Hommage aux Etudiants fusillés
Rencontre prévu le 11/05/2006
Allocution prononcée par M. Claude DUCREUX le 11 mai 2006 devant
le Mémorial des Élèves et Étudiants de France morts
pour la France pendant l’occupation nazie
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités nationales et parisiennes,
Mesdames et Messieurs les Présidents, Chers Camarades et Chers Amis,
C’est toujours avec un pincement au cœur que nous évoquons ces camarades de l’autre rive, ces meurtris quelquefois sans sépultures, ces jeunes assassinés au bord de leur adolescence au moment où nous nous retrouvons devant ce monument près de la Fontaine Médicis.
Sous l’égide des sénateurs et avec leur aide et leur participation de représentants de la Nation, Jeanne BOUCOURECHLIEV avec sa fidélité et Mémoire et Espoirs de la Résistance avec son souci de continuité permettent le souvenir et le service indispensable de mémoire pour l’émotion des anciens et la transmission des valeurs aux plus jeunes par des chants, des poèmes, des récits martelés par cette histoire très particulière que fut la Résistance.
Les dates de l’action estudiantine sous l’occupation sont des dates historiques. Elles en soulignent la particularité. 1940, 1943, 1944
1940 : écrasés par la débâcle, l’exode sur les routes, l’absence de nouvelles des proches et des amis, les trahisons, les générations estudiantines et lycéennes réagiront par la tradition, le courage et l’honneur. Cette jeunesse connaît très vite et majoritairement le refus ; le refus de la défaite, le refus de l’ignominie dont on ne connaît pas encore toute la terrible ampleur.
La jeunesse a repris le chemin de l’école et de la Fac. Certains ont passé le bac à des sessions excentrées, souvent sans oral.
Très vite va circuler après la Toussaint, surtout à Paris, l’idée de respecter l’hommage à l’Inconnu sous sa flamme d’éternité qui devient fidélité au soldat de la dalle sacrée et par-là, fidélité à la Nation et surtout espérance alors que la foi a chancelé.
A l’approche du 11 novembre, par le bouche à oreille, les avis sur les vieux tableaux noirs où la craie renouvelle son appel quand le coup de chiffon d’un timoré l’a effacée, ou même les tracts que Lefranc aura réussi à imprimer sans compter les petites croix de Lorraine émaillées bleues de Sainte Croix de Neuilly, mobilisent deux mille lycéens et cinq cents étudiants. Il y a un grand élan vers l’Arc de Triomphe avec des rendez-vous de groupes fluctuants animés d’une seule idée principuelle.
Les mathélems de Janson, une notamment, ont, dès le 9 novembre, commandé une gerbe. Ce sera une Croix de Lorraine bleue-ciel de 2 mètres de haut que livrera le fleuriste ! A 15 h 30, le 11 novembre, Igor de SChotten et Dubosc déposent, avec l’aide des gardes, sur la dalle sacrée, l’hommage à tous ceux qui ont construit notre Mémoire. Les venus de la Rive gauche tentent de remonter les Champs-Élysées. Les policiers et les Allemands sont très rapidement intervenus depuis les rues adjacentes. Ca bouchonne et ça refoule vers Georges V, puis Bassano et Washington avec des coups, des dégagements musclés et des fuites de plus en plus difficiles. Il y aura plus de 1 000 arrestations, des arcades sourcilières fendues et soignées par les infirmeries des Lycées ! Dans les jours qui suivent, il y aura 123 incarcérations et l’Université sera fermée. Des dirigeants, tel LANGEVIN, sont arrêtés, mais plus de 750 bouquets fleurissent la statue de CLEMENCEAU !
Le souvenir de cette journée du 11 novembre 1940 est marqué par la plaque posée à l’orée du tunnel de l’Arc et par les vitrines du Musée de l’Armée. Cette journée estudiantine constituera un mythe fondateur
Cette manifestation sera exemplaire car elle marque des sentiments très forts et elle inspirera les établissements scolaires et les communes pendant toute l’occupation. En 1943, à Henri IV, dans un silence absolu dans lequel crissent seulement les graviers jamais dérangés de la Cour d’honneur, des élèves déposent quelques feuillages arrachés à un jardin voisin devant le personnel administratif médusé mais qui saura conserver l’événement L’Association des étudiants du 11 novembre 40 restera, jusqu’à ce jour, active et solidaire après avoir porté l’exemple initial.
A l’appel des Français de la BBC le 11 novembre 1943, à Oyonnax, Roman PETIT organisera une grande cérémonie face à l’occupant. Deux cents maquisards en grande tenue prélevée aux Chantiers de Jeunesse, défilent en bon ordre devant les 12 000 habitants de la cité du celluloïd.
Ailleurs, ce sera un humble bouquet sur le gris de la pierre du monument où sont gravés quelques noms de notre bonne terre de France, mais partout la tradition brave l’environnement hostile.
Cet élan exemplaire dressé devant l’occupant et son allié, le législateur installé à Vichy, va aussi guider les esprits vers l’action. Malgré les embûches diverses d’une vie difficile et les obligations de la clandestinité, les élèves vont œuvrer dans des directions utiles : presse clandestine, cache d’amis et de juifs, cache d’aviateurs alliés abattus ; on profite des jours de congés, des vacances et des professeurs de grande compréhension, pour certains même, de participation effective tels LACROIX et FRANCOIS. Des étudiants préparent même du plastic ou des munitions.
Quand surviennent les grandes réquisitions pour le travail des jeunes en Allemagne, les réactions sont fortes : examens médicaux truqués, planques diverses. Deux élèves de l’École de la France d’Outremer assomment le gardien et détruisent un fichier à la Fac de Droit ; un commando fait de même à la faculté de Médecine.
Toutefois, il y a un afflux quelquefois difficile à canaliser pour les mouvements. On redouble la fabrication de documents identitaires rue Monsieur le Prince, chez DEBAS !
Les maquis s’installent et doivent organiser l’entraînement au maniement d’armes. Bien souvent, la recrue ignore le vrai nom de son responsable et celui de son réseau. Un chef régional de l’O. C. M. changera 6 fois de pseudonyme !
Dans le quartier latin, on organise des groupe de 5 à 6 sous la désignation « 0CM des jeunes. » Ils sont dirigés par « Philippe », un étudiant en droit, monté d’Aix en Provence, qui n’est autre que Charles VERNY. On dressera des plans des galeries sous le Luxembourg et sous les catacombes avec des égoutiers.
Jorge Semprun, Khâgneux d’Henri IV, primé au Concours Général malgré l’opposition des autorités, n’est plus au cours de Lacroix ; le futur organisateur du Parti Communiste espagnol a intégré un réseau britannique.
Rue de Médicis, dans la célèbre librairie José Corti, on s’inquiète de la disparition d’un fils tant aimé, Dominique ; cet autre élève de Lacroix et d’Alba ne reviendra jamais et ne laissera que deux ombres voûtées, vêtues de noir dans leur chagrin et que ni BACHELARD, ni Julien GRACQ neconsoleront. Les Volontaires de la Liberté resserrent les rangs et se coordonnent avec d’autres mouvements. A Vélite Thermopyles, qu’il a fondé rue d’Ulm, Pierre PIGANIOL échappe de peu à la Gestapo. Un ancien de Normale Sup, KOSCIUSKO, futur gendre de MORIZET, Maire de Boulogne, travaille avec le savant Paul RIVET, puis avec PIOBETTA et Marc O’NEIL futur chef militaire dans L’Orléanais. On établit des plans et on distribue les tâches, au Luxembourg et au Lycée Montaigne. Certaines équipes font de l’entraînement militaire en forêt de Fontainebleau, le dimanche, délaissant certains sous-sols. Les coups de mains se multiplient. Le 3 mai 44, à 5 heures de l’après-midi, boulevard Saint Michel, les jeunes de la FUJP guidés par PROUTEAU, qui a remplacé Charles VERNY, arrêté le 4 avril, distribuent 28 000 numéros de « l’Avenir » en quelques minutes. Personne ne sera arrêté. L’étudiante, Sylvie GIRARD est avec eux. Mais le futur X Henri LEROGNON après Éliane JEANNIN est arrêté et déporté ce qui décapite un peu plus l’O.C.M.J.
Le grand ralliement estudiantin aura lieu avec le débarquement deNormandie. Le 6 juin, les classes préparatoires ont passé les concours et les partiels. Malgré les lourdes arrestations des cadres en mars, avril et mai, les affectations ont été faites. Les messages attendus résonnent dans les postes ; les itinéraires se communiquent. L’ennemi est plus dur que jamais et multiplie les arrestations les derniers trains de déportations partiront en août.
Philippe WACRENIER, futur cadre supérieur du B.R.G.M. et André CHADEAU futur représentant français à Wallis et Futuna côtoient l’inéluctable dans des cavales de la dernière chance.
Du quartier latin on est parti vers Saint-Viâtre, Chambon-la-Forêt, Lorris ou Vendôme et des étudiants de Rennes tentent de rejoindre Saint-Marcel.
A Lyon, de futurs grands universitaires sont victimes de la Gestapo de l’école de Santé. Ils seront poussés par le sinistre Barbie dans le dernier convoi de déportation du 11 août.
L’écrivain déporté a appelé cela le « dernier voyage » la direction était le Struthof ou Dachau, pour Toi, mon camarade et pour d’autres Dora ou Flossenburg. Jorge SEMPRUN a alors ce double cri déchirant « Quittes le monde des vivants !, quittes le monde des vivants ! »
Mais ils auront encore la fleur au fusil, qu’ils n’ont pas encore ! Ceux qui partent pour la Loire, la Sologne voire les Alpes.
C’est la jeunesse de France qui veut vivre son espérance. Le Général de Gaulle la saluera.
Cette espérance sera en effet à la mesure des enthousiasmes de leurs âmes riches mais elle ne fut pas sans larmes.
De ceux qui sont ici, ce 11 mai, la plupart ne peuvent se soustraire au souvenir des fusillés du By et du Cerbois, des déportés de Sologne et à celui de ceux qui tombèrent à Chambon-la-Forêt, Saint-Cyr-en-Val ou près de Lorris et partout ailleurs.
Quatre d’entre les 29 martyrs de la Ferté Saint Aubin étaient encore en classe à côté de moi les premiers jours de juin 1944. Un traître les a fait assassiner le 10. Quelques jours après, sur la terre humide de leur dernier frémissement, je leur écrivais cet adieu qui, depuis 60 ans, sonne en moi le glas de courage et d’honneur de mes camarades morts à 20 ans.
A CEUX QU’ENFLAMME LEUR EXEMPLE ET QUI MOURRONT COMME ILS SONT MORTS V. H.
Quatre noms sans musique et sentant le terroir
Quatre amis sans faiblesse et qui aimaient l’espoir
Quatre Français toujours debout dans les brouillards du soir
Et qui voudraient partir dans le grand pays noir.
Quatre noms comme le nom banal d’un hameau
Quatre amis avec sur leur front une couronne de rameaux
Quatre français qui s’animaient à l’approche de l’assaut
Et qui voudraient débarrasser la FRANCE des salauds.
Quatre noms pleins d’une odeur de terre et de sang
Quatre amis indissolublement soudés dans une même flaque de sang
Quatre français tombés dans un piège noir de crime et de sang
Quatre corps desséchés qui ont perdu leur dernière goutte de sang.
Quatre noms silencieux gravés à jamais sur la pierre insipide
Quatre amis de la grande famille des jeunes cœurs intrépides
Quatre français qui ne reculèrent jamais devant la souffrance
Et qui sont morts en héros pour que vive la France.
Claude Ducreux
Juin 1944