« L’espion de Dieu » ou la passion de Kurt Gerstein
Par Pierre Joffroy Auteur : Pierre Joffroy Éditions : Édition Robert Laffont
C’est à une longue enquête que s’est livré Pierre Joffroy pour faire revivre la fascinante et belle histoire d’un brillant ingénieur allemand, Kurt Gerstein, élevé dans la plus pure tradition bismarckiènne de la vertu, du labeur, de l’obéissance et de la discipline, et qui sera le seul membre d’une famille influente et de renom, à s’opposer à la montée du nazisme et à son cortège d’abominations. C’est le tableau terrible de ces années de grande folie de l’Allemagne -fin des années 30- que fait revivre Pierre Joffroy, et qui voient Kurt Gerstein, au péril de sa vie, endurant brimades et douleurs physiques, prêcher et démontrer que Hitler n’est pas un « Herr » comme les autres. Devant la montée des organisations nazies dont les membres « ne sont que des perroquets du Heil » il va s’essayer avec courage et détermination à sauvegarder, un temps, l’autonomie des mouvements de jeunesse protestante.
Pour mieux pénétrer ce système, «il se place dans l’œil du cyclone » et va faire acte de volontariat à la Waffen S.S. où il y sera incorporé en mars 1941. Malgré son nouveau déguisement, « l’homme qui est à l’intérieur est resté le même » et va pouvoir continuer et approfondir son « travail de sape » contre « l’ordre noir » qui règne à cette date sur la plus grande partie de l’Europe.
Très vite repéré, grâce à son impressionnant bagage universitaire, il est propulsé vers l’état-major S.S. et affecté à Berlin dans un laboratoire central. Cette nouvelle position hiérarchique va ainsi lui permettre d’étendre son « champ d’action au sabotage du régime », qui est devenu sa véritable « passion » : aide de toute nature aux opposants, contacts avec divers réseaux de résistants en Europe et particulièrement en France, où il permettra à de nombreux jeunes gens de se dérober au S.T.O.
Janvier 1942 conférence de Wannsee, le satanisme sans limite des nazis, décrète la mise en œuvre de «la solution finale ». Conséquence : l’institut d’hygiène dont Kurt Gerstein à la charge, est désigné pour fournir le gaz zyklon qui doit anéantir ce que la race des seigneurs considérait comme des « sous-hommes », qui croyaient partir pour
«..ce Hamel de Pitschepoï
de chaume se coiffent les toitelets
pleut la pluie, neige la neige… »
Avec Pierre Joffroy et l’anti-nazi Kurt Gerstein, on rôde là « dans les couloirs au parfum de mort de la solution finale».
Alors Gerstein solitaire et sans égard pour sa vie, va crier : les vérités qu’il connaît, les choses effroyables qu’il a vues, rencontrer le Nonce du pape à Berlin, des diplomates suédois et suisses -mais ces cris ne rencontreront que les silences pesants de ceux qui, informés, se taisent et de ceux qui ne le sont pas, n’ont pas envie de l’être- et se dépenser sans compter à détourner trains et camions qui transportent « la mort », aider et toujours aider. Arrêté par les Français en Allemagne en avril 45, puis transféré à Paris à la Prison du Cherche-Midi, dramatique malentendu, personne ne croit à l’énormité de son témoignage à la suite de quoi il est inculpé «de crimes de guerre, assassinat et complicité…. ». Le 25 juillet 1945, dans la cellule 23, Kurt Gerstein se suicide « Nu. Misérable. Avili de corps et d’âme ».
Il faudra attendre les années 60 pour que ce témoin des plus abominables crimes de tous les temps entre, bien discrètement, dans le panthéon des résistants allemands au nazisme.
Il faut lire ce livre qui vient d’être réédité, qui s’il conduit le lecteur « là où Dante n’est pas allé », lui montre surtout le bel exemple d’un solitaire qui s’engagea très tôt contre l’intolérance. Bel exemple aussi d’un homme dont la « passion » fut la résistance, mena au mépris de sa vie un combat de tous les jours et sans concession contre l’inacceptable. Bel leçon de courage de la part d’un homme qui trouva en lui-même, dans la clairvoyance de sa propre conscience, la force de dire « Non » et la volonté de se battre, alors que tant d’autres autour de lui se courbaient ou applaudissaient.