Théo Bohrmann
L’engagement
Dès l’âge de 12-13 ans, je n’ai jamais voulu apprendre « Maréchal nous voilà » et ces choses-là, au contraire on a appris une chanson grivoise que je ne vous chanterai pas ici, et je sais que comme gamin, avec un camarade, avec une fronde, on essayait déjà de casser les vitres et les tuiles de collaborateurs du village où j’habitais.
Nous avons déménagé dans le Tarn, on habitait la Corrèze avant, et là la Résistance m’a employé à l’âge de 14-15 ans, à différentes petites missions, comme de prévenir des gens qui risquaient d’être arrêtés ou raflés quand il y avait une colonne de la police ou des Allemands qui passaient et on nous faisait aussi transporter des objets, je sais pas ce que c’était exactement, si c’était du matériel, des faux papiers ou des armes, des petites armes individuelles mais je sais qu’on m’envoyait la nuit dans un village voisin apporter ça.
C’était le pasteur, le pasteur Cook, de Vabre, qui me chargeait de ces missions. Il a été d’ailleurs nommé comme Juste des nations par la suite parce qu’il a sauvé pas mal de Juifs.
En 1944 comme tous les étés, parce que nous étions très pauvres à l’époque, je gardais les moutons chez un paysan sur le plateau au-dessus de Ganoubre… et puis on a entendu, on a entendu des bruits de combat mais on n’avait ni radio, ni journal et on a pas su immédiatement ce qui se passait. Bon finalement, on a appris qu’il y a eu le Débarquement du 6 juin.
A Vabre où habitaient mes parents et moi-même, nous hébergions un cousin qui a vécu avec nous depuis 1941 et qui était recherché pour le STO, le service du travail obligatoire, donc nous le cachions chez nous. Et il est venu me voir dans cette ferme et m’a dit « j’ai pris le maquis », ah je dis « je vais en faire autant », donc j’ai immédiatement quitté la ferme, je suis redescendu au village de Vabre et je me suis présenté à monsieur François, je savais qu’il était quelque chose dans la Résistance, je ne savais pas très bien quoi, c’était l’adjoint administratif du chef de secteur. Il m’a dit « oh tu es un peu jeune, faut voir ce qu’on peut faire » et au bout de 2, 3 jours, il a dit « viens, on va te mettre dans la section administrative et plus particulièrement pour aider le tailleur ».
L’action
C’était un maquis de 480 hommes à peu près et tous les maquisards avaient un uniforme impeccable qui pouvait être fourni grâce à l’industrie textile qui existait dans le sud du Tarn donc ils avaient du drap kaki, ils ont nommé un chef-tailleur, monsieur Lazare je crois, il coupait les uniformes, il en faisait des petits paquets et puis on allait avec un chauffeur, et ça c’était mon travail, apporter ces uniformes à coudre chez des tailleurs Juifs qui étaient réfugiés dans cette région.
Autre travail, on récupérait les toiles de parachute pour en faire des doublures de vestes, j’étais aussi chargé de cette tâche, de défaire ces parachutes. Bon quand je n’étais pas chez le tailleur, j’étais au central téléphonique. Le maquis avait un central téléphonique qui reliait tous les maquis, chaque section était cachée dans une bergerie de la région, et ils étaient reliés par un téléphone clandestin. Puis un jour, j’étais au téléphone et j’ai appris qu’une première embuscade que nous avions voulu tendre aux Allemands avait mal tourné.
C’est les Allemands qui avaient mis une contre-embuscade, un de nos lieutenants a été tué et quelques autres blessés. Les dégâts allemands, je sais pas trop, il n’y en eu pas eu trop. Et puis il y avait un déserteur SS qui était dans notre maquis, qui servait de chauffeur à un officier, qui a disparu. Bon je vous raconte cette histoire de déserteur SS ? On a eu trois déserteurs SS dans notre maquis. Un était Allemand, c’est celui qui a disparu, il s’appelait Hans Müller, un autre était Suisse et un troisième était un Roumain de langue allemande je crois.
Donc ce Müller a disparu et ça nous inquiétait beaucoup. Quelques jours après, les Allemands ont attaqué un maquis qui ramassait un parachutage. C’était prévisible presque, parce que le message personnel qui était « la chouette au merle blanc, le chargeur n’a que 20 balles » était quasiment connu de tout le monde. Et on avait demandé à le changer mais on n’a pas eu de réponse de Londres ou d’Alger, on l’a gardé.
Donc le 6 août, dans la nuit du 6 au 7 août, les Allemands ont attaqué ce parachutage, notre maquis a eu six morts et deux cantonnements ont été détruits. Alors on se demandait si ce Hans Müller ne pouvait pas être à l’origine de la connaissance de l’emplacement où on parachutait et aussi des installations des deux campements qui ont été détruits. Bon plus tard, il y a eu beaucoup de polémique là-dessus et finalement on a pensé qu’il n’était pas responsable
Le 7 ou le 8, je ne sais plus, on a signalé qu’une colonne allemande venait sur Vabre qui était le PC du maquis et j’étais occupé chez le tailleur, c’était l’après-midi je crois, et on m’a dit « il faut évacuer, il faut fermer l’atelier et évacuer », alors je vais dans la rue et je rencontre un lieutenant que je connaissais bien, il m’a dit « ah t’étais où Theo, je te cherchais justement… j’ai besoin de toi », alors je dis « qu’est-ce qu’il y a ? », il dit « voilà il y a Hans qui est revenu, comme il parle pas le français et toi tu sais l’allemand, tu vas l’amener dans la montagne et tu vas l’interroger et après l’interrogatoire, tu le ramènes au PC », alors je dis « bon, d’accord », sur le coup j’ai même pas eu peur.
C’est vrai qu’il aurait pu être armé Hans mais semble-t-il, il ne l’était pas. Donc j’ai interrogé Hans, j’ai continué mon train-train habituel jusqu’au 13 août qui était un dimanche. Alors le dimanche 13 août, on nous a donné l’ordre d’évacuer le dépôt de Vabre où il y avait des parachutes, de la nourriture et des munitions, de le déménager sur une ville voisine et on m’a chargé, pas de conduire la voiture mais d’être l’adjoint du chauffeur et d’aider au chargement. Alors on a chargé tout ça, enfin on a rempli une camionnette à gazogène et on a vu quelques camarades de ma section, qui n’étaient guère plus âgés que moi, parce qu’un de ceux qui s’est fait tuer à cet endroit, il avait 17 ans, moi j’en avait 15.
Donc eux, ils sont descendus à pied, et nous on a retourné la camionnette, du coup on était tournés vers la route, on voit apparaître des automitrailleuses allemandes. Non seulement apparaître mais ils nous ont tirés tout de suite dessus, puisque la circulation était totalement interdite, sauf avoir un laissez-passer allemand et le dépôt était bâti sur une cave qui faisait menuiserie. On s’est réfugiés dans la cave, dans cette menuiserie, ce qu’on avait dans les poches, on l’a mis dans la sciure et puis on a attendu. Comme ils continuaient à tirer, le chauffeur a dit « écoute Théo, il faut se rendre parce qu’on va se faire massacrer là, le dépôt va sauter », alors on lève les bras et on sort de notre garage. Alors les Allemands sont tout de suite venus vers nous avec des révolvers, alors j’ai commencé à parler en allemand, bon, alors il a dit « ah vous parlez l’allemand », je dis « ben oui », il dit « pourquoi ? », je dis « je suis de Strasbourg », « ah ein full Deutsch », ah j’étais donc de la race allemande… Bon alors il a dit « qu’est-ce que vous faites là ? » « ben on se promenait là, je sais pas », « et alors à qui sont ces parachutes ? »« Pfft, on ne sait pas, on a rien vu, on était en bas dans les jardins, c’est dimanche… ». Bon ils ont continué à nous interroger, alors finalement ils ont dit « bon ben écoutez, on vous croit, vous allez retourner à Vabre », ils ont prononcé Fabre, parce le V en allemand V c’est un F, « et vous allez vous présenter à la kommandantur sinon vous serez fusillés ». Bien, bien. Alors on descend, là on a eu un peu froid dans le dos parce qu’on a dit « ils vont nous tirer dans le dos », mais ils ont rien fait et on est descendus, bien sûr Vabre n’était pas occupé, il n’y avait pas de kommandantur, alors qu’est-ce qu’on a fait, on a pris une pompe à incendie, c’est pour vous dire qu’on a pas eu peur sur le coup, et on est remontés éteindre l’incendie de la voiture, … et on a appris à ce moment-là que deux de nos camarades avaient été tués juste à 100 mètres en dessous de nous, et un autre blessé gravement, mais ils l’ont pas eu celui-là parce qu’il a réussi à monter sur la route supérieure et se cacher dans un buisson.
Ce maquis était le chef-lieu de la 5èmerégion militaire, c’est-à-dire la région militaire de Toulouse. Donc nous avions à garder le délégué du général de Gaulle qui était chez nous mais personne ne le savait, parce que c’était à part des maquis, si vous voulez c’était, il était à un endroit spécial. On avait un poste-émetteur et on avait aussi des postes récepteurs, on avait 3 ou 4 radios chez nous, enfin des manipulateurs de radio, et on nous a parachuté après 15 soldats américains, le même jour où le maquis a été attaqué, 15 soldats américains en uniforme et qui ont participé à des opérations, malheureusement deux de ces Américains se sont fait tuer.
Je crois que ça a complètement affolé les Allemands. parce que de trouver vers le 15-16 août ou 17 août des Américains aussi loin du Débarquement – entre temps il y a eu le Débarquement du 15 août – ça les a affolés et ça a créé une psychose qui a été exploitée par la suite.
Le dénouement
Dans la nuit du 19 au 20 août, les Allemands ont organisé l’évacuation de Mazamet par un train de DCA et des munitions et notre commandant, le commandant Hugues, qui s’appelait en vérité Pierre Dunoyer de Segonzac, a été discuté avec les Allemands, leur dire « rendez-vous parce qu’on va vous attaquer, il faut…, vous pouvez pas vous en sortir », un officier allemand a répondu « un officier allemand ne se rend pas, il se bat », « bien, à ce soir ». Alors le soir le maquis a monté une embuscade dans une tranchée de la SNCF entre Mazamet et Castres, on a fait sauter les rails et puis la locomotive est arrivée sur une portion de rail qui n’avait pas sauté, on a fait sauter aussi la locomotive, j’y étais pas hein, et alors ça c’était au début de la soirée, bon ça a tiraillé jusqu’au matin, les Allemands avec des canons et le maquis avec des mitrailleuses et le matin, on a fait intervenir un mortier, ce qui était beaucoup plus propice à toucher les wagons, mais malgré tout avec les mitrailleuses et les fusils on a quand même tué un servant de canon hein et alors on a tiré avec ce mortier sur un wagon et tout de suite les Allemands ont sorti le drapeau blanc.
Bon on a eu quelques blessés et un mort, les Allemands ont eu 5 ou 6 morts et 56 prisonniers, un canon détruit et les 4 autres, le maquis les a pris. Avec ceci, on a été se poster devant Castres qui avait une garnison de 4 500 hommes dont la plupart, il faut le dire, étaient des Russes, donc pas des troupes très sûres et très enthousiastes pour défendre le grand Reich allemand.
Là aussi, il y a eu des discussions, les Allemands ne voulaient pas se rendre, alors grâce à notre radio et aux officiers de liaison qui étaient chez nous, nous avions un major anglais qui s’appelait Davis, on a demandé l’appui de l’aviation anglaise qui était déjà basé en Provence. Le 20 août, ils sont venus mitrailler la gare et les alentours et les Allemands se sont tout de suite rendus.
Bon, je suis resté au maquis jusqu’au départ de ce maquis pour la Bourgogne, il a formé un Régiment de dragons, qui a été après en Bourgogne, il a participé à la libération d’Autun et a rejoint la 1èrearmée française et ia continué les combats en Haute-Saône, dans les Vosges et jusqu’au lac de Constance.
Moi-même donc on m’a libéré vers le 20 septembre et qu’est-ce que j’ai fait après, je suis retourné à l’école parce que je n’avais que 15 ans.
Message aux jeunes générations
Qu’est-ce qu’on peut conseiller aux jeunes ? Et bien de rechercher les vraies valeurs et de s’y atteler et de toujours se battre pour ces vraies valeurs et de pas oublier Liberté-Egalite-Fraternité, c’est-à-dire liberté, démocratie et défense de l’être humain. Ce n’est pas toujours le cas. Quand on voit que les jeunes s’emballent pour des idées quelconques, en isme souvent, c’est assez malheureux, par contagion, par ennui, je ne sais pas mais dans le temps, il y eu beaucoup de jeunes quand même qui ont pris le maquis ou qui ont fait de la résistance.