Le parcours du Préfet Charles Bourrat par Robert Badinier délégué régional de MER
Rencontre prévu le 09/12/2011
Le parcours du Préfet Charles Bourrat
par
Robert Badinier délégué régional de MER
A L’OCCASION DE L’INAUGURATION DE L’ESPACE MEMOIRE DEDIE AU PREFET CHARLES BOURRAT, LE VENDREDI 9 DECEMBRE 2011, DEVANT LE SIEGE DE L’ANCIENNE PREFECTURE DE LA MOSELLE AU 4, FAUBOURG LACAPELLE A MONTAUBAN
« Le 8 août 1940, quatre ans après son expulsion de la préfecture de Metz, toujours à son poste, parce qu’il avait vécu côte à côte avec le chef religieux de la Lorraine, Mgr Joseph Heintz et ses représentants politiques, parce qu’il avait proclamé avec eux sa foi dans la libération de son département, du joug éphémère des nazis et sa certitude de la victoire des Alliés, mon père est aujourd’hui déporté, après et avec tant d’autres. Il est emmené, coupable d’avoir refusé d’abdiquer, en face du Gauleiter Sauckel, l’honneur d’être le préfet français du territoire sacré de la Lorraine et d’avoir affirmé en toutes circonstances et à tous, publiquement, la souveraineté française en Moselle… »
Ces écrits d’amour filial, rédigés par Jean-Guy Bourrat, un peu plus d’un mois après l’arrestation de son père, vous sont familiers, à vous Brigitte, sa fille et à vous Martine, sa belle-fille. Ils sont en tout cas révélateurs des convictions du préfet Charles Bourrat qui avait remplacé au 4, faubourg Lacapelle l’effigie du maréchal par l’écusson de la Lorraine. Ils témoignent ainsi de l’état d’esprit qui régnait à la préfecture de la Moselle, reconstituée à partir du 10 décembre 1940 à Montauban.
La manifestation courageuse des Messins, le 15 août 1940, sur la place Saint-Jacques, sous l’égide du préfet Charles Bourrat et de Mgr Heintz, augurait de l’attitude des Lorrains face à l’annexion. Ils avaient bravé l’interdiction par les autorités d’occupation d’organiser une procession à la Vierge et défilé toute la journée dans un silence impressionnant. Un tapis d’innombrables fleurs déposées la veille formait un parterre tricolore : la ville de Metz ne pouvait pas se rendre, elle rendait les honneurs à la France. Un jour avant, face à l’indifférence des autorités de Vichy, Charles Bourrat avait donné dans un 1er temps sa démission. La suite des événements vous sera racontée tout à l’heure.
Le grand rassemblement des Lorrains à Lourdes, du 9 au 12 août 1941, était le prélude de l’Union pour le retour dans leur ville sous l’égide française, une occasion privilégiée, pour les autorités en tenue et les élus en tête, de proclamer devant plusieurs milliers de compatriotes la Lorraine française. Cette résistance spirituelle a été la toile de fond sur laquelle se sont déroulés les événements qui ont constitué le drame humain des expulsions. Elle a permis aux populations meurtries d’Alsace et de Lorraine de retrouver la force d’espérer contre toute espérance.
A l’instar du préfet Bourrat, nombreux ont été ceux qui ont su porter l’âme à la main pour défendre la cause de l’humain, face à l’épreuve de l’exode. C’est le défi qu’il s’était fixé pour tenter de reconquérir le territoire de l’éthique anéanti par tant de haine et de barbarie. Ce qui primait, c’était le respect de la dignité de la personne humaine, la valeur suprême de l’existence.
Si aujourd’hui nous avons tenu à relayer le témoignage reconnaissant d’un fils à l’égard de son père, c’est parce que le préfet Charles Bourrat, contre vents et marées, a réussi à maintenir « l’intégrité territoriale de la Moselle à la France », en assurant ainsi la continuité de l’autorité française. Il a œuvré pour faire prévaloir la légitimité républicaine à travers la dynamique de la solidarité. Cette posture a été le fil conducteur et le ferment de son action en faveur des expulsés.
Elle s’est concrétisée par une volonté indomptable qui a fait de Charles Bourrat « l’un des grands animateurs de la Résistance lorraine », comme le déclare son ami, le député Robert Sérot, ancien président du conseil général de la Moselle. Il a su montrer l’attachement des Lorrains à la France et à la Résistance. A Montauban, Charles Bourrat vivait « en ayant au cœur qu’une pensée : maintenir la confiance et préparer le retour de ses compatriotes au jour béni de la victoire. Son attitude courageuse a été conforme aux idéaux de la Résistance, de même que celle de Mgr Heintz dont le nom figurera à la Libération sur la liste des rares évêques, établie par le général de Gaulle, en vue d’une promotion archiépiscopale.
Alors, quelle résonance peut avoir aujourd’hui notre travail de mémoire pour les générations montantes ? C’est le sens des activités scéniques que les élèves vont nous présenter. La 1ère symbolise la mission humaniste du préfet Charles Bourrat en faveur des expulsés. L’exemple de solidarité qu’il a donné montre à la jeunesse que l’esprit de la Résistance, c’est l’esprit de résistance à l’inhumain. La déclamation des valeurs de la devise républicaine illustrera cette finalité éducative. C’est un état d’esprit qui repose sur une exigence permanente de médiation où le dialogue peut être vécu au quotidien comme la seule arme qui vaille, celle qui peut déminer le terrain de l’incommunication.
La seconde activité scénique met en exergue le devoir de reconnaissance et de citoyenneté qui en découle, à l’égard des départements de la zone libre qui ont su accueillir avec bienveillance les expulsés, et aussi envers les réfugiés lorrains et alsaciens qui ont eu le courage de ne pas renier leur patrie, celle des droits de l’homme. Nous entendrons les paroles émouvantes prononcées par Charles Bourrat, le 10 décembre 1945, à l’hôtel de ville de Metz, lors de la remise de la médaille d’or de « la Délivrance ». Nous avons aussi voulu inscrire la dimension européenne dans notre démarche commémorative, en souvenir de Robert Schuman, le père de l’Europe, avec lequel Charles Bourrat avait des relations professionnelles et amicales.
La fontaine qui portera désormais le nom de Charles Bourrat sera pour la jeunesse le symbole du sursaut, de l’espérance qui ne meurt pas, celle qui retrouve la source de l’humanisme, en valorisant l’intérêt général et le bien commun.
Oui, il était important de valoriser ce patrimoine historique commun qui unit nos deux départements de la Moselle et du Tarn-et-Garonne. Nous ne désespérons pas qu’à l’avenir un jumelage entre les villes de Montauban et de Metz puisse perpétuer les liens déjà tissés dans le passé.
Bourdelle avait imaginé la statue de La France, « la main en visière au-dessus des yeux, éblouie par le couchant, sentinelle de l’Occident, parce qu’il avait rêvé de l’ériger à la pointe de Grave, pour rendre hommage à La Fayette, à l’endroit même d’où il s’embarqua en 1771 et où sont arrivées en 1917, en réponse, les 1ères troupes américaines. « C’est ce que raconte le romancier Gaston Bonheur dans « Si le Midi avait voulu… »
Toutes ces raisons et bien d’autres expliquent l’hommage solennel que nous avons voulu rendre au préfet Charles Bourrat, grâce à la préfecture de Tarn-et-Garonne et à la mairie de Montauban, en partenariat avec le service départemental de l’O.N.A.C, le service départemental d’archives de la Moselle et de Tarn-et-Garonne, les archives municipales, l’association pour la conservation de la mémoire de la Moselle, l’évêché de Montauban et trois établissements scolaires montalbanais : l’école Notre-Dame, l’Institut familial et le collège Saint-Théodard. Les directeurs de ces établissements peuvent être fiers des 143 élèves qui y ont participé avec enthousiasme, accompagnés par des enseignants et des parents qui ont su les motiver. Ils ont été à la hauteur de ce beau projet dont ils se souviendront longtemps. Ils ont compris, comme le faisait noter sur les cahiers d’écolier l’institutrice qui périt dans l’incendie d’Oradour-sur-Glane, qu’« il ne faut pas confondre le peuple allemand et la barbarie nazie, l’Allemagne éternelle et ses maîtres d’un jour. »
C’est aussi grâce au soutien financier apporté par la société d’entraide des membres de la Légion d’honneur et l’association départementale des membres de l’Ordre National du Mérite que les collégiens ont pu se procurer des bérets basques et s’associer symboliquement à tous ceux qui l’ont porté courageusement dans les années noires pour affirmer leur sentiment français, en risquant leur vie.
Nous leur dédions maintenant le chant « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » interprété par les choristes, accompagnés par quatre instrumentistes, pour nous associer à nos amis mosellans et alsaciens qui, dans la période la plus sombre de l’histoire de notre pays, avaient tout perdu, sauf l’honneur d’être français.