Les loups de Germanie
Par Raymond LEVASSEUR Auteur : Raymond LEVASSEUR Éditions : CORLET-EDITIONS, 14110 Condé-sur-Noireau
Raymond Levasseur, jeune français né en 1922, s’engagea tôt dans la lutte contre l’occupant. A l’instar de nombreux résistants son parcours a ceci de particulier qu’outre son appartenance au mouvement communiste clandestin du « Front National » il participa également à différentes actions au sein des mouvements « Résistance » et « Turma Vengeance». Sa farouche volonté de résister le pousse à saisir chaque occasion se présentant à lui, au-delà de toutes considérations politiques ou partisanes.
Et pourtant dans cet ouvrage intitulé « Les loups de Germanie » Raymond Levasseur n’évoque qu’en quelques phrases son action de résistance, gage d’une humilité fondant tout son être et résultant probablement de sa foi catholique profonde. C’est alors davantage son expérience de la déportation que Raymond Levasseur s’emploie à relater dans cet ouvrage, lui qui fut arrêté au mois de mai 1944 à proximité de Bourgtheroulde (Eure) par des SS qui découvrirent sur lui un revolver et un paquet de journaux clandestins. D’abord publié sous forme de feuilleton dans le journal « Le Républicain de l’Eure » où il fut journaliste après guerre, ce récit fut édité une première fois à compte d’auteur en 1948.
Ce témoignage est ainsi unique en ce que, écrit juste à la fin de la guerre, il expose avec une acuité toute particulière le parcours d’un jeune patriote à travers les différentes prisons, camps et kommandos qui jalonnèrent son parcours de concentrationnaire. Plus encore, la puissance évocatrice exceptionnelle de ce récit tient autant au talent littéraire de son auteur qu’au soin méticuleux qu’il apporte afin de livrer un témoignage aussi précis que possible sur le système concentrationnaire.
Et pourtant, malgré toutes ces qualités, le témoignage de Raymond Levasseur – comme celui d’autres déporté(e)s – reste trop méconnu. Pour cette raison ses enfants et ses petits-enfants ont décidé de créer «l’Association Raymond Levasseur » afin de rééditer « Les loups de Germanie » une quatrième fois en mars 2013. Conjointement, c’est aussi le carnet rédigé au péril de sa vie par Raymond Levasseur durant sa déportation qui a été édité sous le titre « Journal de déportation ». Ces deux témoignages accessibles à tous aujourd’hui permettent de mieux appréhender l’horreur de la déportation et de découvrir tout le courage de ce jeune homme, ardent patriote, dont voici l’histoire.
Après son arrestation, Raymond Levasseur est conduit à la prison d’Evreux et parvient à résister aux violents interrogatoires et aux tortures qui lui sont infligés en livrant une histoire inventée de toutes pièces. Conduit à la prison de Fresnes, la camaraderie qui le lie à des gens de son âge ainsi que de rares distractions permettent parfois d’estomper l’angoisse qui l’étreint sans relâche. La foi lui est également d’un grand secours et l’accompagnera tout au long de sa déportation, lui qui a effectué toute sa scolarité dans des établissements catholiques. Il faut souligner d’ailleurs que les fêtes liturgiques constituent des repères spatio-temporels tout au long de ce récit.
Le 26 juillet 1944, Raymond Levasseur gagne le camp de Royallieu qui ressemble au « Paradis terrestre » (98) après des semaines de détention, d’autant plus qu’il y retrouve nombre de camarades de résistance. C’est le 17 août que débute un atroce voyage en wagon à bestiaux. Durant ce voyage dantesque, de nombreux déportés périssent asphyxiés; déshydratés ou executés par les gardiens SS lorsqu’ils tentent de fuir. Parvenu à Buchenwald le 21 août, Raymond Levasseur découvre avec stupeur le fonctionnement du système concentrationnaire nazi qu’il s’emploie à décrire avec une précision remarquable.
Le soutien que lui apportent plusieurs amis l’aide à tenir bon dans ce monde où règne l’arbitraire le plus total. Affecté à la clairière du camp, il y effectue d’harassants travaux de terrassement avant d’être transféré le 13 septembre 1944 au kommando de Neu-Strassfurt. Raymond Levasseur dresse des portraits saisissants des SS et Kapos présents et, particularité intéressante de ce récit, il évoque également ouvertement la question taboue de l’homosexualité et des viols au sein des camps.
Soulignant à quel point la faim peut transformer les hommes en bêtes, il démontre combien l’« idéal » (239) animant les résistants leur permet de survivre dans cet enfer ; à cet idéal s’ajoutent pour lui la prière et les messes clandestines auxquelles il participe au péril de sa vie. Mais le travail exténuant dans les mines de sel conduit progressivement les déportés à se refermer sur eux-mêmes, d’autant plus qu’en cette fin d’année 1944 les SS redoublent de violence, pressentant la fin de la guerre. Le 11 avril 1945 le kommando est évacué. Débute alors une marche de la mort de 366 kilomètres, succession de « journées d’horreur » (314) au cours desquelles Raymond Levasseur voit un à un ses amis se faire assassiner. Sur 300 déportés, seuls 60 survivront à cette marche. Au cours de cette marche de la mort, il récite ses prières alors que son camarade Cathygnol, incroyant et plus âgé, répète en boucle le nom de sa femme et de ses enfants. Au retour de déportation, Cathygnol a fait baptiser ses enfants et demandé à Raymond Levasseur d’être parrain de l’un d’eux.
C’est le 8 mai 1945 à Goblitz, situé sur la frontière tchécoslovaque, que Raymond Levasseur et un de ses derniers compagnons parviennent à s’évader et sont recueillis par des prisonniers de guerre français. Ensemble ils assistent avec une joie indescriptible à l’arrivée de l’armée Rouge. Parvenus dans la zone contrôlée par les Américains, ils sont durant dix jours hébergés dans un hôtel d’Eisenach mis à la disposition de la Croix-Rouge française. Le 26 mai, Raymond Levasseur débute en camion un voyage qui le conduit le 28 à Paris et quatre jours plus tard chez lui.
On ressort bouleversé à la lecture de ce récit décrivant avec une force sans pareille toute l’horreur du système concentrationnaire. Plus encore, c’est la profonde force morale de Raymond Levasseur qui nous stupéfait, lui qui dans cet enfer su rester fidèle à sa conscience et fit preuve en tout occasion, mais également à son retour des camps, d’un courage extraordinaire.
–Retrouvez ici la biographie complète de Raymond Levasseur dans notre rubrique « Ne les oublions pas ».
–Cliquez ici pour découvrir le site de l’ « Association Raymond Levasseur ». Vous pourrez ainsi en savoir plus sur ce déporté-résistant et l’action menée par ses enfants et petits-enfants.
De même, découvrez son « Journal de Déportation », publié pour la première fois en 2013. Fait exceptionnel au sein des camps et qui lui aurait valu d’être exécuté, Raymond Levasseur parviendra en effet à confectionner un carnet dans lequel il notera de nombreuses informations durant sa terrible expérience. On peut imaginer à quel point l’écriture a pu se montrer salvatrice au sein de cet univers totalement déshumanisé. Sans doute était-il porté par la volonté de témoigner, au nom de ceux qui ne pourraient le faire. L’ouvrage est préfacé par Raphaël Mallard, Résistant-Déporté et camarade de Raymond Levasseur, lui-même auteur du livre « Avec le dernier convoi pour Buchenwald ».