Chronique d’un pilote ordinaire : Qui avons-nous sauvé ? Qui avons-nous tué ?
Par Paul-Henry Chombart de Lauwe Auteur : Paul-Henry Chombart de Lauwe Éditions : Édition du Félin 2007
C’est un beau récit autobiographique qui vient de paraître aux Editions du Félin : « Chronique d’un pilote ordinaire : Qui avons-nous sauvé ? Qui avons-nous tué ? », récit où se retrouvent à la fois l’action et les réflexions de l’auteur Paul-Henry Chombart de Lauwe. Son épouse Marie-José, aujourd’hui Présidente de la Fondation de la Déportation, a préfacé de fort belle manière le livre de celui dont elle a partagé les engagements humanistes et les valeurs fondatrices de la Résistance pendant cinquante ans. Paul-Henry né en 1913, étudiant aux Beaux-Arts, fut l’un des élèves de Marcel Mauss « le père de l’ethnologie française », passionné d’aviation et pilote émérite, il effectue à 22 ans une première mission au Nord Cameroun. La guerre va contrarier ses projets et lui ouvrir à la fois une période de déchirements – la débâcle de 1940 – et d’espérances – Uriage, la Résistance et les combats pour la Libération. C’est entre 1939 et 1945 que Paul-Henry rédige au présent des notes, objet du livre qui vient de paraître, notes qui sont le récit au quotidien de son itinéraire d’Uriage vers Espagne, des écoles de pilotage à la vie dans un groupe de chasse et qui traduisent l’inquiétude de cet humaniste sur l’avenir de la France et du monde, au regard des drames engendrés par le nazisme, dont il avait pris connaissance en Allemagne avant la guerre.
Dans la première partie du livre, Paul-Henry évoque son séjour à l’Ecole de cadres d’Uriage, ses rencontres avec des hommes d’exception comme Pierre de Ségonzac, Emmanuel Mounier, l’abbé Naurois, Paul Delouvrier, … et bien sûr Hubert Beuve-Mery. Au cours de son passage dans ce « lieu de réflexion », où il met au point des questionnaires d’enquête sociale, comme toute une génération il restera marqué par «Uriage », par le mouvement de pensée rencontré et l’idéal commun qui était aussi celui de ses compagnons. Cherchant un moyen d’action plus direct, il franchit les Pyrénées par une filière basque et espagnole et grâce à la solidarité échappe, avec son compagnon, aux prisons franquistes. Par Madrid avec l’aide des services secrets anglais il arrive enfin en Afrique du Nord à Alger. C’est, pour le moins perplexe, qu’il sort d’une entrevue avec Giraud, avant de rejoindre le centre d’entraînement des pilotes de chasse de Talda au Maroc, impatient de « devenir un pilote opérationnel pour le combat ». Tombé sous le charme de ce pays, de ses coutumes, de ses paysages, et de ses hommes très vite « le Résistant – humaniste Paul-Henry » y perçoit les contradictions de la présence coloniale française. A l’heure où les Français débarquent en Corse, il va parfaire son entraînement dans les déserts américains, puis en Angleterre avant de rejoindre Alger pour se battre pour la Libération de la France, au sein d’une escadrille équipée des fameux « Spitfire ». Dans la seconde partie de son livre de souvenirs, c’est la vie d’un groupe de chasse que le lieutenant, puis le capitaine Chombart de Lauwe relate : ses premières missions de guerre, ses patrouilles, ses vols de jour et de nuit, le dévouement des mécaniciens avec leur « débrouillardise à la française » et leur compétence rassurante pour les pilotes. Ce sont 175 missions de guerre que Paul-Henry accomplira au-dessus de la Corse, dans le ciel de l’Italie, puis en France au-dessus de la Bourgogne, des plaines d’Alsace et enfin aux côtés des Alliés dans le ciel allemand. Récit original et passionnant où il est moins question de grands exploits que de la vie au quotidien du Résistant, du pilote, de ses multiples rencontres, de ses réflexions et des interrogations de ce futur grand sociologue. 1945 c’est une Europe en ruine et une France exsangue que l’on découvre du ciel: « Qui avons-nous sauvé ? qui avons-nous tué ?…Qu’avons-nous gagné ? et qu’avons-nous perdu ?…à quel prix ?…sauront-nous construire la paix ?…voulons-nous créer ?… » A ces interrogations c’est une belle réponse que nous offre cette grande figure morale dont le parcours après la guerre témoigne : « Des mots encore ? Non si nous savons ce que nous refusons et ce que nous voulons construire avec d’autres hommes »