Hommage de Jean Marie Delabre aux étudiants fusillés par les Nazis
Rencontre prévu le 24/05/2012
Il y a 80 ans je traversai le jardin du Luxembourg pour la première fois de ma vie, c’était pour me rendre au Lycée Montaigne, où j’entrai en classe de 8ème, et c’est avec beaucoup d’émotion que je me retrouve dans ce jardin, aujourd’hui, autour de vous.
Mais c’est un peu plus loin, quand on atteint le Lycée Louis le Grand, que mes souvenirs sont les plus vivaces. Car c’est là que la Résistance devait terminer ma vie de jeune étudiant pour se transformer, quelques années plus tard, en vie d’adulte ayant eu la chance de sortir vivant des geôles nazies.
Si je suis là aujourd’hui, c’est pour que notre pensée se porte en commun vers celles et ceux dont la jeunesse fut interrompue par la mort, car ils avaient refusé que la France reste soumise à l’Allemagne nazie et voulu qu’il soit à nouveau possible de vivre dans un monde de liberté et de respect des autres, quels qu’ils soient. L’espoir devait être grand et animé par une volonté dont est souvent douée la jeunesse pour entrer dans une lutte contre un adversaire auquel tout semblait réussir ; d’autant plus que l’adversaire obtenait l’aide d’une partie de nos concitoyens et du gouvernement de Vichy.
Les premiers appels du général de Gaulle, parvenant par la radio de Londres et les émissions de la France Libre qui suivirent, montraient le courage et la volonté de vaincre de nos alliés britanniques et de la France libre, entretenaient la foi en une victoire des forces du bien.
Dans ces circonstances la Résistance, dont la jeunesse formait une grande partie, se développait au sein du pays, attendant avec impatience le jour d’un débarquement des forces alliées, renforcées par l’entrée en guerre des Etats-Unis où, enfin, il serait possible de se joindre à nos alliés pour vaincre définitivement l’Allemagne nazie dont les forces semblaient faiblir. Une partie de la jeunesse de France, pendant tout ce temps, prit une part importante dans toutes les formes de la Résistance : création et distribution d’une presse clandestine, réseaux d’espionnage, aide aux aviateurs alliés tombés sur notre sol, soutien à tous ceux recherchés par l’occupant ou les autorités de Vichy, juifs ou requis au S.T.O. Puis, organisation des maquis, participation aux combats de la Libération avec tout ce que cela représente.
Je n’ai pas l’ambition de vous faire une histoire de la Résistance en France mais de vous faire comprendre qu’au fur et à mesure de ce développement, chacun devait vivre en sachant que le risque était permanent : les polices françaises et allemandes, les traitres, les collaborateurs conduisaient à des arrestations qui pouvaient être suivies d’emprisonnement, de déportation dans un des sinistres camps de concentration nazis quand ce n’était pas à la mort.
Aujourd’hui, c’est à tous les jeunes qui perdirent la vie dans ces actions ou à leur suite dans les prisons ou camps de concentration que va tout particulièrement notre pensée. C’est cette occasion qui nous permet de parler plus particulièrement de Pierre Alviset dont le nom a été donné à un collège, peu éloigné d’ici, dont certains d’entre vous ont été élèves. Mais peut-être ne connaissez vous pas tous le parcours de Pierre Alviset ?
J’ai été en classe avec Pierre Alviset au Lycée Montaigne : il était déjà un brillant élève hors du commun. Il obtient le baccalauréat de mathématiques et de philosophie en 1942 et commence des études supérieures à la Sorbonne où il obtient une licence.
Les circonstances de la vie ne m’ont pas donné l’occasion de le revoir après le lycée et c’est donc à un livre « les Jeunes et la Résistance » (édité par la Documentation Française) que je me suis référé : Pierre Alviset, né en 1924, adhère à la jeunesse étudiante chrétienne, puis s’engage dans le Tiers-ordre de Saint-François en 1940. Il s’engage dans la Résistance au sein du Comité national des étudiants patriotes. En 1943, il participe au développement du réseau de diffusion du journal clandestin « Défense de la France ». En juin 1944 il rejoint le maquis de Défense de la France (Seine et Oise Nord). Le 21 juin 1944, Pierre Alviset écrit dans son carnet : « J’ai 20 ans. Age heureux. Je veux devenir un homme et un Français de valeur ». (Texte reproduit sur la plaque apposée, le 7 juin 2006 sur la façade du collège qui porte son nom au 88 rue Monge, 5ème arrondissement).
Le 13 août 1944, le corps franc Lapierre capture deux prisonniers allemands. Etant impossible de les garder, la décision est prise de les exécuter, mais aucun des maquisards n’a le courage de le faire. Les captifs sont donc emmenés loin de là, les yeux bandés, et relâchés. Le 15 août, les Allemands arrivent en nombre dans le petit village de Nerville (commune aujourd’hui du Val-d’Oise, située à l’orée de la forêt de L’Isle-Adam, à environ 30 km au nord de Paris). Ils perquisitionnent les fermes et trouvent l’imprimerie dissimulée chez Commelin. Aux Forgets, dans la propriété de M. Grandjean, les Allemands découvrent des maquisards. Furieux, ils mettent le feu à la ferme Commelin, organise une battue et arrêtent plusieurs résistants. En tout, 18 personnes sont arrêtées. Le lendemain, treize résistants, dont Pierre Alviset, sont conduits dans la clairière des « Quatre Chênes » de Dormont et exécutés.
Pierre Alviset a été décoré de la Médaille militaire et de la Médaille de la Résistance.
Tous les témoignages que j’ai entendus ou lus me confirment que Pierre était un garçon exceptionnel et me permettent de vous dire qu’il fait partie, pour moi, de ces jeunes dont j’ai connus plusieurs, parmi mes amis les plus chers, qui paraissent avoir accompli leur mission sur terre. Ils sont des modèles pour la jeunesse, pour les générations qui leur succèdent et leur succèderont : Ils montrent comment la jeunesse peut être, en tous temps, une force de refus de l’inacceptable et un dispensateur d’aide et d’amour surtout pour tous ceux qui souffrent.
Jean-Marie Delabre