Prisonniers de la Liberté – L’odyssée de 218 évadés par l’U.R.S.S. – 1940-1941
Par Jean-Louis Crémieux-Brilhac Auteur : Jean-Louis Crémieux-Brilhac Éditions : Éditions Témoins Gallimard 2004
218 prisonniers de guerre français en Allemagne qui s’évadent par l’U.R.S.S., épisode singulier de la deuxième guerre mondiale, que Jean-Louis Crémieux Brilhac, l’un des acteurs de cette extraordinaire épopée, rapporte dans son dernier ouvrage.
Prisonniers en Poméranie, ces hommes s’évadent vers l’Est, et se retrouvent « Prisonniers de la liberté au pays des soviets ». Quelle aventure pour ces 218 Français qui découvrent au travers des barbelés, l’U.R.S.S. de 1940 avec ses tragédies, ses atrocités, et ses paradoxes, où dans le secret le plus total ils vont former une communauté chahutée, miroir de la France des années 40/41, divisée entre les tenants de la Révolution nationale, ceux qui refusent l’armistice et quelques militants ou sympathisants du « Parti » qui penchent, eux, vers la « patrie du paradis des travailleurs ».
En groupe ou individuellement le parcours de ces évadés qui partent, pour les premiers, dès le début juillet 40, « sans pain, sans carte, sans boussole, sans savoir l’allemand, dormant le jour, marchant la nuit » est héroïque, souvent rocambolesque. Tous s’acharnent pour atteindre, avec plus ou moins de chance, dans des conditions climatiques souvent effroyables, une terre de liberté qu’ils croient promise, mais où ils vont se retrouver jetés dans quelques « culs-de-basse-fosse » en Lituanie ou dans les provinces polonaises récemment annexées, en cours de dékoulakisation et de normalisation à la soviétique. La vie dans les prisons russes, bastions du régime, est immonde : « point de brutalités physiques…mais l’abomination des cachots collectifs engorgés, l’indignité des traitements, le mépris humain » Dans les prisons et dans les camps où séjourneront les Français, des milliers de Polonais et habitants des pays baltes, sous le joug, les ont précédés avant d’être déportés, et massacrés comme à Katyn, par exemple. Sans le savoir, tous ces Français auront-ils ainsi frôlé « quelques-uns des pires drames du siècle ».
En octobre 1940 la plupart des Français rejoignent la célèbre prison Loubianka de Moscou, «véritable citadelle du silence ». Début mars 1941, toujours sous le regard omniprésent et du bon vouloir du N.K.V.D., les prisonniers sont regroupés dans un camp au sud-ouest de Moscou à Kozielsk où les conditions matérielles sont moins pénibles. Là, ils sont rejoints, en avril, par un groupe de jeunes officiers évadés, « gonflés à bloc » parmi lesquels les futurs généraux Billotte, Alain de Boissieu et Jacques Branet, ainsi qu’un jeune polonais Louis Mitelberg qui deviendra dessinateur-caricaturiste sous le pseudonyme de Tim. Le capitaine Billotte décoré de la Légion d’Honneur pour sa brillante campagne de mai-juin 40, saura s’imposer aux prisonniers, il est très vite reconnu, comme leur starchi par les autorités russes.
Tout au long de leur captivité la majorité des évadés va faire preuve d’une grande solidarité dans les affrontements successifs contre un pouvoir qui les tient à sa merci et contre la toute puissante bureaucratie stalinienne ; les russes reculeront plus d’une fois devant la résolution des Français, jamais ces « oubliés » ne désespéreront. Au fil du temps leur fibre patriotique et gaulliste se traduira par des chambrées décorées du drapeau tricolore ou des plantations en forme de croix de Lorraine ! Certes, un groupe d’hommes membres ou sympathisants du Parti, emmené par Daniel Georges, idéaliste, pour qui « La France était son pays, mais sa patrie l’U.R.S.S. », dont le frère Pierre avait abattu en août 41 un aspirant allemand dans le métro, essaya sans succès de diviser cette communauté de prisonniers.
Le dimanche 22 juin 1941, la Wehrmacht envahie l’U.R.S.S., tout va alors progressivement changer pour ces hommes, et c’est au son d’une Marseillaise chantée par les polonais -mieux que par nous, nous dit l’auteur- qu’ils quittent Kozielsk. Le 29 août 1941, 192 hommes « maigres, hirsutes, mal rasés, de vrais bagnards » embarquent par le port d’Arkhangelsk pour rejoindre de Gaulle toujours au son de l’hymne national salué cette fois par le Kommissar soviétique du port au garde à vous. Belle reconnaissance pour la France et ces « hommes de foi » !
A Londres, le souffle de la France Libre va vite les pénétrer, surtout après avoir entendu le général de Gaulle parler le 15 novembre 41 à l’Albert Hall : ils n’ont alors plus aucun doute sur le combat qu’ils avaient entrepris quinze mois plus tôt.
Tous ces hommes de « l’équipe russe » auront dans la France Libre des postes de responsabilité. Certains deviendront des combattants de l’ombre, d’autres seront aux premiers rangs des combats à Londres, Bir-Hakeim, Paris, Strasbourg et consécration finale en Allemagne, les premiers à atteindre le « le nid d’aigle » à Berchtesgaden. Plus de vingt « russes » vont mourir pour la France, et sept deviendront Compagnons de la Libération.
Trente deux militaires français resteront en U.R.S.S., pris en charge par le Komintern, où ils ne furent pas des plus assidus à l’école du Parti ; il faudra toute l’influence de Marty « l’ex-mutin de la mer Noire » pour atténuer leur sort, victimes de privations et de contraintes. A l’automne 1942 une dizaine d’entre eux, « des convaincus » rejoindront les F.F.L. au Moyen-Orient, plusieurs autres, dont Daniel Georges, furent volontaires pour des missions secrètes en France, le général de Gaulle et le B.C.R.A. n’en surent jamais rien.
Il faut être reconnaissant à Jean-Louis Crémieux-Brilhac d’avoir raconté dans son livre cette extraordinaire odyssée en rassemblant avec sa mémoire, les témoignages saisissants de ses compagnons et d’avoir fait un impressionnant travail de recherche en particulier dans les archives soviétiques afin, suivant sa formule, d’écrire sur : « Ce que nous ne savions pas ».