Écouter la voix d’Hélène Berr et marcher en sa compagnie, ce à quoi Patrick Modiano nous invite dans sa sobre préface au « Journal parisien » d’une jeune fille de 22 ans conduite aux premiers jours du mois de juin 1942 à porter l’étoile jaune, n’a rien à l’évidence d’un promenade de tout repos. Mais immédiatement le lecteur semble saisi par le bras et comme pressé de serrer très fort la jeune fille contre soi. Seuls quelques mots jaillis de la tête de cette étudiante si vivement éprise de la vie, et de ce que son esprit si exigeant en attend, suffisent à nous plonger , non seulement, et avant tout certes, dans le pathétique des événements d’alors, mais encore dans la réflexion la pus pertinente tirée de ces temps affreux et très précisément de l’irrémédiable marche conduisant au pire. Qu’écrit en effet Hélène Berr le lundi 8 juin 1942 au matin ? simplement ceci : « C’est la premier jour où je me sente réellement en vacances. Il fait un temps radieux, très frais après l’orage d’hier. Les oiseaux pépient, un matin comme celui de Paul Valéry . Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune… » Cette étoile qui le 8 mars 1944 la dirigera sur Drancy, puis à Auschwitz et de là en avril 1945 à Bergen – Belsen où le typhus l’emporte quelques jours avant la libération du camp.

On croit aujourd’hui n’avoir plus grand chose à apprendre de la descente aux enfers réservée, entre autres victimes, à tant d’adolescents et adolescentes au seuil de leur vie, de leurs études et de leurs premiers amours. Le Journal d’Anne Frank reste le grand modèle des jeunes voix dans la nuit, des jeunesses conscientes de la tragédie en cours, si conscientes que leur mémoire, concrètement imprimée sur papier d’écolier, s’est faite impérissable. La génocide nazi a pu gazer les corps, non ensevelir le souvenir. Même un souvenir mis de côté, jusque là refoulé, ou ignoré, ou tel le Journal d’Hélène Berr révélé soixante ans après, devenant à son tout pièce indestructible. Ressuscitant son auteur, la jeune fille de 22 ans qui marche dans le Paris de 1942, allant par exemple chercher chez Paul Valéry l’exemplaire auquel ce dernier appose en guise de dédicace, les mots « Au matin, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant ». Des magnifiques et terribles pages laissées par cette jeune fille de bonne famille* étudiante parisienne typique de son temps, à l’exceptionnelle qualité littéraire de ses écrits. Il faut savoir que l’étendue de ses études à la Sorbonne, la diversité de ses lectures, de ses goûts musicaux et la subtilité de ses jugements donnent déjà d’elle une image rare et infiniment attachante. L’apport essentiel de son journal est ailleurs, allant droit au plus profond de l’histoire, dans ce monde de l’après-Auschwitz dont nombre de philosophes continuent de débattre. Sans connaître vraiment l’horreur qui l’attend – sans savoir – Hélène pose toutes les questions et se renseigne, cherche à savoir, sans manquer de s’engager personnellement. Elle semble tout deviner. Elle prévoit et analyse ce qui se passe, et se passera. Humaniste, éveillée, exemplaire, c’est elle qu’il nous faut aujourd’hui laisser parler, livrant ses émois, ses vertiges et ses lumières…..Comment porter l’étoile jaune ? …. . Et d’abord, faut il la porter ? … Elle répond : «Je ne voulais pas, mais j’ai fini par le faire, trouvant lâche ma résistance ». Puis elle précise : «Mon Dieu, je ne croyais pas que ce serait si dur. J’ai eu beaucoup de courage toute la journée. J’ai porté la tête haute et j’ai si bien regardé les gens qu’ils détournaient les yeux. Mais c’est dur. D’ailleurs, la majorité des gens ne regarde pas. Le plus pénible, c’est de regarder d’autres gens qui l’ont….. ». Après les premières rafles, les départs pour Drancy, les nouvelles des déportations, toujours sur le qui-vive, Hélène Berr qui participe aux œuvres d’entraide de l’U.G.I.F.** sait pourtant que « là-bas », « on en parle comme d’une chose banale. Il y a des femmes et des enfants. Tous les jours il en part, déportés…. Hier soir, il est arrivé un train entier d’enfants de Bordeaux et de Belfort ; des trains comme pour des colonies de vacances, mais c’est horrible… ». Quant l’idée lui vient qu’il faudrait fuir, elle se dit : « Les gens ne comprendront pas pourquoi nous sommes restés. Nous n’avons pas le droit de ne pas vouloir fuir, que d’échapper au sort inévitable ?….. ». Malgré tout, il fait encore bon vivre. Le cœur pur, le soir du 15 octobre 1942, elle a rencontré un camarade et elle écrit « Nous avons marché, le soleil couchant dorait tout le vieux Paris……Tout frémissait, les feuilles des peupliers, et même l’air… ».invite dans sa sobre préface au « Journal parisien » d’une jeune fille de 22 ans conduite aux premiers jours du mois de juin 1942 à porter l’étoile jaune, n’a rien à l’évidence d’un promenade de tout repos. Mais immédiatement le lecteur semble saisi par le bras et comme pressé de serrer très fort la jeune fille contre soi. Seuls quelques mots jaillis de la tête de cette étudiante si vivement éprise de la vie, et de ce que son esprit si exigeant en attend, suffisent à nous plonger , non seulement, et avant tout certes, dans le pathétique des événements d’alors, mais encore dans la réflexion la pus pertinente tirée de ces temps affreux et très précisément de l’irrémédiable marche conduisant au pire. Qu’écrit en effet Hélène Berr le lundi 8 juin 1942 au matin ? simplement ceci : « C’est la premier jour où je me sente réellement en vacances. Il fait un temps radieux, très frais après l’orage d’hier. Les oiseaux pépient, un matin comme celui de Paul Valéry . Le premier jour aussi où je vais porter l’étoile jaune… » Cette étoile qui le 8 mars 1944 la dirigera sur Drancy, puis à Auschwitz et de là en avril 1945 à Bergen – Belsen où le typhus l’emporte quelques jours avant la libération du camp.

Encore un mois de petites notes, de petites touches d’humanité et Hélène arrête son Journal : son fiancé par combattre. A l’automne suivant l’absolu nécessité d’écrire la reprend « Ecrire, et écrire comme je le veux, c’est à dire avec une sincérité complète…..j’ai un devoir à accomplir en écrivant, car il faut que les autres sachent. A chaque heure de la journée se répète la douloureuse expérience qui consiste à s’apercevoir que les autres ne savent pas, qu’ils n’imaginent même pas les souffrances d’autres hommes….. ». Sa soif de connaissance, sa volonté de comprendre à tout prix, la conduit à s’interroger sur la nature des hommes. Sur ces Allemands en premiers « …qu’on travaille depuis une génération à abrutir… », sur ces Français enfin, obéissant aux ordres, qui viennent vous arrêter et vous disent « …Que voulez vous, Madame, je fais mon devoir…. ». Rien n’échappe à cette observatrice sans faille, dont le « tour » approche elle écrit «  …J’ai l’impression que nous sommes la dernière fournée, et que nous ne passerons pas entre les mailles du filets… ». Ce sera pour le 8 mars 1944.

C’est la voix de la conscience et une leçon d’humanisme que nous transmet Hélène Berr son journal de jeune israélite du temps de l’Occupation nazie.

Pierre Favre

*Son père, Raymond Berr, est le vice-président-directeur général des établissement Kuhlmann, qui sera arrêté une première fois le 24 juin 1942, puis définitivement en mars 1944 avec sa famille. Hélène Berr aura confié son journal à la cuisinière de ses parents, avec mandat de la remettre plus tard à son fiancé ; Jean Marawieki engagé dans les Forces Françaises Libres ? Une nièce Mariette Job donnera ce journal en 2002 au Mémorial de la Shoah.

**l’U.G.I.F. (Union Générale des Israélites de France). Sa mission d’assistance auprès des Juifs français et étrangers internés met ses membres, en théorie et provisoirement à l’abri des persécutions. La lucidité d’Hélène Berr lui fait écrire un jour « Je déteste tous ces mouvements plus ou moins sioniste qui font le jeu des Allemands sans s’en douter ». Ce qui la fera militer aussi dans une organisation clandestine.

17:54 | 14/03/2008 Le Point.fr

Le journal d’Hélène Berr acheté à prix d’or par les Américains

Le Journal d’Hélène Berr écrit entre 1942 et 1944, qui caracole en tête des meilleures ventes françaises ces trois derniers mois, vient d’être acheté aux Éditions Tallandier par Weinstein, un éditeur américain de grand renom, pour plus de 500 000 dollars. Il semble que les États-Unis aient été enthousiasmés par ce document, très voisin de celui d’Anne Frank. Hollywood ne devrait pas tarder à s’emparer des droits pour l’adapter à l’écran.