Alain Savary : politique et honneur
Par Serge Hurtig Auteur : Serge Hurtig Éditions : Presses de la FNSP, 2002
En exergue des Actes du colloque tenu à la Sorbonne en juin 2000, consacré à l’ancien ministre de l’Education nationale, Alain Savary, et publié sous la coordination de Serge Hurtig, figure ce court dialogue entre Romain Gary, Compagnon de la Libération, et un journaliste qui lui demande : « Il y a tout de même des hommes politiques que tu estimes ? » Romain Gary : « Personnellement, oui. J’aime bien Savary et j’aurais voté pour lui à titre personnel, …. c’est un gars frappé d’honnêteté intellectuelle,… ». Il faut lire ces quelques mots d’Alain Savary évoquant ses engagements devant Jean Lacouture : « Lorsque l’on veut reconstruire ou construire, on ne peut rien entreprendre sans le concours de la classe ouvrière…..Le socialisme comprend, entre autres choses, la défense de la liberté et la lutte contre l’oppression. » Quand il meurt, en février 1988, l’ensemble de la classe politique, dans ses messages de condoléances, soulignera la « droiture et le sens du dialogue » de cet homme libre. Défense de la liberté, honnêteté, droiture, sens du dialogue, toutes ces valeurs seront présentes le long de la vie d’Alain Savary. Dix-neuf écrivains et universitaires, dont quelques-uns l’ont bien connu, retracent dans ce livre « politique et honneur » le parcours du Français libre, du fonctionnaire de la République, de l’homme de parti, du conseiller de l’Union française, du député face à la décolonisation et à l’Europe et enfin du Ministre de l’Education nationale de François Mitterrand. Le premier combat pour la liberté, il le mène le 18 juin 40 en devançant l’appel du général de Gaulle et en refusant la défaite, où il rejoint en Angleterre le cercle restreint des premiers Français libres. Affecté à l’état-major de l’amiral Muselier, chef des forces navales de la France libre, il participe à l’organisation de l’opération qui va conduire au ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon dont il est nommé gouverneur jusqu’au printemps 1943. Première expérience d’une pratique de réforme sociale et économique à l’échelle d’une petite communauté, qui le marquera de manière positive et profonde. En juillet 43, sur sa demande, il obtient de servir dans une unité combattante et commande un escadron de reconnaissance au sein du 1er bataillon de fusiliers marins. Campagne d’Italie, débarquement en Provence, libération de Toulon, de Lyon, puis les Vosges, dans tous ces lieux de rudes combats et de victoires, Alain Savary sut gagner le respect de ses hommes « baroudeurs et boucaniers », et quelques belles décorations parmi lesquelles celle dont il sera le plus fier : l’Ordre de la Libération. C’est au titre de Compagnon de l’Ordre de la Libération qu’il est appelé à siéger à l’Assemblée consultative provisoire : premier contact avec le monde politique aussi. Nommé commissaire de la République, à Angers le 1er avril 1945, il y remplace Michel Debré. Il réduira, pacifiquement, la poche de Saint-Nazaire et revendiquera avec fierté la fermeture, qu’il conduisit avec humanité, des camps d’internement qui furent parmi les premiers fermés en France. Après un court passage au commissariat aux Affaires allemandes et autrichiennes, il fait le choix de servir l’Etat à travers la République parlementaire. Tout d’abord comme membre de l’Assemblée de l’Union française, puis comme élu et député socialiste, il va se passionner, pour l’un des maux qui rongent la 4° République , la décolonisation, s’investissant sur le dossier indochinois et plus encore sur celui du Maghreb. En Indochine il essayera, au cours de courageuses équipées, de nouer des contacts avec le Vietminh et Ho Chi Minh, peine perdue les tenants de la force ne manquent pas de le décourager, que de chausses-trappes va t-il alors rencontrer même au sein de son parti ! Nommé, en 1956, secrétaire d’Etat aux Affaires marocaines et tunisiennes, c’est un libéral, refusant la politique de force et d’intimidation, le partisan d’une décolonisation contrôlée qui entre dans le gouvernement que vient de former Guy Mollet. Il poursuit, avec courage et intelligence, la dynamique du changement impulsé par Pierre Mendès France avec la Tunisie et assure la continuité de la politique d’Edgar Faure dans l’évolution des rapports franco-marocains. Son action est brutalement interrompue avec l’interception, par les militaires français, de l’avion transportant les leaders de la rébellion algérienne. N’acceptant pas cet acte, couvert par une partie des autorités françaises de l’époque, il démissionne.
Tout au long de ce livre, d’autres faces de la personnalité d’Alain Savary sont évoquées : celle du rassembleur de la « gauche en miettes » à Toulouse, en 1972, du Président de la région Midi-Pyrénées et acteur majeur de la vie locale. Bien sûr aussi, l’homme du parti socialiste, socialiste « à la marge » pour son biographe ? « socialiste modéré, Alain Savary n’était pas modérément socialiste », ajoute t-il ; socialiste d’instinct ? assurément. Homme libre et pragmatique, soucieux de cohérence sociale, loin de tout sectarisme, il entretiendra toujours un rapport complexe avec son parti. Premier secrétaire du parti pendant 2 ans (69/71) il a su imposer une image neuve à sa tête, et prit une part prépondérante à son renouveau, même si pour l’histoire, la rénovation du socialisme en France, c’est François Mitterrand ; il est vrai que les deux hommes ne s’apprécièrent guère. Fidèle de Pierre Mauroy, il entre à son gouvernement en 1981, comme ministre de l’Education nationale et se retrouve pris entre « les tenants de l’école avec Dieu » et ceux « de l’école sans Dieu » sur un dossier « embarrassé de préjugés et de passions ». En 1984, sans prévenir l’intéressé, le Président Mitterrand annonce lui même à la télévision le retrait du projet Savary.
Ce livre est bienvenu, quatorze ans après sa disparition, pour rappeler le parcours du discret Alain Savary, « une conscience de la gauche », oublié peut-être un peu vite aujourd’hui, qui fit partie de cette cohorte de réformistes marquée par les idéaux de la France libre et de la Résistance qui engagea, participa et conduisit les réformes sociales, territoriales, et constitutionnelles indispensables à l’évolution de la 4° et la 5° République.