouiller. A la fin chaque bulletin le speaker disait voici quelques messages personnels qui étaient lus en clair. Ces messages étaient complètement idiots, ridicules, absurdes… les Allemands étaient persuadés qu’il s’agissaient de codes très secret, ils y passaient, paraît-il, des heures s’essayant à les décrypter. Ils n’y ont jamais réussi : bien sûr, on ne peut pas décrypter un message qui n’a jamais été crypté !
Je vais vous donner deux exemples de ces messages « farfelus » : Il y a une vache endormie sur le canapé de la duchesse… la chèvre de la voisine a mangé le caleçon du grand-père… Ces messages étaient répétés quatre ou cinq fois de suite plusieurs jours d’affilés.
Ces messages annonçaient par exemple un prochain parachutage et ou l’arrivée d’hommes du SOE ou encore l’arrivée ou le retour d’un Résistant. Ces messages étaient répétés plusieurs jours de suite pour donner aux Résistants de temps de préparer les terrains d’atterrissages ou de parachutages. Pour annoncer la nuit où allait se dérouler le prochain parachutage ou le prochain atterrissage on introduisait dans le message une couleur. Ainsi par exemple, le nouveau message devenait : Il y a une vache endormie sur le canapé rose de la duchesse ….et aussi dans le message suivant le caleçon du grand-père devenait-il… bleu … ! ! !
Ces parachutages ne pouvaient avoir lieu que cinq ou six nuits par mois par des périodes de pleine lune. Les avions volaient alors sans aucune lumière et ces pilotes, très expérimentés, naviguaient à vue en se repérant uniquement à partir des collines, des rivières et des clochers des églises des villages de France.
Ces pilotes appartenaient à deux escadrilles spéciales, qui réalisaient un travail indispensable périlleux et secret. Combien aussi sur le chemin du retour ont-ils disparus.
Les agents qui partaient en France, le jour de leur départ échangeaient leur uniforme pour des vêtements made in France, mais fabriqués en Angleterre par un tailleur réfugié qui venait de Vienne ! !.. Avant qu’ils ne montent dans l’avion on prenait on vérifiait qu’ils n’emportent rien de made in England et on aillait jusqu’à regarder que dans les plis ou replis de leurs vêtements il n’y ait pas de « poussières londoniennes ! ! ! » qui pouvaient les trahir. S’ils étaient pris par la Gestapo on leur conseillait d’avaler le cachet d’arsenic……cachet qui était caché, souvent dans un revers de l’un de leurs vêtements. Et si ils n’arrivaient pas à avaler ce cachet, l’agent ne devait rien dire, pendant au moins 48 heures aux agents de la Gestapo qui les interrogeait, afin de laisser le temps aux Résistants qu’ils devaient rencontrer de prendre leur disposition pour se cacher ou de se disperser ….Mais, c’était pas facile de ne pas parler sous les terribles tortures de la Gestapo avenue Foch … beaucoup ont résisté à ces supplices pour ensuite, être lâchement exécutés ou déportés dans un camp d’extermination.
Quand ils rentraient, s’ils rentraient, dès leur descente de l’avion, après avoir eu droit à un énorme breakfast ils étaient conduits dans de luxueux et discrets appartements londoniens dont les voisins ignoraient tout du va et vient de ces agent du SOE. Dans ces confortables demeures, ils rendaient compte de leur mission, « ils étaient debriefes » comme l’on disait, par deux officiers à qui ils fournissaient une multitude de précieux renseignements sur les Allemands et aussi sur les demandes de nos amis Résistants français.
Tous ces agents, que j’ai connu et vu à leur retour, avaient suivant leur caractère et aussi de l’aventure qu’ils venaient de vivre, différentes réactions qui allaient de l’énervement le plus fort, – fumant cigarettes après cigarettes – à l’impassibilité la plus grande.
Parfois le départ d’un agent vers la France était annulé pour diverses raisons, le plus souvent pour des raisons climatiques, – la pleine lune n’était pas au rendez-vous – alors il devait rester dans un manoir situé près du terrain d’aviation une ou deux nuits ou rentrer à Londres et attendre le mois suivant qu’enfin la lune soit au rendez-vous !
Quelle déception… et qu’elle était longue cette nouvelle attente pour un « nouveau départ ». Alors c’était à nous « d’entourer » de notre affection ces hommes, reclus et au secret dans quelques manoirs ne pouvant même pas communiquer avec leur famille.
Au cours de ces attentes pour les prochains départs, la jeune fille que j’étais à l’époque, a reçu beaucoup de confidences de la part de ces hommes ….ils me parlaient de leur angoisse, de leur peur de la torture et de la mort, de leur inquiétude de leur famille…. Mais aussi de leur espérance.
Je me souviens d’une soirée passée avant le départ d’un « radio », d’origine juive – il avait 37 ans, un vieillard pour moi ! – qui partait pour la deuxième fois – pour un homme d’origine juive partir pour la deuxième fois c’était d’un courage inouïe – . En lui tenant compagnie au cours de cette soirée je me suis aperçue qu’il portait autour de son cou une petite chaînette en or ornée d’une « Croix de David et d’une colombe de Paix ». Le lui faisant remarquer il a détaché cette petite chaîne de son cou pour me la donner en me disant : «Soyez gentille acceptée ce petit souvenir…. Vous savez je n’ai plus personne au monde…toute ma famille a été arrêtée, envoyée dans un camp de concentration…et je n’ai plus aucune nouvelle d’eux…et vous savez, si je ne reviens pas j’aimerais penser, en vous donnant cette chaîne, que peut-être quelqu’un ….se souvienne de moi…..
Alors…..je lui ai répondue ….oui j’accepte….je me souviendrais de vous…..je vous la redonnerais à votre retour….
Cette chaînette je l’ai gardée pendant des années….il n’est jamais rentré.
Pendant toute la guerre nous étions six femmes à avoir travaillé dans le service, aujourd’hui je ne suis que la seule survivante. Parmi les soldats et officiers du SOE que j’ai connu a cette époque il y avait un homme charmant que tout le monde aimait. Quelques années après la fin de la guerre, en 1948, été obligé de se réfugier assez rapidement à Moscou : le gouvernement anglais venait de découvrir qu’il avait été un espion à la solde de l’Union soviétique depuis les années 1930, il s’appelait : Kim Philby.
J’ai connu aussi un homme qui enseignait aux agents du SOE toutes les techniques pour tuer son adversaire silencieusement et sans arme, comment ouvrir une porte quand on ne possède pas la clef….etc. Cet homme avait été un « très bon cambrioleur » avant guerre et qui avait été libéré, d’une longue peine de prison, qu’à la seule condition de faire partager « ses secrets et son savoir en ces matières » aux agents du SOE..
Décidément nous étions au SOE…….des drôles de numéros ! ! !
Au SOE les femmes étaient utilisées : « comme appât » : l’art de la filature, l’art de la détection, l’art de transmettre des messages discrètement sous bouger les lèvres…..
Nous vivions au SOE des moments de grande intensité, avec des permissions de mariage qui ne duraient que deux ou trois jours seulement, avec des périodes de larmes quand les agents ne revenaient pas, aussi des périodes de rires quand de retour nos agents avaient brillamment réussi quelques sabotages…..
Avec nos larmes suivies de rires, avec nos rires suivis de larmes ….les services secrets officiels de l’armée comme le M.I. 5 ne nous aimaient pas….Ils nous appelaient, ils nous traitaient : d’amateurs …. Mais ils avaient parfaitement raison, nous n’étions pas des professionnels du renseignement, du sabotage …etc.
Nous étions des femmes et des hommes qui avaient un idéal…qui s’était engagés à remplir une mission jusqu’au bout de leurs forces, qui étaient prêts à donner leur jeunesse pour que nous, nous puissions profiter de notre demain.
Pierre MOREL, Président du C.A.R. et Vice-président de la Fondation de la Résistance et ancien du SOE….. témoigne de son parcours….
Mon intervention va consister à vous faire connaître comment une organisation existante est devenue un réseau dépendant de la Section F du SOE dirigé par le colonel Buckmaster. Au début de 1941 une dizaine de rennais d’origine ou d’adoption décidait d’entreprendre la lutte contre l’occupant et d’agir dans la mesure de leurs moyens. Ils avaient pour objectifs :
- Récupérer armes et munitions abandonnées pendant la débâcle…..
- Aider et soutenir les gaullistes avec des tracts, des journaux clandestins …etc.
- Et aussi avec de la « Craie »…. N’oublions jamais que la « craie » fut la première arme des Résistants. C’est avec cette arme que les « V de la victoire et les Croix de Lorraine » furent très tôt connus.
Début 1941 j’avais eu connaissance de cette organisation. Ancien interne du lycée de Rennes, suite à des contraintes familiales je m’étais retrouvé au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. La capitale de l’Auvergne, était devenue très tôt avec le repli dans cette ville de l’université de Strasbourg un centre de Résistance contre l’occupant. Repéré par la police de Vichy pour mon activité de Résistant je retourne en Ile et Vilaine où je retrouve deux anciens camarades qui appartiennent à un réseau de Résistance que je rejoints en novembre 1941. Il s’agissait du réseau Overcloud du commandant Joël Le Tac, officier de la France Libre – futur Compagnon de la Libération – débarqué en Bretagne et qui à la suite d’une souricière est arrêté avec la plupart des membres du réseau début février 1942. Les survivants du réseau décident de se rassembler, de se réorganiser et de renouer le contact avec Londres. Au début de 1943 est établi un contact avec le réseau de renseignements Marathon-Chinchila dépendant du BCRA, sous les ordres du colonel Yves Mindren. Momentanément interrompu par l’arrestation du colonel, ce contact est rétabli grâce à la rencontre de deux amis rennais avec le capitaine François Vallée, parachuté en juin 1943 par le section F du SOE du colonel Buckmaster.
– C’est à mon arrivée à Londres, plus tard, que j’ai appris sa véritable identité, ses brillants états de service en Tunisie, qui lui valurent en 1941 d’être nommé Compagnon de la Libération, ainsi seul officier du SOE titulaire de cet ordre .
En France après que François Vallée nous eu exposé les possibilités de liaisons et d’actions qu’il pouvait nous apporter, nous donnions mes amis et moi notre accord et c’est ainsi qu’est né le réseau Oscar – Buckmaster qui pour le SOE se nommait : Oscar – Parson (Oscar étant le nom de guerre de François Vallée et Parson le nom de code opérationnel).
Ce réseau sera homologué Réseau F.F.C. (Forces Françaises Combattantes) en juin 1946, et j’en suis le liquidateur officiel.
Ayant fait le schéma de notre organisation avec ses différentes implantations en Ile et Vilaine, la Capitaine François Vallée « Franck » nous indiquait ce qu’il attendait de nous :
- Rechercher des terrains de parachutages dans les départements des Côtes-du-Nord, du Morbihan, Loire Inférieure et Mayenne.
- Prévoir et former les Résistants au maniement des armes.
- Désorganiser les communications allemandes.
- Participer à l’isolement des bases navales allemandes de Saint-Nazaire, Lorient, Brest le jour du débarquement des alliés venu.
Notre première opération à consister à préparer le terrain au-dessus devait être parachutés deux officiers du SOE. Le terrain était situé dans le Sud-est du département de l’Ile et Vilaine et le message de la BBC qui annonçait le 25 juillet 1943 était : « J’aime le son du cor, le soir au fond des bois ».
Au cours l’année 1943 notre réseau se renforce, s’étend dans les départements voisins. Au cours de cette année environ 25 parachutages auront lieu et aujourd’hui encore nous nous souvenons des heures passées à l’écoute vaine du ronflement caractéristique du Halifax … de la déception qui s’ensuivait….A chaque fois les équipages de l’avion et les hommes du comité de réception au sol courrait les plus grands risques.
A coté des activités dont je viens de parler nous aidions les réfractaires au STO en leur apportant des faux papiers, participions à l’évacuation des aviateurs blessés et chaque fois que nous avions des renseignements sur les implantations militaires allemandes nous les communiquions aussi rapidement que possible.
Mais malgré toutes les précautions exigées par la clandestinité, aidée par certains de nos compatriotes stipendiés ou adeptes fanatiques de la collaboration, la Gestapo va durement ébranlé, fin décembre 1943, notre réseau en arrêtant quatre-vingt dix de nos camarades qu’elle déporte, souvent après des interrogatoires musclés. Pourtant le réseau démantelé ne disparaîtra pas complètement, plusieurs groupes de rescapés vont se restructurer ou rejoindre d’autres réseaux de Résistance afin de poursuivre le combat jusqu’en Allemagne ou sur le front de l’Atlantique.
Certains agents dont je fus rejoindront sur ordre de François Vallée, qui avait réussi à échapper à la Gestapo, l’Angleterre soit par la mer soit en traversant les Pyrénées, après malheureusement un séjour forcé dans les camps et prisons et franquistes comme Lérida, Saragosse et Miranda…
Voilà l’action menée par un réseau qui illustre bien la Fraternité d’Armes qui exista entre Britanniques et Français pendant la Seconde guerre mondiale.
Transcription J. Novosseloff