La Jeunesse française sous la botte allemande par A. Bessière
Rencontre prévu le 21/05/2009
La Jeunesse française a été certainement le niveau de population qui a subi le plus profond ébranlement moral durant l’éphémère et dramatique période de l’occupation nazie.
Considérée toutefois comme une catégorie sociologique malléable et influençable elle fut l’objet d’une âpre concurrence entre les Allemands et les tenants du pouvoir vichyssois. Pour accomplir sa Révolution Nationale et construire une France nouvelle arrachée aux errements de son passé, la jeunesse intéressait au premier chef le régime sans racines de Vichy. Si l’on y ajoute l’attirance exercée par le Général de Gaulle appelant à la résistance contre l’ennemi et l’hésitation des jeunes chrétiens face à l’action armée, on peut avancer que, entre tant de sollicitations souvent contradictoires, la jeunesse eut à réfléchir, à se chercher et à se débattre tout en surmontant les innombrables difficultés de la vie quotidienne qui l’enlisaient.
Pour l’immense majorité le grand problème fut celui de l’engagement : fallait-il ou non participer aux événements ? Et de quel côté ? Et de quelle manière ?
Ceci étant, quel que soit leur engagement ou leur non engagement, les jeunes de cette époque ont été privés de véritable jeunesse ; dans un monde en guerre ce n’était ni le temps de l’insouciance ni celui de la liberté.
D’évidence, au cours de cette guerre la notion d’âge interviendra peu. En juin 1940 il se trouve des engagés de 15 et 16 ans dans les Forces Françaises Libres, en 1944 les Alsaciens de la classe 27 sont enrôlés dans la Waffen SS à 17 ans alors qu’en 1945 l’Allemagne hitlérienne mobilisera ses jeunes de 15 ans.
Mais cette jeunesse était-elle pour autant préparée à affronter une telle situation et dans quelles conditions morales s’y présentait-elle ?
L’entre-deux-guerres et l’éducation
Avant 1914, sous le coup de la défaite de 1871 et de la perte de l’Alsace et de la Lorraine, la France vivait dans l’obsession de la revanche alors que de 1919 à 1939 elle n’aspire qu’à vivre et profiter de la vie. Après la grande saignée de la Grande guerre le patriotisme des Français se transforme. Leur ardeur combative ainsi que leur esprit chevaleresque les pousse vers les grandes conquêtes sociales. Désirant la paix à tout prix et fermement convaincus que leur armée reste invincible, les Français se bandent les yeux devant la montée du nazisme. Ils restent cependant cocardiers et fiers de leur passé comme le prouve l’éducation scolaire des jeunes enfants. À la communale si les droits de l’homme sont évoqués, l’instruction civique qui déborde sur la grammaire, leur inculque qu’ils ont avant tout des devoirs impératifs : l’amour de leur patrie et l’obéissance aux lois. Cet extrait d’un livre d’Augé du niveau du certificat d’études des années 1930 en est vivant exemple :
« Là patrie c’est ce qui parle notre belle langue, c’est ce qui fait battre nos cœurs, c’est la gloire ineffaçable de nos pères, c’est la grandeur de la liberté ! La Patrie c’est la nation qui a droit à notre entier dévouement et que nous devons honorer, servir et défendre de toute la force de nos bras… etc. ».
Très souvent en composition française une rédaction résulte également de l’instruction civique: « Enumérez les devoirs envers la patrie : pendant l’enfance (reconnaissance et travail), pendant la jeunesse (dévouement et service militaire), à l’âge d’homme (devoirs du citoyen). »
Une place importante est réservée à l’histoire de France exaltant les vertus de notre peuple : Nos ancêtres les Gaulois… Charlemagne l’empereur à la barbe fleurie… Le grand Ferré…Henri IV et la poule au pot…Bayard le chevalier sans peur et sans reproche…etc. … Dans leur ensemble les élèves s’enthousiasment pour les exploits guerriers, les actes de bravoure de leurs ancêtres, souvent thèmes de dictées comme celle de Joseph Bara, ce jeune hussard de l’armée républicaine tué à14 ans dans une embuscade près de Cholet en 1793. Sommé de crier Vive le Roi, il répond Vive la République et tombe sous les coups des Chouans. La discipline s’impose sous l’uniforme égalitaire que représente pour tous jusqu’au collège, béret, culottes courtes et tablier noir. Au coup de sifflet marquant la fin de chaque récréation, formation en rangs par deux et prises de distances béret à la main, puis montée en silence vers les salles de cours. Les punitions données en classe par l’instituteur sont généralement doublées par les parents comme les 25 ou 50 lignes, selon la gravité de la faute et à écrire chez soi : Je ne baillerai plus aux corneilles en classe ou bien j’enlève mon béret au coup de sifflet dans la cour ou je me tais dans les rangs. Chacun vit dans la crainte du piquet à genoux mains sur la tête sur une marche de l’estrade ou du piquet devant la porte de la classe. Là on est généralement repéré par le directeur de l’école qui ajoute une « retenue » à la punition et en averti les parents. Hors de l’école, l’enfant obéit aux siens et dans les réunions de famille écoute les aînés qui souvent évoquent leur vécu et cette belle France avec son riche passé et son magnifique Empire d’outre-mer surnommé « La plus grande France » qu’ils découvrent à l’Exposition coloniale de 1931. Cette France à la pointe du progrès social qui sera encore plus belle avec sa semaine de 40 heures, ses congés payés, et sa protection sociale pour tous. Quelques années plus tard la générosité, la richesse culturelle et la puissance de la France s’étaleront au grand jour de l’inoubliable Exposition internationale de 1937.
La jeunesse française en 1940
Dans le même temps les entreprises d’expansion du chancelier allemand Adolf Hitler, font deviner l’approche de la guerre. Mais nul ne soupçonne ce que pourrait être cette guerre à ne pas assimiler à celle d’Espagne, la France possédant une formidable et invincible armée qui chaque année défile pour le 14 juillet et dont le chef, le général Weygand, vient d’affirmer en cet été 1938 : jamais elle n a été plus forte qu’aujourd’hui. C’est dire qu’après quelques mois de guerre qualifiée de « drôle », la défaite sans précédent de juin1940, assortie de l’exode des populations civiles, ébranle profondément les adolescents. Jetés sur les routes avec leurs parents ils vivent l’angoisse des mitraillages des colonnes de civils par l’aviation de chasse allemande avec pour certains la cruelle rupture de la chaîne familiale par la mort d’un des leurs.
Comme tant d’autres en ces journées de juin 1940 André Bessière n’a pas encore14 ans… : « Il se relève, la tête encore toute résonante des détonations. Il regarde l’effroyable spectacle des carrosseries tordues par les flammes, des chevaux morts et des débris de toutes sortes. Ici et là des hommes et des femmes à peine sur pied retombent à genoux le visage déformé par la terreur en se penchant sur des formes inertes. D’autres paraissent stupéfaits de se voir debout comme ce gosse qui braille en tirant de ses mains couvertes de sang la manche de chemise d’un homme jeune encore qui semble prier l’éternel. Allongé sur le ventre, les bras en croix, un vieillard à cheveux blancs gît, le dos du veston strié de déchirures d’où le sang s’écoule et s’étale comme des taches d’encre rouge sur un buvard.André s’arrache à la triste contemplation du vieillard tué et suis son père. Dominant sa répulsion, il aide à traîner des cadavres, à porter des blessés, puis à déblayer la route jonchée de débris[1]. Inconscients de l’ampleur et des conséquences du désastre, ces événements tragiques n’altèrent pas en eux leur confiance à la France, encore tout imprégnés qu’ils sont d’une éducation et d’une formation que l’expérience n’a pas encore corrodée. Partant de là, leurs chemins ne convergeront pas forcément, bien au contraire.
La jeunesse de Vichy.
Si dans la zone nord occupée par les Allemands la jeunesse subit les effets de la propagande néo-nazie, en zone sud elle est l’objet par le gouvernement du maréchal Pétain des attentions les plus empressées. Sans aucun doute, les jeunes subissent l’influence de leurs parents, leurs pères généralement anciens combattants de 1914/1918 qui se reposent à l’ombre glorieuse du maréchal fétiche, persuadé que le vieux soldat saura se jouer aisément du chancelier Adolf Hitler. Dans cette zone dite libre, se crée un Secrétariat général à la Jeunesse et de multiples organismes ou associations à leur intention. Les Chantiers de jeunesse, institution nationale inspirée du scoutisme et répartis en 46 groupements dans lesquels près de 400 000 jeunes de 20 ans effectueront d’août 1940 à juin 1944 un service obligatoire de huit mois. Les Compagnons de France, organisation calquée sur celle des Chantiers de jeunesse et destinée à accueillir les adolescents qui, jetés sur les routes de l’exode restant dans l’impossibilité de retourner dans leur département d’origine. Coupés de leur foyer et désireux de participer au relèvement du pays 32 500 jeunes passeront par les chantiers des Compagnons de France. Les Equipes nationales fondées au début de 1942 quand les raids de l’aviation anglo- américaine provoquent ruines et morts. Garçons et filles sont classés en trois groupes, cadets (12 à 13 ans), pionniers (14 à 16) et volontaires (17 à 25), ont répartis en équipe de déblayeurs, de sauveteurs, de pompiers auxiliaires, de brancardiers et de secouristes. Ainsi aux accents du nouvel hymne national Maréchal nous voilà !… Nous jurons, nous tes gars… De servir et de suivre tes pas les moins de 20 ans vont être invités à suivre le Maréchal fétiche jusqu’à la LVF (Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme) où, sous l’uniforme allemand ils tomberont dans les neiges de Russie et même jusqu’à la Milice où ils sombreront dans l’anti-France.
Les catholiques s’accommoderont généralement des institutions sociales de l’État français et des principes de la Révolution Nationale. L’église encadrera majoritairement la jeunesse chrétienne dans un ensemble de mouvements agréés par le Secrétariat d’État à la Jeunesse du gouvernement de Vichy : Cœurs vaillants et Ames vaillantes attireront plus d’un million de jeunes quant à l’Action catholique de la jeunesse française avec près d’un million d’adhérents, elle regroupe la jeunesse étudiante chrétienne et la jeunesse ouvrière chrétienne qui ne se laisserons absorber ni par les Equipes nationales ni par les Jeunes du maréchal qui atteindront difficilement à elles deux le millier d’adhérents.
La jeunesse de la Collaboration
Dans la mouvance néo-nazie trois mouvements tenteront vainement de percer : Les Jeunes du Maréchal, mouvement créé au lycée Voltaire de Paris au début de 1941. De coloration nazie et antigaulliste il ne réunira que quelques centaines d’élèves et ne fera guère parler de lui. Les Jeunes de l’Europe (section jeune du groupe Collaboration), se posant ouvertement en mouvement national-socialiste sous l’égide du chancelier Adolf Hitler dont les quelque 1500 adhérents se livreront à une active propagande en faveur de la LVF. Les Jeunes Front, réservé aux militants de moins de 20 ans du parti Français National Collectiviste de Pierre Clémenti, Mouvement qui ne réunira que deux ou trois centaines d’adhérents coutumiers de saccages de magasins juifs aux Champs-Élysées à Paris. Reste une minorité de jeunes éclatée dans les jeunesses des partis de la collaboration, Franciste de Marcel Bucard, Rassemblement National Populaire (RNP) de Marcel Déat et le Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot.
Tous les différents mouvements politiques réunis n’ayant jamais compté plus de quelques dizaines de milliers de militants c’est dire le peu de jeunes concernés. Hélas, beaucoup plus importante la Milice, honte de la France, contrôlera environ 30 000 hommes dont plusieurs milliers de moins de 20 ans.
La jeunesse de la Résistance
Proie de tant de sollicitations vichyssoise, souvent victime de l’absence au foyer d’un des siens (1 800 000 prisonniers en Allemagne otages des nazis), influencée par l’attitude temporisatrice de la grande majorité des anciens de 14/18 ou de celle de l’Eglise, la jeunesse n’avait guère le loisir de se pencher sur l’engagement de l’homme du 18 juin, d’autant qu’elle était enlisée dans des difficultés de tous ordres, économiques alimentaires et sociales, inhérentes à un pays vaincu que corsetait un régime policier d’une redoutable efficacité. Le jeune ne pouvait songer entrer en résistance que selon des critères familiaux qu’ils soient confessionnels, raciaux ou politiques ou de sa propre initiative selon un patriotisme profondément ancré en lui. Le 17 juin sur la place de Sainte-Orse où l’a jetée l’exode, une foule débordante de joie acclame le Maréchal Pétain dont la voix, transmise par la radio, vient d’annoncer ses contacts avec l’ennemi en vue d’un cessez-le-feu.
« Les yeux embués, François Bessière pose une main pesante sur l’épaule d’André son fils, lui aussi bouleversé par cet incompréhensible débordement populaire. Deux ou trois jours plus tard la presse régionale fait état d’un certain général de Gaulle qui de Londres, ne reconnaissant pas l’armistice, en appelle à le rejoindre pour continuer la lutte. Lorsqu’il l’apprend André, en parfaite communion d’esprit avec son père, éprouve une intense admiration pour celui dont il reçoit le nom comme venu tout droit des premiers âges de la France. Il voudrait que le temps passe vite jusqu’à ce qu’ils soient en état de porter les armes car la décision s’impose à lui secrète, définitive : aller rejoindre ce général qui refuse l’armistice et continue la guerre[2].
A cette heure du désastre comment ne pas citer l’exemple de tous les hommes valides de l’île de Sein, parmi lesquels des jeunes de 15 ans, rejoignant les premiers par mer et par leurs propres moyens le général de Gaulle et les FNFL (Forces Navales Françaises Libres) en Angleterre. Autre exemple caractéristique de manifestation spontanée : à Sète, quelques jeunes s’évertuent à jeter dans le canal la voiture des officiers de la commission italienne d’armistice. La police française les en empêche de justesse. Et quelques semaines plus tard, ces réactions de jeunes qui, dans nombre de villes et de villages de France, tracent à la craie de grands « V » de victoire sur les murs alors que d’autres jeunes, dans le métro parisien, couperont les rubans noirs flottant dans le dos des bérets des marins allemands.
D’autres encore n’auront de cesse de mettre leur projet à exécution. En 1942, J. M. Saladin, 15 ans 1/2 s’embarquera avec son camarade Victor Tudal 16 ans, sur le petit cotre de pêche de son père et traversera la Manche pour s’engager dans les Forces Françaises Libres. Mais bien peu de ceux qui le voudraient trouveront les possibilités de réaliser un tel rêve. Comment rejoindre l’Angleterre lorsque l’on réside à Paris, à Clermont-Ferrand, à Lyon, à Toulouse où ailleurs ?
Il faut donc agir sur place et au sein de son environnement.
Le 11 novembre, avec la masse d’étudiants, de lycéens et de collégiens concentrés dans la capitale, la démonstration au nez et à la barbe de l’occupant est spectaculaire mais risquée. Pour protester contre l’arrestation de professeurs, notamment de Paul Langevin, quelques milliers d’étudiants massés sur la place de l’Etoile sont brutalement dispersés à coups de crosse. De nombreux blessés sont à déplorer de même que 150 lycéens et étudiants incarcérés pendant plusieurs semaines.
Le même jour à Sète en zone libre, bravant l’interdiction absolue de manifester, une cinquantaine de jeunes gens et filles forment un demi-cercle à une dizaine de pas derrière quatre garçons qui déposent de modestes gerbes tricolores au pied du monument aux morts. Le dernier bouquet déposé les quatre garçons de moins de 20 ans reculent d’un pas et s’immobilisent. Passée une longue minute de silence où l’émotion étreint les gorges, l’atmosphère se détend, les visages se réaniment et les porteurs de fleurs sont félicités pour leur initiative. Entre potaches on lie vite connaissance, on échange des paroles de circonstances, on a les mêmes opinions, on décide de se revoir. Ainsi naît, à Sète l’un des tout premiers noyaux de résistance partant du refus d’obéissance au gouvernement de Vichy. Dans cette lutte souterraine qu’ils vont mener, des hommes d’expérience et de compétences, affirment d’emblée leur supériorité et s’investissent aux postes de commandement. Et ils feront appel à des jeunes pour des missions apparemment secondaires mais cependant dangereuses comme le transport des journaux clandestins, la distribution des tracts, le collage d’affiches ou la couverture de sabotages.
Si l’on y ajoute la responsabilité de la propagande pour quatre établissements scolaires, ainsi sera le parcours d’André Bessière, entré à 15 ans en 1941 à Libé Nord et arrêté à 17 ans par la gestapo
Les Français dans leur grande majorité ignorent tout de la Résistance qui restera un mythe pour eux. Bien souvent même, celui qui souhaiterait « faire quelque chose » ne parvient pas à trouver un contact.
Victor Legouy, jeune pion d’un collège de Louviers, cherchera vainement la Résistance pendant deux ans. Lorsqu’enfin il la trouvera, il y perdra sa liberté.
Dans la Résistance il n’y aura pas à proprement parler de mouvement composé exclusivement de jeunes de moins de vingt ans, ils s’intègreront volontairement avec leurs aînés dans les diverses organisations, quand ils pourront le faire bien entendu. Comme eux, seule une poignée d’entre eux se dressera dès le début de l’occupation, d’autres les suivrons au fil des années. À remarquer que la grande masse des chrétiens hésitera toujours devant l’action armée d’autant qu’elle réprouvera les bombardements alliés qui feront beaucoup de victimes et que, plus tard dans les maquis, la lutte commune avec les communistes leur posera d’insurmontables problèmes de conscience. Les évêques refuseront d’ailleurs de donner des aumôniers aux maquis. Il n’en reste pas moins que des jécistes entreront à titre individuel dans la Résistance tel Jean Bourdarias responsable des EPS et des ET, qui s’engage dès 1941 à l’OCM (Organisation civile et Militaire) et gagne ensuite le marquis de Corrèze. Notons également que parmi les fusillés de la cascade du bois de Boulogne se trouveront trois jécistes. Cependant si la majorité des jeunes reste passive une petite minorité va créer de petits groupes ou s’intégrer à des mouvements ou à des réseaux de Résistance.
Marcel Boitel a 15 ans quand il entend l’appel du général de Gaulle. Apprenti ajusteur à Quimper, il commence à imprimer des tracts à l’aide de lettres découpées dans de vieilles chambres à air quand il suit des cours professionnels du soir. Sa première condamnation pour avoir tracé des graffitis et des croix de Lorraine sur les murs de la ville fut d’en nettoyer les murs. Puis à la tête d’une trentaine de jeunes il multiplie les sabotages jusqu’à l’attaque à l’explosif de la caserne et du foyer allemand de Quimper. Arrêté le 14 juillet 1943, il sera condamné à mort et exécuté le 25 février 1944, il avait 19 ans. Facilement en contact les uns avec les autres, et plus libres de leur temps que les travailleurs, lycéens et étudiants marqueront leur passage dans l’histoire de la Résistance.
L’affaire du Nouvelliste de Lyon mérite une mention spéciale. Les jeunes des groupes francs du mouvement Combat décident de porter à la connaissance du public que la Résistance lyonnaise existe toujours contrairement aux affirmations du journal collaborationniste. Grâce à des complicités dans le monde de l’imprimerie ils composent, rédigent et préparent un journal qui, par sa présentation extérieure, rappelle exactement le journal collaborationniste. Ils le tirent à 30 000 exemplaires et, au petit matin prévu neutralisent six voitures de presse et, sous prétexte qu’il vient d’être censuré par les autorités allemandes, vont reprendre dans tous les kiosques le Nouvelliste de Lyon et donnent le leur en remplacement. Aucun des jeunes ayant participé à l’opération n’a 20 ans.
A Paris un groupe de lycéens et d’étudiants créent un journal Défense de la France et un mouvement autour de ce journal. Suite à la trahison d’un des leurs, pour une cinquantaine d’entre eux l’aventure s’achèvera dans une souricière le 20 juillet 1943. Parmi les arrêtés, Geneviève de Gaulle la propre nièce du Général, et une tragédie, celle de Pierre Marx étudiant de 20 ans qui armé, flaire le piège, tire sur les policiers, se sauve et est abattu en pleine rue. Au fil des mois les jeunes ont accédé à des tâches hautement risquées… « Gilbert met au point quelques engins lacrymogènes pour perturber les réunions publiques indésirables ou troubler la projection de films inspirés par la PropagandaStaffel allemande »alors que de son côté« Jacques enseigne à ses équipiers les méthodes artisanales pour bloquer la signalisation des voies ferrées, provoquer la rupture de l’étude de locomotive, ou ébrécher les boyaux d’intercommunication d’air servant au freinage ».
D’autres encore, engagés dans les Réseaux de renseignement observent et notent :
« Christian passe des heures à rédiger de longues notes sur des trains militaires, sur le matériel de transport qu’ils véhiculent, engins chenillés… pièces d’artillerie…parfois il se lance dans la description des unités qui stationnent dans sa région avec tous les détails sur les effectifs les armes et leurs activités ».
Deux ou trois dizaines de milliers de moins de 20 ans, lycéens et étudiants pour la plupart s’engageront dans la Résistance dont les rangs vont s’accroître au fil du temps des déçus des organisations de jeunesse maréchaliste, et de biens d’autres qui, menacés par le STO en 1943 se terreront dans des fermes isolées. Bien peu de ces quelque 250 000 réfractaires désireront combattre dans les maquis dont les effectifs ne dépasseront jamais 40 000 hommes lesquels, le jour venu, se fondront difficilement dans la 1e Armée française.
Pour ceux qui se retrouveront dans les rangs des Forces Françaises de la Libération l’aventure continuera sous une autre notre forme quand elle ne tournera pas court : le cas de Paul Baudassé de Sète qui, après avoir traversé toutes les épreuves de la Résistance et du maquis tombera le 31 décembre 1944 sur le front des Vosges. Sans doute pensait-il avoir eu beaucoup plus de chance que son camarade André Portes qui vient d’avoir 20 ans et vit ses derniers jours dans le camp de concentration de Flossenbürg.
La répression engagée par les nazis s’était en effet inscrite en relief d’une logique de barbarie. Dans une France où les passions étaient exacerbées ils s’étaient infiltrés dans la plupart des Mouvements et des Réseaux de résistance. Dès la fin de 1941 les prisons se remplissaient et retentissaient du gémissement des suppliciés quand ce n’était pas du râle des mourants ou des crépitements des salves d’exécution…
Martyrologe
Au camp de travail de Choisel le 21 octobre 1941, 27 otages sont priés d’écrire leurs dernières volontés : ils seront fusillés le lendemain après-midi.
Parmi eux un crève-coeur, Guy Môquet 17 ans, tient ferme sa plume :
Ma petite maman chérie, mon petit frère adoré, mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c’est d’être courageuse. Je le suis et je veux l’être autant que ceux qui sont passés avant moi.
Certes j’aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon coeur, c’est que ma mort serve à quelque chose.
Que de désespoir contenu dans ces quelques mots qui terminent cette poignante dernière lettre :
17 ans et demi ! Ma vie a été courte ! …/… Je vous embrasse de tout mon coeur d’enfant.
Courage !
Votre Guy qui vous aime.
Le lendemain 22 octobre peu après 17 heures, la petite sous-préfecture tranquille de Chateaubriant n’évoquera plus que l’image d’une monstrueuse tuerie dont l’écho va retentir aux quatre coins du monde.
Jean Arthus, Jacques Baudry, Pierre Benoit, Pierre Grelot et Lucien Legrot, les cinq du lycée Buffon à Paris, n’ont pas encore 18 ans lorsque le 8 février 1943 ils tombent sous les balles allemandes. Arrêtés en juin de l’année précédente ils avaient été parmi les premiers de la Résistance Universitaire. Leurs derniers mots sont pathétiques :
Jean Artus à son frère :
« On nous a appris ce matin que c’était fini. Je sais que c’est un coup très dur pour toi, mais j’espère que tu es assez fort et que tu sauras continuer à vivre en gardant confiance en l’avenir… Pense que je meurs en Français pour ma patrie… »
Jacques Baudry à ses parents :
« On va m’arracher à cette vie que vous m’avez donnée et à laquelle je tenais tant… Mes pauvres chéris, j’ai accepté le combat, vous le savez. Je serais courageux jusqu’au bout. Vous serez quand même heureux dans la paix, un peu grâce à moi. J’aurais voulu vivre encore pour vous aimer beaucoup. Hélas ! Je ne peux pas… »
Pierre Benoit à ses parents et amis :
« C’est la fin. On vient nous chercher pour la fusillade… Mourir en pleine victoire, c’est un peu vexant. Mais qu’importe ! La vie sera belle pour ceux que j’ai aimé et qui m’aimaient…Nous partons en chantant. »
Pierre grelot à ses parents :
« Tout est fini maintenant. Je vais être fusillé ce matin à 11 heures. Pauvres parents chéris, sachez que ma dernière pensée sera pour vous. Je saurai mourir en Français. Gardez toujours dans votre coeur mon souvenir … »
Lucien Legros à ses parents :
« Je vais être fusillé à 11 heures avec mes camarades… Nous allons mourir le sourire aux lèvres, car c’est pour le plus bel idéal… Je meurs pour la France, donc je ne regrette rien…»
Henry Pertet, résistant fusillé le 26 septembre 1943 à l’âge de 16 ans avec 16 de ses camarades de Besançon, est fier jusqu’à la dernière seconde. Il sait pourquoi il va mourir, refuse d être attaché et d’avoir un bandeau sur les yeux. Une pointe d’amertume perce cependant dans la dernière phrase de sa lettre d’adieu :
C’est dur quand même de mourir…
Avec tout le respect dû à leur mémoire et pour le courage dont il firent généralement preuve dans leurs derniers instants, saluons au passage les martyrs fusillés comme otages sans qu’ils aient jamais fait acte de résistance : les quatre étudiants de 18 ans, pris comme d’otages, pendus sur une place publique de Tülle le 9 juin 1944, sous les yeux d’une population impuissante.
Méditons un instant sur le tragique des dernières pensées de René Laforge qui, sans savoir pourquoi, va tomber à Dijon sous les balles d’un peloton d’exécution. Jeune normalien de 20 ans qui écrit entre autres dans sa dernière lettre : « Je vais mourir aujourd’hui quoique étant innocent et m’étant toujours efforcé de faire le bien dans la vie… » Et plus loin pour finir « Je regarde la mort en face et je n’ai pas peur. »
Ils furent 30 000 volontaires de la nuit fusillés dont quelques milliers de moins de 20 ans, morts courageusement, les yeux grands ouverts face aux fusils des soldats ; 30 000 dont nous découvrons parfois les noms sur des stèles au fond des bois, parfois sur les plaques des noms de rues, parfois aussi sur les murs de façade d’immeubles.
La plupart de ceux qui avaient échappé à ce sort immédiat, après des semaines et souvent des mois de cellule au secret où les conditions de vie étaient épouvantables, s’étaient retrouvés dans les camps de la mort lente. Là comme ailleurs les moins de 20 ans n’y sont pas épargnés malgré qu’un baraquement leur soit parfois attribué comme au camp de Flossenbürg.
Dans le convoi exceptionnel des quelques 1700 détenus Résistants partis de Compiègne Royallieu pour Auschwitz le 27 avril 1944, ils sont 179 de moins de 20 ans. Treize mois plus tard, en mai 1945, ils ne seront que 80 à recouvrer la liberté.
Leurs 99 camarades rejoindront la longue liste des morts pour la France, ces milliers d’anonymes du cortège des grands courages qui resteront des oubliés de l’histoire car hormis le souvenir vivace qu’ils ont laissé dans le coeur des leurs, qui se souviendra d’eux ? Quelques initiés peut-être à la lecture d’une plaque sur un mur à l’occasion d’une promenade soit à l’énoncé de leur nom sur un monument aux morts un jour de commémoration.
Est-ce suffisant ?
Devant 200 lauréats du Concours de la Résistance et de la Déportation qui lui faisaient face à la cascade du Bois de Boulogne, lieu de fusillade de martyrs, un président de la République a estimé que non : « Souvenez-vous, enfants de France, que des hommes admirables ont conquis par leur sacrifice la liberté dont vous jouissez. »
André Bessière
Bibliographie
L’Engrenage, André Bessière, Ed. Buchet Chastel, 1991.
D’un enfer à l’autre, André Bessière, Ed. Buchet Chastel, 1997.
Les années Noires, Henri Rousso, Gallimard
Dictionnaire historique de la France sous l’occupation, M et JP Cointet, Ed. Tallandier.
Cahiers de Marc Ballot de l’UD/CVR Gironde. 1999.
[1] L’Engrenage, André Bessière, éditions Buchet Chastel, 1991.
[2] L’Engrenage, André Bessière, éditions Buchet Chastel, 1991.