La Résistance spirituelle dans les diocèses refuges sous l’occupation
Rencontre prévu le 24/06/2016
La Résistance spirituelle dans les diocèses refuges sous l’occupatio : un enjeu de mémoire pour l’avenir
« France, prends garde de perdre ton âme. »
Ce titre du 1er cahier du Témoignage chrétien, un véritable appel à la résistance, ne laisse pas indifférentes les générations montantes soucieuses de perpétuer l’esprit de la Résistance, « l’âme de la France », comme le disait le général de Gaulle, en suscitant l’esprit de résistance à l’inhumain.
C’est cette phrase, reconstituée sur des panneaux pédagogiques, qui interpellait les élèves dans le hall d’entrée du lycée Théas, lors du colloque organisé, du 24 au 27 mai dernier, sur « La résistance spirituelle dans les diocèses refuges de la zone sud sous l’Occupation, un enjeu de mémoire pour l’avenir : l’exemple de Toulouse et de Montauban. » Ce thème avait été proposé à l‘établissement par la délégation régionale Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance, pour aider les élèves à réfléchir à partir des données historiques au rôle éducatif du travail de mémoire.
Il est vrai que le titre du 1er cahier de Témoignage Chrétien, un mouvement de résistance spirituelle qui a œuvré de novembre 1941 jusqu’à la libération de Paris, peut surprendre au premier abord les non initiés, au point de faire un contre-sens dans l’interprétation. Il ne reflète nullement une poussée de nationalisme, il est au contraire l’expression d’un patriotisme qui incarne les valeurs de la République et de la démocratie. « Les droits de l’homme font écho aux devoirs de l’âme dès lors qu’ils permettent de croître et de faire grandir en humanité ». C’est le sens des propos tenus par Robert Badinier, délégué régional Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance, lors de son intervention, le 24 mai dernier, à la séance d’ouverture du colloque pour en situer l’historique et les enjeux. Nous en publions quelques extraits.
« Je tiens tout d’abord à remercier vivement Michel Grac, représenté aujourd’hui par Christophe Luans, pour l’accueil très chaleureux qu’il a réservé à notre initiative, ainsi que Mgr Bernard Ginoux pour avoir accepté de présider ce colloque. Ils viennent de rappeler l’intérêt qu’ils portent tous les deux au travail de mémoire et à l’importance de la démarche éducative qui lui donne tout son sens. On se souvient notamment du retentissement qu’a eu la conférence organisée ici-même en novembre 2012 par la section départementale de l’Ordre National du Mérite et animée par Jacques Carral, membre de l’Académie de Montauban, sur « La Marseillaise, de la Révolution à nos jours. »
Cet esprit d’ouverture sur l’environnement socio-culturel est un atout du lycée Théas, et il en a bien d’autres. Plus récemment, l’été dernier, nos compatriotes ont été sensibles aussi à l’appel généreux que notre évêque a lancé sur les ondes de Radio Présence auprès des Montalbanais pour favoriser l’accueil des migrants. Nous sommes très sensibles au soutien constant que le lycée Théas manifeste aux activités commémoratives organisées par notre délégation depuis quelques années, pour encourager les élèves à s’impliquer dans le travail de mémoire.
J’associe à ces remerciements mon ami Alain Visentini, professeur honoraire de lettres classiques dans l’établissement, qui avait organisé une exposition très didactique sur Mgr Théas, lors de l’inauguration du lycée. Il avait accepté aussi de mobiliser ses élèves à l’occasion de la mise en scène que je lui avais proposée ce jour-là pour rendre hommage à cet évêque résistant qui « n’avait pas voulu être un chien muet ». Le verso des panneaux pédagogiques qui reconstituaient cette belle citation faisaient apparaître les drapeaux des pays de la communauté européenne, pour montrer la nécessité d’intégrer cette dimension fédérative dans la démarche commémorative. L’hommage rendu, le 25 novembre 2015, par les 87 collégiens de l’Institut familial à la maison des Jésuites de La Bastiolle était le prélude de notre colloque : Robert Schuman, le Père de l’Europe, avait été accueilli dans ce pôle montalbanais de la résistance spirituelle animé par le Père Gustave Peyralade.
Je n’oublierai pas non plus les conseils avisés et l’aide précieuse que nous a apportée l’abbé Henri Viatgé qui a été l’un des premiers à qui j’ai présenté le projet, en particulier dans la recherche documentaire, pour mieux appréhender le courant spirituel qui a animé l’action des chrétiens dans les années noires de notre pays.
Le colloque de décembre 1992, organisé par la Ville de Montauban, l’Université de Toulouse II et le Centre Interdisciplinaire de Recherches et d’Etudes Juives, portait sur « les Juifs et les populations du sud-ouest (1940-1945) », une approche particulièrement intéressante sur « l’exclusion, la persécution et les solidarités » dont les apports historiques ont permis de mieux connaître cette époque trouble. Le colloque de 2002, organisé par l’association « Mgr Théas, les Juifs, les Justes », a contribué également à mieux comprendre le contexte particulier dans lequel s’est déployée l’action résistante de l’évêque de Montauban et le courage qu’il a fallu à tous ceux qui ont œuvré avec lui en faveur du sauvetage des Juifs persécutés.
Ce qui caractérise le colloque régional que nous inaugurons aujourd’hui, c’est la prise en compte de la démarche éducative, conçue comme l’interface qui ouvre un espace de médiation entre l’histoire et la mémoire. Il s’agit alors de confronter les représentations de la résistance spirituelle telle qu’elle a été vécue sous l’Occupation, avec celles qui s’expriment aujourd’hui à travers l’esprit de civisme sous les différentes formes de l’engagement social. Sa spécificité est de mettre en perspective les liens de la résistance spirituelle menée dans les diocèses refuges de Montauban et de Toulouse, autour du cardinal Gerlier, qui s’est concrétisée par les protestations épiscopales de Mgr Saliège et de Mgr Théas, mondialisées par Radio Londres, avec la réponse éducative qui contribue à valider le lien intergénérationnel et la transmission des valeurs qui humanisent la vie.
L’éducation à la citoyenneté permet donc à l’histoire de faire mémoire si elle parvient à faire société. Cette démarche éducative repose sur l’apprentissage de l’intériorité et de la sociabilité qui suscite la résistance spirituelle face à l’épreuve de la déshumanisation et favorise ainsi l’esprit de civisme qui en est l’aboutissement. Cet humanisme qui fonde l’espoir en l’homme et préconise le respect de la dignité de la personne humaine, reconnaît l’éducabilité comme le dynamisme de son développement, à travers l’exercice de la liberté et celui de la responsabilité.
Le travail de mémoire n’est pas une activité annexe de l’enseignement s’il contribue à faire l’apprentissage de la citoyenneté et l’expérience du civisme. Cela suppose le respect d’une laïcité, garante de la cohésion sociale, qui protège la liberté de conscience et celle du culte, tout en préservant du laïcisme, du cléricalisme et du communautarisme.
Le testament de la mémoire n’est pas figé, il s’écrit au jour le jour dans notre façon d’être au monde, de dire et de faire, d’agir au lieu de subir, qui atteste de notre capacité à rendre la société plus humaine. La résistance spirituelle repose donc sur l’engagement à défendre la cause de l’humain. Elle se révèle non seulement dans la prise de conscience de l’inhumain, lorsque les droits de l’homme sont menacés ou bafoués, mais aussi dans la capacité à dire non à l’indifférence, au racisme, à la haine, à la violence ou à la barbarie. Elle donne à voir un humanisme qui invite chacun à se dépasser, pour être en mesure de vivre de tout son être, avec son corps, son cœur et son esprit.
C’est un combat toujours actuel qui se livre dans « une transcendance humaine » où l’esprit parvient à transfigurer notre univers intérieur en faisant accéder à la conscience de la citoyenneté universelle. Cette exigence éthique qui reconnaît la spiritualité comme une composante de l’être humain peut faire percevoir de surcroît «un certain sens de l’immanence divine au sein du monde », selon l’expression de François Euvé, rédacteur en chef de la revue Etudes, lorsque pour devenir ce qu’il est, la recherche de la vérité de son existence lui fait découvrir une réalité tout autre et en même temps toute proche, qui dépasse l’Homme et l’incite à être toujours plus en paix avec lui-même et en harmonie avec les autres. Qu’elle soit laïque ou religieuse, ces deux expressions de la spiritualité se rejoignent parfois à travers une recherche renouvelée de lien, de sens et de loi, face au mystère de la vie humaine.
Le déclic du colloque a été la parution en 2012 de l’ouvrage de Sylvie Bernay sur « L’Eglise de France face à la persécution des Juifs, 1940-1944 » dont les apports historiques revisités à la lumière de l’exploration de nouvelles archives, entraient en résonance avec cette posture éducative. Le questionnement qu’elle suscite invite à repenser l’attitude de l’Eglise, en dehors de toute intention apologétique. Les contraintes de temps ne nous ont pas donné hélas la possibilité d’intégrer au thème du colloque le rôle important joué par les réseaux d’entraide protestants, ni d’organiser une table ronde qui aurait pu réunir des acteurs institutionnels et associatifs qui témoignent du vivre ensemble, comme par exemple celle du « Parlement des invisibles » de Pierre Rosan-Vallon ou de l’association « Bleu, blanc, Zèbre » animée par l’écrivain Alexandre Jardin. Ce n’est que partie remise.
A la rentrée prochaine, nous espérons qu’une équipe d’enseignants pourra, à partir de l’exploitation d’un questionnaire sur les représentations que se font les élèves de la citoyenneté et de l’esprit de civisme, mesurer l’impact de nos échanges sur leur capacité à élaborer des propositions d’action civique et à se déterminer dans des choix de vie susceptibles de concrétiser leur engagement. Les réponses seront diffusées sur notre site ainsi que le compte rendu des interventions. Une bibliographie actualisée sur le thème du colloque sera transmise au CDI du lycée. Elle comprendra également des documents d’information sur des initiatives qui insufflent du lien social.
Quoi qu’il en soit, cette démarche va dans le sens des directives de l’Education nationale sur les enseignements pratiques interdisciplinaires, un dispositif de décloisonnement des disciplines qui prédispose à la pédagogie de l’éducation. Les intervenants que nous avons sollicités ne manqueront pas de mettre la diversité de leurs compétences pour aider les élèves à se déterminer face aux nouveaux défis, en particulier le fanatisme religieux qui en détruisant l’homme renie Dieu. Je remercie par avance en votre nom les membres de notre équipe d’avoir accepté de nous faire l’honneur d’être parties prenantes de ce colloque. Ils ont tous répondu sans hésiter et avec l’enthousiasme qu’on leur connaît : Sylvie Bernay, Georges Passerat, Jean-Claude Meyer, Christian Tschöcke, Marie Taupiac et Françoise Pujade.
L’amphithéâtre du lycée portera désormais le nom prestigieux de René de Naurois, un compagnon de la Libération, Juste parmi les Nations et aumônier de la France libre, un ami du Père Lucien Etienne et de Marie-Rose Gineste qu’il informait de la montée du nazisme, lorsqu’il était à Berlin, aumônier de la colonie de langue française.
Le dernier élément qui explique notre thématique, c’est le lien avec le thème du Concours National de la Résistance et de la Déportation 2016, « Résister, par l’art et la littérature ». Il s’inscrit dans le prolongement de l’hommage que nous avons rendu l’an dernier à la Bastiolle où la majorité des personnalités accueillies assuraient la diffusion du Témoignage chrétien, fondé par Pierre Chaillet, « notre 18 juin spirituel », selon la belle formule de Maurice Schumann, dont les Cahiers avaient publié des écrits de Georges Bernanos et de Jacques Maritain. »
Le colloque aura alors permis aux nombreux lycéens qui y ont participé de mieux comprendre non seulement l’action de Mgr Théas et de Marie-Rose Gineste, des noms qui leur sont devenus familiers, les liens privilégiés de la résistance spirituelle entre les diocèses refuges de Montauban et Toulouse où Mgr Jules-Géraud Saliège, Mgr Louis de Courrèges et Mgr Bruno de Solages oeuvraient aussi à travers les réseaux d’entraide, pour faire face à la persécution des Juifs, mais aussi de saisir l’exigence de tout engagement dans la vie quotidienne en faveur de l’humain.
Robert Badinier
Délégué Midi-Pyrénées de Mémoire et Espoirs de la Résistance.